Les Burkinabè, qui se sont, massivement, mobilisés pour chasser Blaise Compaoré, fin octobre 2014, n’ont manifesté qu’un intérêt limité pour ces élections. En effet, seuls 5 517 015 d’électeurs, soit 55,5% des Burkinabè en âge de voter, se sont inscrits sur les listes électorales. Les abstentionnistes se recrutent, surtout, chez les jeunes, en général, les élèves et les étudiants. Les raisons en sont nombreuses.
Les Burkinabè sont, traditionnellement, mauvais électeurs. Lors du scrutin de 2012, le taux d’inscription avait été de même niveau. Ensuite, les deux candidats favoris proviennent de l’entourage de l’ancien président. Rock Marc Christian Kaboré a été, tour à tour, ministre, Premier ministre et président de l’Assemblée nationale. Quant au second, il fut, lui aussi, longtemps, ministre à divers portefeuilles puis président du Conseil économique et social. Du déjà vu, même si tous deux ont, par la suite, pris leurs distances avec leur mentor, puis, activement, participé au combat ayant abouti au renversement de celui-ci. Les programmes proposés par les quatorze candidats, dont deux femmes, se recoupaient : réconciliation nationale, magnification de la mémoire des Martyrs de l’Insurrection des 30 et 31 octobre 2014 et de la tentative de putsch du Régiment de sécurité de présidentielle (RSP) du 17 septembre 2015, relance économique, bonne gouvernance, lutte contre le chômage des jeunes, promotion de la jeune fille et de la femme, etc. Des lieux communs, en dépit d’habillages stylistiques plus ou moins originaux, selon les candidats. L’avantage est que la qualité a remplacé le nombre. Les 60% des inscrits, qui ont voté, effectivement, se sont concentrés sur les deux favoris. Kaboré du MPP et Zéphyrin Diabré de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) ont recueilli, au premier tour, 83% des suffrages ; soit respectivement 53,49% et 29,65% des voix. Les électeurs n’ont laissé que des miettes aux douze autres candidats dont certains auraient été « encouragés » à se présenter par l’ancienne majorité, qui ne comptait personne de ses rangs à la présidentielle, pour cause de Nouveau code électoral. L’absence du CDP à ce scrutin est un autre facteur démobilisateur.
Les Raisons du désintérêt
D’autres raisons du désintérêt des électeurs peuvent être invoquées. La chute du régime Compaoré a entrainé la casse de beaucoup d’entreprises, par des insurgés, qui a occasionné la mise au chômage de près de cinq mille travailleurs, selon un pointage des syndicats. Une situation à laquelle la Transition n’a pu s’attaquer. Les perturbations de la fourniture d’eau et d’électricité, durant de longs mois de canicule, ont rendu le quotidien des Burkinabè très pénible et mis en faillite de nombreuses petites et moyennes entreprises. Et, pendant qu’une flambée des prix des denrées de première nécessité faisait baisser le pouvoir d’achat de la population, le gouvernement accentuait la pression fiscale. Tour à tour ou simultanément, les greffiers, les contrôleurs et les inspecteurs du travail, les agents du ministère des Finances, les étudiants et les élèves se sont mis en grève, tous afin de revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail. L’Etat n’a pas d’argent pour satisfaire les revendications des travailleurs, mais a pu déloquer 7,5 milliards de FCFA pour la révision des listes électorales. En outre, les autorités de la Transition ont accordé 1 300 000 000 FCFA de subventions aux partis politiques pour battre la campagne.
Face à cette façon de tourner le dos à ses préoccupations, une bonne partie de la population s’est convaincue que l’Insurrection et la résistance populaire, des jeunes, surtout, contre le putsch, sont plus importantes que les élections. Blaise et le RSP ont été vaincus, en effet, non par des élections mais grâce à des soulèvements populaires. De là à privilégier « l’action directe », au détriment d’un lent et long travail d’éducation politique, il n’y a qu’un pas, vite franchi par une population vouée à des activités de survie quotidienne.
Prime à l’Expérience
Pourquoi Rock Marc Christian Kaboré a-t-il emporté ces élections, dès le premier tour du scrutin ? Son parti, le MPP, est dirigé par des personnalités rompues à l’action politique pendant presque trente ans : lui-même, Salif Diallo, dauphin de Blaise Compaoré jusqu’en 2007, Simon Compaoré, maire de la capitale burkinabè, Ouagadougou, pendant dix-sept ans, et bien d’autres qui, comme eux, ont occupé le devant de la scène politique pendant le long règne de l’ancien régime. Ensuite, le MPP travaille en équipe, avec un partage de rôles bien rodé. A Salif Diallo, « véritable et redoutable bête politique », revient l’élaboration des stratégies de conquête de l’électorat, au besoin en provoquant et en harcelant l’adversaire, à Simon échoit le jeu du tribun qui soulève des foules par des formules qui font mouches, à Rock Marc Christian Kaboré le soin d’arrondir les angles, en toutes occasions. Ajouté à cela, la mobilisation de grands moyens, un maximum d’atouts étaient réunis de leur côté. Le trio assume son passé de responsables « ayant dîné avec le diable », avant de le quitter, au moment opportun, et d’en avoir, humblement, demandé pardon « au peuple ». Ainsi, le MPP, créé seulement en janvier 2014, se révèle premier parti du pays !
Quant au second Zéphyrin Diabré, coqueluche d’une partie de la couche intellectuelle du pays et de la frange citadine de la jeunesse, il a, soigneusement, évité de reconnaître ce passé de serviteur de l’ancien régime, laissant, peut-être, entrevoir qu’il sous-estimait la mémoire des électeurs. Ce brillant second, ancien chef de file de l’opposition, a donné des sueurs froides au MPP, sans l’ébranler dans les urnes. Il pourrait prendre date pour 2020, l’échéance normale de la prochaine présidentielle.
A noter que ces élections étaient les plus ouvertes de l’histoire du pays, en ce sens que le président en exercice, en l’occurrence, le président de la Transition, n’était pas en lice. Le scrutin était attendu, également, pour la raison qu’il s’agissait des premières élections de l’après Insurrection. Un test réussi, eu égard au calme dans lequel les électeurs se sont rendus aux urnes, et vu l’esprit républicain dans lequel les résultats ont été acceptés. Ce 1er décembre, une heure avant la proclamation officielle des résultats provisoires, Diabré a, non seulement, reconnu la victoire de son adversaire, mais encore, s’est rendu à son état-major de campagne pour féliciter le tout nouveau Président Rock Marc Christian Kaboré.
Ces bonnes pratiques politiques, déjà vues au Mali et au Sénégal, sont la conséquence d’élections honnêtes et incontestées.
Aujourd’hui, face à la persistance de la menace terroriste, les dirigeants du Sahel se doivent d’organiser des élections transparentes et aussi inclusives que possible, afin de renforcer les fronts sécuritaires intérieurs.
André Marie POUYA,
Journaliste & Consultant.