Lutte contre Daech et Sahel

L’approche classique suffit-elle ?

 

Pour Barak Obama, la stratégie destinée à affaiblir et détruire Daech doit poursuivre simultanément quatre objectifs : une campagne systématique d’attaques aériennes en Iraq et en Syrie contre les combattants de ce groupe ultra radical ;  un soutien accru à ses adversaires sur le terrain à travers la fourniture de matériel militaire et d’équipements logistiques; la mobilisation de puissants moyens en matière de renseignements pour prévenir ses attaques et tarir, ou diminuer, les flux de volontaires étrangers; enfin poursuivre l’assistance humanitaire aux victimes civiles du conflit.

 

Présidant le 15 septembre une réunion à Paris en présence de délégués d’une trentaine de nations, François Hollande a exhorté les participants à ne plus perdre de temps face à la menace terroriste majeure que représente le Daech. Il faut, ajoute-t-il, agir vite et fort pour stopper les Djihadistes. Joignant les actes à la parole, des avions français interviennent déjà sur le terrain en l’Irak.

 

Pour les Etats Unis comme pour la France la question est comment gagner une guerre sans la présence de troupes sur le terrain? Au Sahel Sahara la question est différente: seront nous de nouveau marginalisés?

 

La guerre perpétuelle.

 

Faut-il sans cesse le répéter? Les violences meurtrières qui sévissent au Moyen Orient où Daech opère ont, comme en Libye, des causes très anciennes. Elles résultent de la destruction des institutions étatiques et de la déshumanisation des sociétés par de puissantes dictatures.

 

Les interventions militaires extérieures, en l’occurrence occidentales, sont largement évoquées comme les facteurs ayant déclenché les chaos en Irak aussi bien qu’en Libye. Confrontée aux réalités, l’analyse derrière cette quasi-unanimité apparait pourtant très sommaire. En regardant de plus près les faits dans la durée, il est loisible de noter que  dans ces pays, l’effondrement des institutions publiques y compris des forces de sécurité, a des causes bien plus anciennes et plus complexes. Il est directement lié aux politiques des régimes personnels autoritaires qui, pour pérenniser leur pouvoir, pratiquent l’exclusion et confortent la division de leurs peuples en communautés ethniques ou religieuses.


Les forces nationales de sécurité, surtout elles, ne sont pas épargnées par ces népotismes. Elles sont dissoutes à chaque crise ou changement de régime et noyautées par des milices à la dévotion du chef suprême. Les sociétés, éclatées et désabusées, fonctionnent à plusieurs niveaux parfois parallèles. Leur cohésion et leur stabilité sont plus apparentes que réelles car la répression brutale de toute dissidence n’est jamais bien loin. Tant que cette réalité n’est pas intégrée dans la recherche de solutions durables, nous assisterons toujours à un éternel recommencement au Moyen Orient et en Afrique.

 

La guerre, et non pas la paix, sera perpétuelle.

 

Dans ce contexte volatile, l’intervention armée extérieure a été surtout le déclic. Le déclic qui a fait exploser une bombe depuis longtemps dégoupillée. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’expliquer ou de justifier les interventions extérieures en Libye ou en Irak. Mais d’éviter de répéter les erreurs couteuses du passé et d’assurer la priorité à la mobilisation de la communauté internationale pour une réponse appropriée. Celle-ci pose un dilemme : ne rien faire et le groupe va s’étendre, agir et le groupe se radicalisera davantage. Existe-t-il des alternatives?

 

Les réponses nationales.

 

Très loin des fronts, en Europe et aux Etats Unis, aucun état n’est plus à l’abri de la violence des radicaux. Cependant, les expériences de luttes contre ces groupes extrémistes en Afghanistan, en Somalie et ailleurs, invitent à regarder au-delà du seul rapport des armes. Qui doit confronter ces groupes et comment ?

 

Aujourd’hui, la guerre contre Daech, comme hier celles contre Al Qaeda et ses branches régionales, ont souvent pêché par arrogance ou par excès d’émotion.   Elles n’ont cessé de sous-estimer les capacités de collecte de l’information et le pouvoir ‘’de communication’’ de ces groupes pour mobiliser des volontaires. Il ne fait pas de doute que leurs dirigeants ont bien débattu, à la suite des discours du président américain comme celui de son homologue français, pour arrêter une série de réponses stratégiques : confrontation, clandestinité, attentats dans de nouvelles zones jusqu’ici épargnées, etc.

 

Ses groupes éviteront une confrontation directe avec des armées modernes qu’ils savent ne pouvoir défaire. Ils savent aussi que les frappes aériennes, tout comme celles des drones, font très mal mais ne suffiront pas à les éradiquer totalement. Les exemples d’Afghanistan, du Yémen et du Sahel leur donnent raison.

 

En réalité, la responsabilité de la lutte contre Daech au Moyen Orient et Aqmi au Sahel incombe d’abord aux pays de la région. En Afghanistan en 2001  comme au Mali en 2013, les forces internationales ont vite conquis, ou libéré, les villes occupées par les groupes armés. Cependant, la paix n’étant toujours pas au rendez-vous, une autre approche reste indispensable.

 

De fait, le radicalisme est aussi une réponse, certes brutale, mais une réponse aux politiques nationales de pillage des économies et d’exclusion, de vastes segments des populations, de la gestion de leur pays. Pour leur survie et celle de leurs peuples, ces gouvernements doivent trouver une solution domestique, politique et sécuritaire, au terrorisme.

Certes, ils ne peuvent vaincre les radicaux sans appuis militaires extérieurs. C’est à ce niveau que se situe le dilemme pour les Etats Unis et la France en particulier. Désorganiser des extrémistes, contenir leurs avancées et leur dénier un sanctuaire permanent est une chose. Vouloir régler les causes  profondes de la crise c’est entrer dans un engrenage que l’exemple d’Afghanistan et d’Iraq invitent à éviter à tout prix.

 

Au Mali l’intervention de la France en janvier 2013 a sauvé le pays d’un effondrement  certain face à des rebelles séparatistes et aux radicaux d’Aqmi. Elle a aidé à en maintenir l’intégrité territoriale et à organiser des élections présidentielles et parlementaires des plus convenables.

 

Refondre l’état, procéder à la réconciliation nationale et en même temps entreprendre le même processus en Centrafrique, en Syrie et en Irak est sans doute hors de ses capacités comme il fut hors des moyens de l’Otan en Afghanistan.

 

Parce qu’il s’agit de la reconstruction et de la stabilisation d’états minés par des luttes de clans, les divers trafics et fragilisés par le jeu des influences des puissances sous régionales.

 

La gestion au quotidien des problèmes de gouvernance interne, qui est la cause originelle de la crise, ne peut être réglée que par des autorités nationales légitimes. Une intervention militaire extérieure, qui ne les prend pas en compte, ne peut que déstabiliser davantage la situation. Et s’enliser. Ses forces seront rapidement prises entre le marteau des divers clans et l’enclume de multiples factions. L’Afghanistan et la Centre Afrique sont des exemples des effets pervers des interventions militaires.

 

Qu’elle alternative ?

 

Pour maintenir sur le long terme une crédibilité dissuasive, l’Europe et les Etats Unis seraient bien inspirés de ne pas aller au-delà d’un soutien militaire, certes fort, mais uniquement pour une période déterminée. Ce soutien aux autorités locales exige la présence de leurs troupes sur le terrain.

 

Cependant, aussi féroces que soient les groupes rebelles, les combattre directement, sans un accompagnement local de réformes dans la gouvernance des pays concernés, comporte la certitude d’un enlisement. Faire la guerre, à la place des autorités nationales, c’est non seulement perpétuer un conflit mais l’étendre à d’autres pays y compris les puissances internationales elles-mêmes.

 

Ces développements sont importants pour le Sahel Sahara. Les milliers de combattants algériens, marocains, tunisiens et du Sahel, aujourd’hui présents dans la zone de Daech vont tous, ou en partie, revenir chez eux. Comme leurs compagnons de Bruxelles, Londres ou Paris. L’une des réponses les plus appropriées à ces retours est de régler au plus tôt les crises du Mali et de Centre Afrique afin d’en minimiser les effets attractifs.

 

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo sahélienne

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