Les visiteurs du soir
Pour un observateur extérieur, Blaise était un président courtois, agile et disposant d’une forte capacité d’action. Une efficacité dans le domaine économique, et surtout celui des infrastructures physiques, complétait sa gestion politique. Cependant, les mouvements insurrectionnels de la troupe en 2011 et les démissions de certains de ses plus anciens et proches associés, partis rejoindre l’opposition, n’ont pas servi de clignotants oranges pour l’avertir de l’imminence d’un feu rouge, du danger de collusion avec son peuple. Pourquoi ?
Plus que l’usure du pouvoir, Compaoré a sans doute était la victime, comme bien d’autres leaders politiques du continent, des ‘’conseillers du soir ’’. Ces ‘’fidèles’’, qui fréquentent les palais hors de heures de travail, ne comprennent et n’analysent les contextes politiques qu’à travers le seul prisme des rapports de forces. L’évaluation stratégique et le compromis politique sont expliqués aux chefs comme des signes de faiblesse. Parmi d’autres, le président Tandja du Niger en 2010 en fut une illustre victime.
Que doit faire la communauté internationale face à des situations politiques bloquées et pouvant déboucher sur des violences, voire des guerres civiles ? Dans la pratique, la prévention ne fonctionnant pas, ou très peu, comment éviter les dérives meurtrières ?
Face à tout changement de régime – coup d’état militaire ou insurrection populaire – peu en importe la nature, la réponse de la communauté internationale est immuable depuis 2000. L’année où l’Union Africaine (UA), après une résolution prise à Alger en 1999, a décidé au sommet de Lomé de condamner tout changement de régime non constitutionnel. Un coup d’état qui renverse un gouvernement élu démocratiquement et un soulèvement populaire réussi contre un régime autocratique sont traités de la même manière. Bannis. Initialement pertinente, cette posture est rapidement devenue rituelle et automatique.
Cet automatisme a eu le don de révolter davantage les peuples et les jeunes en particulier. Par un effet pervers, il renforce l’autoritarisme de régimes convaincus que la menace de coup d’état, la seule dissuasion face à leurs abus, est inopérante parce que condamnée d’avance par la communauté internationale.
Valable si un coup d’état est dirigé contre un régime élu démocratiquement, la réponse de l’UA apparait aujourd’hui figée voire dépassée. En réalité, elle encourage de nouvelles formes de dictature. Celle des présidents qui s’imposent par des élections frelatées ou des manipulations grossières des lois fondamentales. Le tout sans réaction de cette même communauté internationale tant que le leader national est en place !
Cet effet pervers de l’automatisme des condamnations internationales de tout changement de régimes ne peut plus rester ignoré. Quinze ans après la décision historique de l’UA prise à Lomé, une nouvelle approche est désormais nécessaire. Nécessaire à la crédibilité des institutions internationales et à l’alternance pacifique au pouvoir en Afrique.
Prévenir le chaos institutionnel et le désordre social qui s’en suit, invitent à rappeler publiquement à l’ordre les gouvernements qui s’écartent des règles établies : élections transparentes et respect de la constitution. Exiger la légalité des seuls peuples, et uniquement d’eux, renforce les dictatures et l’insécurité structurelle qui est inhérente à leur gestion.
Un rôle pour un état du Sahel
On ne le répétera jamais suffisamment assez, dans le Sahel Sahara, le terrorisme est une menace transfrontalière constituée par des mouvances diverses et multiples. Il se nourrit de l’exclusion politique et sociale liée à la gestion familiale et tribale des pays. Confronter ce terrorisme multiforme appelle à une action collective de plusieurs pays dans la mesure où l’action d’un seul état ne peut être suffisante. Comment alors combler le vide créé par la chute du régime pivot de Campoaré ?
Sur le plan diplomatique et sécuritaire, la fin de ce régime aura un impact certain sur les pourparlers inter maliens d’Alger et, au-delà, sur la gestion de la crise régionale du Sahel. Cependant, pour les mois à venir, la priorité du Burkina sera de réussir sa transition politique interne. Celle-ci demandera au moins une année.
Ce désengagement forcé du Burkina de la scène diplomatique régionale et les incertitudes politiques à Ouagadougou affaibliront l’action collective des états de la région contre le terrorisme. Y compris celle des partenaires extérieurs dont certains avaient de fortes relations politiques et sécuritaires avec le Burkina. Les capacités de nuisance des groupes terroristes à travers le Sahel en seront renforcées. La persistance, non résiduelle, du terrorisme dans le Sahel et les pertes élevées parmi les troupes africaines au Mali (33 morts et 91 blessés au 31 octobre 2014) incitent à une plus grande vigilance régionale. Porter le nombre de ces troupes des 8.000 actuellement opérationnelles aux 12.000 hommes initialement prévus, changera peu de choses sur le terrain.
Le rôle diplomatique du Burkina Faso, hier mais surtout demain, doit continuer à compléter celui d’Alger ou pour le moins le ‘’ couvrir ‘’. En d’autres termes, éviter une grande concentration des regards et des intérêts sur le seul médiateur algérien. Exposé, celui-ci risque d’être suspecté, spécialement dans les milieux extrémistes, de tout échec des pourparlers et particulièrement des dérives des parties elles mêmes. Il est bien connu qu’un seul médiateur focalise trop d’attention, beaucoup d’espoirs et aussi de nombreuses rancœurs.
La stabilité du Burkina, comme celle de chaque état sahélien, reste importante pour la lutte contre l’extrémisme violent dans et au-delà du Sahel. Mais la stabilité implique une gouvernance meilleure et une communauté internationale (Union Africaine, Union Européenne, Etats Unis, etc) plus proche des aspirations des peuples et pas seulement des gouvernements.
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