Colloque régional sur La radicalisation et l’extrémisme violent Sahel

AQMI et Organisations affiliées : Naissance, Mode opératoire, agissements et conséquences

Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), qui milite pour l’instauration d’un pouvoir appliquant les normes de la Charî’a islamique, a pris pour sanctuaire, depuis plus d’une décennie, les immensités sahariennes. Une zone qui échappe traditionnellement au contrôle des pouvoirs centraux et qui est propice à toutes sortes de trafics délictuels. 

Comment et quand ce ‘’monstre’’ est-il né ? Quelles sont ses branches et ramifications ? Quel est son mode opératoire, sa stratégie de communication et, enfin, quelles sont les conséquences de son action sur la région ?

Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) est né le 24 janvier 2007 quand Oussama Ben Laden accepta l’allégeance du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (algérien) à l’organisation terroriste mère Al Qaeda

Cette alliance a mis beaucoup de temps pour se concrétiser. En effet les contacts entre Moctar Belmoctar, alias Bellaouar, connu au sein de la galaxie jihadiste sous le nom de Khaled Abou Al-Abbas, et la direction d’Al Qaeda remontent à la fin du siècle dernier (1994-1996).

A l’époque, le chef jihadiste algérien, un vétéran de l’Afghanistan, avait sollicité auprès de Ben Laden aide et soutien militaire. Le chef d’Al Qaeda mère, tout en exigeant de l’organisation algérienne d’adhérer à la doctrine jihadiste, dépêche en 1998 un envoyé spécial en Algérie, Abou Al-Yamani, pour évaluer l’état et les besoins des soldats de Dieu algériens.

Il reviendra en 2001 visiter les brigades de Bellaouar et d’Abderrezak le Para, un autre chef jihadiste algérien qui allait tomber plus tard dans les mains de l’armée algérienne. En 2002, nouveau retour dans le maquis algérien du messager de Ben Ladenqui sera cette fois-ci tué lors d’une opération de l’armée algériennele 12 septembre 2002 à Batna

Cet incident allait gâter pour quelques années les rapports entre les combattants islamistes algériens et Ben Laden qui soupçonna ces derniers de travailler carrément pour le compte des américains ou du moins d’être infiltrés par la CIA.

Face à l’échec de la tentative d’amarrage du GSPC à l’organisation de Ben Ladenet en raison de la pression de plus en plus forte de l’armée algérienne, les Jihadistes algériens, qui commençaient à voir plus loin que leur pays, décidèrent, la même année, d’envoyer une mission de sept personnes commandée par le chef de la 6ème région militaire du GSPC, Moktar Belmoktar, pour explorer les immensités sahariennes. 

Ils découvrirent une zone qui échappe au contrôle des autorités centrales et est, donc, propice pour l’action du Jihad loin des regards ‘’indiscrets’’. Surtout que les populations autochtones sont traditionnellement hostiles aux gouvernements de leurs pays. Ce qui fait d’elles des alliés objectifsà tous les aventuriers et autres trafiquants d’armes, de cigarettes et de drogue. 

Cette donne n’a pas échappé aux hommes de Moktar Belmoctar qui élisent domicile dans la zone et renforcent leur implantation à travers des alliances matrimoniales dans les tribus de la région. L’exportation de l’action du Jihad hors de l’Algérie sera boostée parle développement du marché florissant de l’enlèvement de ressortissants occidentaux qui draina d’énormes ressources financières à l’organisation terroriste.

Une fois établi, le mouvement réussit d’attirer tous les jeunes de Mauritanie, deTunisie et d’ailleurs qui rêvent de mourir pour la cause de Dieu. Ce qui était la 9ème zone du GSPC est transformé en Emirat du Désert. Son premier fait d’armes est l’opération de Lemghaïty (4 juin 2005) en Mauritanie qui provoqua la mort de 17 soldats mauritaniens.

Cette opération en plus d’autres coups à l’intérieur de l’Algérie contribue à redorer le blason plus ou moins terni de l’organisation terroriste auprès d’Oussama Ben Laden qui décide de leur envoyer un nouvel émissaire pour discuter des modalités de leur intégration à Al Qaeda. Il s’agit du mauritanien Younouss Ould El Hussein, alias Younouss al mauritani.

Un proche de Ben Laden qui sera arrêté au Pakistan avant d’être transféré dix ans plus tard en Mauritanie où il croupit encore dans la prison de Nouakchott. Celui-ci débarque en 2005 à Bamako en tant que chiite.

D’ailleurs l’ambassade d’Iran au Mali lui a même apporté aide et soutien au titre de son affiliation religieuse. Il fera des va et vient entre le Mali et le Pakistan avant d’apporter à son chef une disquette qui contient l’allégeance du GSPC, devenuAQMI, à l’organisation d’Oussama Ben Laden.

AQMI : Structures et Chefs

Al Qaeda au Maghreb islamique est dirigée depuis sa création par l’AlgérienAbdelmaleck Droukdal, alias Aboumoussab Abdel Wedoud. Celui-là même qui fut porté à la tête du GSPC en 2004 et qui, depuis, règne en maitre absolu à la tête de la structure terroriste. 

Il est aidé par un conseil consultatif et un état-major militaire dont les membres au départ étaient exclusivement de nationalité algérienne. Depuis qu’AQMI s’est amarrée au Jihad international à travers son allégeance à Al Qeada, sa branche africaine, l’Emirat du désert, a brillé par son activisme jihadiste. Elle comprend plusieurs divisions militaires ou Katiba. Parmi celles-ci, on note :

Al Moulathamoune (enturbannés). Elle est la plus active et la mieux structurée de toutes les brigades militaires d’AMQI et est dirigée par une personnalité haut en couleur du Jihad algérien, Moktar Belmoctar, plus connu sous le nom deBellaouar –le borgne-. Son nom de guerre est Khaled Abou Al Abbas. En 2012, il a été destitué de son poste par la direction d’AQMI pour indiscipline.

Aguerri et sûr de lui, il créa tout de suite son propre mouvement jihadiste : les signataires par le sang, auteur de la prise d’otage spectaculaire de l’usine gazière d’In Amenas en Algérie. Il a créé avec le MUJAO (mouvement de l’unicité pour le Jihad en Afrique de l’Ouest) un nouveau mouvement : les Mourabitounes qui reviendront de nouveau dans le giron d’AQMI.

– Tareq Ibn Zayad, brigade très active pendant les années 2009, 2010 et 2011 dans d’enlèvement des occidentaux et est responsable de l’exécution de plusieurs otages. Elle a connu plusieurs chefs dont le premier n’est autre que le tristement célèbre Mohamed Ghdiri, alias Abdelhamid Abouzeyd, mort en 2013 pendant l’opération Serval dans le massif des Ifoghas. Il a été remplacé à la tête de laKatiba par Said Abou Moughatil, appelé Abou Said Al Jazairi.

– Al Fourkane. Son premier chef fut Djemal Abou Oukacha,aliasYahya Abou Hammam. Depuis la mort d’Abou Zeyd en 2013, il a été porté à la tête de l’Emiratdu désert et fut remplacé par le mauritanien Mohamed Lemine Ould Hacen, ditAbdallahichinguiti qui mourra en 2013 pour être remplacé par un autre mauritanien : Abderrehmane Talha dit Aboutalha Al-mauritani.

– Katiba Al-Ansar. Elle a été créée en 2010 par Hamada Ag Hama, aliasAbdlekrim Al-Targui, qui fut tué en 2015.

– Youssouf Ibn Tachifine, mis en place en 2012 par un autre ressortissant touarègue : Sedane Ag Hita, Abou Abdel Hakim Al-kidali.

A côté de ses brigades directement affiliées à AQMI, on assiste depuis quelques années, dans le cadre d’une nouvelle directive d’Al Qaeda-mère, à la naissance d’entités jihadistes qui se donnent des noms autres qu’Al Qaeda afin de redorer leur blason et pour accréditer l’idée de leur ancrage local. C’est dans ce cadre qu’on a observé la naissance des fronts : Nosra en Syrie, AnsarChari’a en Libyeou, au Mali, Ansar Dine, le Front de libération du Macina ou la Katiba Khaled Ibn Al Walid.
Le mouvement Ansar Dine est dirigé par l’ex chef touareg Iyad Ag Ghali, converti depuis 2011 dans le Jihad et qui continue de revendiquer de plus en plus d’opérations contre les forces armées maliennes, les casques bleu et les forces françaises installées dans son pays. Il est l’allié d’un autre chef local : le peulhAmadou Kouffa qui a fondé en 2015 le front de libération du Macina qui prône la guerre sainte pour l’application de la Chari’a sur toute l’étendue du territoire malien.

En plus de ses deux chefs locaux, il faut noter la naissance de la Katiba Khaled Ibn Al Walid commandée par un certain Souleymane Keita, né en en 1968. Son mouvement serait une branche d’Ansar Dine.

Cette nouvelle stratégie d’AQMI qui consiste à mettre au-devant de la scène des autochtones est d’autant plus inquiétante que ces moudjahidine, en plus du bénéfice de la couleur de peau, de la langue et de la connaissance du terrain, jouissent de continuités familiales dans toute la zone ouest-africaine, leur donnant la facilité de s’infiltrer, de s’équiper et d’atteindre les positions isolées des forces armées loyalistes sans risque d’être dénoncés.

Quoi qu’il en soit ces groupes « s’organisent » et « s’adaptent ». Et même s’ils restent dispersés, changent constamment de position, ne se déplacent plus qu’à moto ou à dos de chameau, n’utilisent que des messagers humains (plus de téléphone), ils peuvent toujours mener des opérations kamikazes dans n’importe quelle ville de l’Afrique de l’Ouest.

Effectifs et mode opératoire

Même si elle hante tous les esprits au Sahel Sahara, qu’elle arrive parfois à y commettre des attentats spectaculaires et continue d’agacer pouvoirs locaux et partenaires étrangers, Al Qaeda au Maghreb islamique n’a jamais mobilisé de gros effectifs. Entre 2004 et 2011, ses effectifs étaient évalués de 200 à 800 personnes. 

En 2012-2013, au plus fort de la guerre au nord Mali, le nombre des combattants de la bannière noire ont atteint environ 1500 à 2500 personnes. Cet effectif s’est considérablement réduit en 2014 après la défaite des combattants du Jihad au nordMali sous la pression militaire des soldats de l’opération Serval et des casques bleus. 

Mais le problème aujourd’hui n’est pas le nombre des effectifs d’AQMI mais plutôt celui des organisations locales affiliées à elle qui redoublent d’activité et d’activisme et dont les combattants, sans être nécessairement convertis à l’idéologie du Jihad, portent les armes au sein de mouvements extrémistes qui continuent de provoquer peur, consternation et dégâts dans la région.

Une réalité d’autant plus embarrassante que les apprentis jihadiste adhèrent aux mêmes méthodes et modes opératoires d’AQMI, à savoir la guérilla, les attentats, les enlèvements et les attaques contre les symboles des Etats et leurs partenaires.

Une communication de plus en plus soignée

Le premier objectif des terroristes n’est peut-être pas de faire beaucoup de dégâts ou de victimes, mais surtout de faire beaucoup de bruit autour de leurs actions. C’est pourquoi ils accordent toute l’attention à leur communication afin de pouvoir vendre leur image à leur clientèle potentielle. Ce service a passé, chez les Jihadistes, par trois étapes dont chacune correspond à une vision et une manière de faire.

La première phase est celle marquée par une hostilité féroce contre les journalistes qui pouvaient même être parfois des cibles recherchées par les Jihadistes qui n’avaient pas besoin d’eux dans la mesure où il ne tenait qu’à leur propre public avec lequel ils communiquaient à travers des vidéos, des lettres, des communiqués et des discours de propagande.

La seconde phase correspond à une nouvelle vision d’AQMI qui, désormais, cible les médias afin de communiquer sur ses opérations au grand public. C’est pendant cette période qu’AQMI a établi des rapports avec des médias, particulièrement, mauritaniens chez lesquels atterrissaient de temps à autre ses communiqués ou vidéos… Certains dirigeants de l’organisation terroriste leur avaient même accordé des entretiens et interviews. 

La troisième phase est-elle marquée par la naissance d’une propre presse qui appartient à AQMI et qui utilise Internet et les réseaux sociaux comme par exemple l’agence Al Andalous. Celle-ci se produit sur Twitter et si son compte est fermé par les gestionnaires de ce réseau, il est remplacé tout de suite par un autre compte à tel point qu’à la mi-septembre on avait atteint Al Andalous 14. 

Conclusion

Il est malheureux de constater que le danger salafiste sur la région sahélo-saharienne, en dépit des moyens mis en œuvre pour le combattre, ne cesse de se développer et de peser davantage sur la vie et la sécurité de ces pays. Selon une note de l’agence de presse mauritanienne Al-Akhbar (celle qui reçoit généralement les communiqués et autres publications des Jihadistes de la région), entre le 27 juin 2015 et le 1er juillet 2016, on a enregistré 144 opérations perpétrées dans la région du Sahel et attribuées à AQMI et ses démembrements.

Du jamais vu dans les années précédentes ! Face à cette situation, que faut-il faire ? C’est la question à laquelle on n’a, pour le moment, point de réponses.

Quoi qu’il en soit, la recherche de solutions implique d’abord d’appréhender le phénomènejihadiste dans toute sa complexité.

Cet exercice doit reposer sur une analyse détaillée des réalités locales à l’origine de l’engagement des gens. En outre, il importe de ne pas céder à la tentation de généraliser ou d’appliquer les conclusions valables dans une situation donnée à d’autres contextes. 

Selon une étude menée par l’institut d’études de sécurité (ISS) sur soixante-trois ex-engagés, dont 19 dans le milieu carcéral malien, le motif religieux semble n’occuper qu’une place marginale dans le ralliement des personnes interrogées au Jihad. Le prisme exclusif de la religion limite, donc, la compréhension du phénomène dans sa complexité et empêche l’identification des réponses les plus appropriées.

La volonté de mieux cerner les facteurs et les processus qui ont mené certaines personnes à se retrouver dans des groupes armés djihadistes ne procède pas d’un exercice intellectuel superflu. C’est en effet la compréhension de ce phénomène complexe, multiforme, variant selon les individus, les groupes et les régions, qui déterminera la qualité des réponses proposées et leur mise en œuvre pour y faire face.

 

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