Paul AMARA, Consultant, Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel Sahara, Centre4s.org
La complexité et l’urgence du combat contre le terrorisme au Sahel ont transformé cette région en un vaste marché de formations militaires. Souvent dans le sillage de la vente d’armes, ces cessions répondent aux objectifs et aux logiques des armées sahéliennes et des pays fournisseurs, qu’ils soient des états africains ou des partenaires internationaux. Les propositions émanent, principalement, de la Russie, des États-Unis d’Amérique, de la Chine, de pays européens, de l’Iran, de la Turquie puis du Maroc. Un des défis principaux est la mise en cohérence des acquis dans la stratégie de défense globale des pays concernés. Un grand défi que d’évaluer leur impact sur l’efficacité des armées sahéliennes !
Alors en visite à Moscou, mi-novembre 2021, le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, avait affirmé que ‘’ au moins 90% des officiers et des militaires ont été formés ici en leur temps’’. Il avait ajouté que des instructeurs russes – Wagner à l’époque – aidaient les Maliens à apprendre à utiliser les équipements, les avions ou les armes reçus de la Russie, dans une guerre asymétrique. Le Mali a besoin de l’aide des techniciens russes pour entretenir l’ensemble de ces matériels militaires. Plus précis, les profils recherchés par Afrika Corp – remplaçant de Wagner – couvrent un large éventail de fonctions, telles l’infanterie motorisée, l’artillerie, les blindés, le maniement des drones, des spécialistes de la guerre électronique et de la défense aérienne, la médecine militaire, ou encore la traduction en langues arabe et française.
Héritage de Barkhane
Entre le 18 février 2013 et le 18 mai 2024, l’armée malienne a bénéficié de formations dans le domaine des opérations de patrouille. Elle a aussi appris différentes techniques pour contrer les offensives des djihadistes à moto. En effet, les groupes djihadistes ont une capacité à s’adapter rapidement aux différentes tactiques déployées par les armées sahéliennes. Des unités légères de reconnaissance et d’intervention (ULRI), ou les Compagnies mobiles de contrôle des frontières (CMCF) au Niger, ont été constituées par l’opération européenne Task Force Takuba. Les militaires maliens ont également été l’objet d’accompagnement de la part de l’opération Barkhane, entre août 2014 et novembre 2022. Tout ce paquet, dans le cadre de l’EUTM (European Union Training Mission), visant à renforcer l’autonomie de l’armée malienne, ainsi que de l’EUCAP Sahel. Lancée en janvier, cette autre mission de renforcement des capacités soutenait la réforme du secteur de la sécurité, la stimulation de la gestion efficace, la transparence ainsi que la responsabilité des forces armées. Avec Barkhane, les armées sahéliennes ont constitué un groupe unique de plusieurs milliers d’hommes qui ont combattu côte à côte.
Le Maroc en première ligne.
Depuis 2018, le Maroc accueille, chaque année, la Conférence africaine des officiers supérieurs, un forum stratégique réunissant une centaine de hauts gradés provenant de trente pays africains ainsi que des États-Unis. Cette initiative s’inscrit dans la stratégie d’AFRICOM ou Commandement américain pour l’Afrique. Celle-ci cherche à soutenir les États partenaires dans la lutte contre les menaces transnationales à contrer les influences extérieures déstabilisatrices et à promouvoir des structures de défense résilientes en Afrique. Par ailleurs, le Maroc déploie d’intenses activités de formations dans les pays du Sahel. Ainsi, le 18 août 2025, une délégation des Forces armées royales (FAR) a fait une visite de travail à la Direction de la communication et des relations publiques de l’état-major général des Forces armées mauritaniennes. L‘objectif était de renforcer le partenariat, dans les domaines des media militaires et de la communication institutionnelle. La quatrième session de la Commission mixte maroco-mauritanienne, tenue en novembre 2023, à Nouakchott, était marquée par des discussions autour de la formation et l’entrainement conjoints, incarnant une diplomatie de défense proactive et pragmatique. Cette vision, aux yeux des deux voisins, est en adéquation avec les nouvelles réalités sécuritaires du Maghreb et du Sahel, où la porosité des frontières et les flux illicites requièrent une réponse, non seulement coordonnée mais également robuste.
En juillet 2024, le Maroc et le Burkina Faso ont signé un accord de coopération militaire, qui comprend, notamment, des entrainements et des exercices, le soutien technique et la médecine militaire. À ce titre, le Maroc a accueilli en mai 2025 une délégation d’officiers burkinabè pour un stage de formation en sécurité militaire. Toujours dans le cadre, 200 militaires burkinabè ont bénéficié de six semaines de formation, théorique et pratique, en techniques de saut parachutiste au Centre d’instruction des troupes aéroportées de Bobo-Dioulasso, entre juin et juillet 2025. La coopération militaire entre le Royaume et le Mali comporte les mêmes domaines, avec, en plus, la formation d’unités de l’armée malienne dans les académies et écoles militaires des FAR. Du 27 au 29 mai 2025, une délégation de l’armée malienne s’est rendue au Maroc, dans ce cadre.
Flintlock, grand exercice américain
Le plus important exercice annuel de l’AFRICOM est Flintlock, instauré en 2005. Il s’agit d’un exercice militaire et policier combiné. Son objectif est de renforcer la capacité des pays partenaires clés africains à contrer les organisations extrémistes violentes, à collaborer au-delà de leurs frontières et à assurer la sécurité de leurs populations. Cet engagement américain se traduit, également, par le déroulement d’un programme d’appui de 46 milliards de FCFA, destiné aux unités opérant dans les zones les plus exposées à la menace terroriste. Le même élan sera doublé d’un autre programme de formation en secourisme de combat ou en compétences médicales essentielles. Cette année, le Bénin, le Cameroun, le Cap-Vert, le Ghana, le Libéria, la Libye, le Maroc, la Mauritanie, le Nigeria, le Sénégal, le Tchad et le Togo ont pris part à l’édition 2025 qu’a accueillie la Côte-d’Ivoire, du 24 avril au 14 mai. Au total, 38 pays, réunissant 500 personnels des Forces spéciales, s’y sont frottés. La Côte-d’Ivoire et le Ghana avaient co-hébergé les éditions 2023 et 2024. Flintlock 2024 avaient formé 1 300 militaires originaires d’une trentaine de nations africaines et leurs partenaires internationaux. Fondamentalement, l’exercice a pour finalités : le renforcement de l’interopérabilité, la coordination des opérations et de la réactivité face aux menaces transnationales telles le terrorisme et le crime organisé. L’édition 2025 cible les défis sécuritaires mondiaux, souligne l’importance de la lutte anti-terroriste et de l’action conjointe contre l’instabilité régionale. Elle fait la promotion du partenariat international, dans le contexte sécuritaire de l’Afrique de l’ouest et du nord.
La présence chinoise est également significative dans le domaine de la formation militaire au Sahel. Elle a signé des accords bilatéraux avec les pays de l’AES en matière de formations de militaires, en Chine, et de livraison d’équipements militaires. Début 2025, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a dévoilé une stratégie ambitieuse visant à renforcer la sécurité et la stabilité dans le continent. Deux piliers essentiels :
– Formations et renforcement des capacités de 6 000 soldats et de 1 000 policiers, afin de les rendre capables de répondre aux défis sécuritaires constants, en particulier le terrorisme et les insurrections ;
– un engagement de 136 millions de dollars en assistance militaire, afin de fournir non seulement des équipements mais aussi de l’expertise technique pour moderniser les armées locales.
‘’La diplomatie du drone’’ de la Turquie.
La Turquie pratique ‘’la diplomatie du drone’’ avec les armées du Sahel, maniant l’argument de la vente du matériel militaire, particulièrement des drones, aux pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). Elle livre aussi des avions de surveillance et de transport de troupes, avec, à la clé, des instructeurs pour la formation de militaires au maniement et à la maintenance de ces vecteurs. La Turquie a renforcé ses liens stratégiques avec le Cameroun, un pays important de la lutte anti-djihadiste au Sahel. Le ministre turc de la Défense, Yasar Guler, s’est rendu dans ce pays, début mai 2015, lors de la 3è session de la Commission mixte Cameroun – Turquie. C’était l’occasion de saluer les nombreuses initiatives en matière de formations. Il s’agit de stages offerts aux élèves officiers et sous-officiers camerounais dans les académies militaires turques, ainsi que l’accueil de missions d’études de l’École supérieure internationale de guerre (ESIG) de Yaoundé et de l’École internationale des forces de sécurité (EIFORCES) d’Awae, ces deux dernières années. De nombreux militaires du Sahel continuent d’être formés dans ces deux grandes écoles. Awae est une commune du Centre du Cameroun, située à 50 km de Yaoundé.
Jusqu’à fin septembre 2024, des militaires français, entre autres, apprenaient à des homologues tchadiens à servir de lien essentiel entre les troupes au sol et les capacités aériennes. Leur mission principale sera, plus tard, de dialoguer avec des aéronefs, afin de faciliter la compréhension des manœuvres au sol, et d’assurer la distinction entre les troupes alliées et ennemies. Ils auront pour tâches, également, de guider les aéronefs de reconnaissance et de surveillance pour détecter des cibles d’opportunité, permettant d’adapter la manœuvre en temps réel. Les Forces françaises au Tchad organisaient aussi, au profit d’éléments de l’armée de l’air tchadienne, des modules portant sur les escortes des autorités, avec une partie aérienne sur hélicoptère MI-17 et une autre terrestre, au champ de tir de Massaguet, situé à 80 km au nord de la capitale tchadienne.
Avec cet échantillon de formations, comment les capacités militaires des armées sahéliennes ont-elles évolué, ces dernières années ? Elles ont fait, probablement, des progrès. Mais jusqu’à quel niveau opérationnel ? En face, leurs ennemis djihadistes ont acquis aussi des connaissances nouvelles et des armes plus perfectionnées. Par exemple, la Russie et les pays de l’AES accusent l’Ukraine d’avoir exporté sa guerre avec Moscou au Sahel, en fournissant, notamment, des drones et de l’expertise appropriée aux groupes armés terroristes. Ceci explique-t-il, en partie, les difficultés des armées sahéliennes à contrer systématiquement l’ennemi, dans un contexte conflictuel en perpétuelle mutation ou juste une nouvelle excuse face à des échecs continus?