Limam Nadawa, Consultant, Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel Sahara Centre 4s.org
Les conflits au Sahel amorcent un tournant technologique important. En plus des affrontements au sol, les terroristes y utilisent de plus en plus des drones. Cette évolution modifie les rapports de force sur le terrain. Les capacités d’armement des Groupes armés terroristes (GAT), les saisies qu’ils opèrent sur les stocks des armées nationales – suite à des combats – les logiques commerciales ainsi que la géopolitique mondiale favorisent ce phénomène. Les armées sahéliennes, pour lesquelles ces vecteurs constituaient une panacée, sont amenées à réfléchir sur l’usage de ces engins. Désormais, avec les attaques par des drones, la bataille du ciel au Sahel inclut la lutte dans le domaine électronique.
En 2025, les principaux livreurs de drones en Afrique sont : Turquie, 32 vendus, Chine, 27, Israël 18 ; États-Unis, 14, Iran, 9 ; Émirats arabes unis, 7 ; France, 5 ; Afrique du Sud, 3. Les pays clients sont :
Pays ayant acquis des drones
| Pays | Nombre de drones acquis. |
| Nigéria | 18 |
| Algérie | 15 |
| Éthiopie | 12 |
| Maroc | 11 |
| Mali | 08 |
| Égypte | 07 |
| Soudan | 07 |
| Burkina Faso | 06 |
| Niger | 06 |
| Tunisie | 05 |
| Cameroun | 04 |
| Libye (LNA) Gouvernement de l’Est du Maréchal Haftar | 04 |
| Sénégal | 04 |
| Libye (GNC) Gouvernement de Tripoli | 03 |
| Cote-d’Ivoire | 02 |
| Bénin | 01 |
| Ghana | 01 |
| Mauritanie | 01 |
| Soudan (Forces de Soutien Rapides, FSR) | 01 |
| Tchad | 01 |
| Togo | 01 |
Sources : Africa-center.org FR Drones Sankey
Au Sahel, la guerre des drones entre djihadistes et juntes au pouvoir
YouTube, Le Monde, janvier 2025
Les drones : armes phares.
Ce tableau montre que de nombreux pays sahéliens, ou concernés par le terrorisme au Sahel, font le choix des drones comme outils de combat, en dépit de leur coût. Le drone armé de l’armée malienne, abattu mardi 1er avril 2025, par l’armée algérienne, au-dessus de son territoire, avait coûté 30 millions d’euros, soit près de 20 milliards CFA, d’après Bamako. Les pays africains sont davantage consommateurs que producteurs. Un seul, l’Afrique du Sud, en construit. Les grands pays africains figurent sur ce tableau :
– Nigéria, troisième armée du monde en nombre de soldats et pays le plus peuplé d’Afrique, 237 millions d’habitants;
– Algérie, le plus gros budget militaire du continent, 25 milliards de dollars US en 2025 ;
– Royaume du Maroc dont l’armée figure au septième rang africain, aspire à être comparable à celles des puissances mondiales;
– L’Égypte, première force armée d’Afrique et une des 15 premières puissances militaires mondiales, selon Global Fire Power.com., qui évalue les capacités conventionnelles de 138 armées.
– Éthiopie, cinquième puissance militaire africaine, a réussi à stopper la tentative de sécession de la province du Tigré, partiellement grâce aux drones turcs.
– Soudan, 9e armée africaine.
– Libye 10e armée africaine.
Au sein de l’AES, le Mali arrive en tête avec 8 drones, suivi du Burkina et du Niger, avec 6, chacun. L’engouement est donc réel dans tous ces pays. Le hic, c’est que les Groupes Armés Terroristes, GAT, en disposent aussi, savent s’en servir, peuvent en acquérir ou en fabriquer, à foison, et à moindre coût, même si, de moindre envergure. L’on remarquera, entre autres, que les Forces de soutien rapides (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo dit Hemeti, en ont acquis aussi. Son adversaire, le général Al Bourhane avait reçu l’ambassadeur de Chine pour demander des ‘’explications’’ sur le fait que les FSR avaient acquis les mêmes drones chinois que son armée. La Chine a réfuté ces accusations de connivence avec l’ennemi.
À cet égard, les pays africains recourent à la Chine pour l’achat d’armes parce qu’elles sont moins chères et aussi parce que les accords avec celle-ci ne sont pas régis par la Règlementation sur le commerce en la matière à l’échelle internationale. Le plus grand fabricant et vendeur d’armes chinois, Norinco, a ouvert un bureau au Sénégal, en août 2023. Il en avait déjà d’autres en Angola, au Nigéria et en Afrique du Sud et prévoit d’en ouvrir en Côte-d’Ivoire et au Mali.
Drones civils militarisés.
Les drones utilisés par les GAT au Sahel ne sont pas forcément d’essence militaire. Le plus souvent, il s’agit de modèles commerciaux, accessibles, en ligne ou sur les marchés parallèles, en provenance de Chine ou de Turquie. D’apparence civile, ils sont pourtant devenus des outils redoutables pour le repérage, la surveillance et la coordination d’attaques. D’accès facile en Afrique de l’Ouest ils sont vendus dans le commerce local pour de multiples usage : l’agriculture, l’évènementiel, la communication, etc. Du fait de leur petite taille, ils sont facilement dissimulables et peuvent aisément faire l’objet de trafics dans une région où les frontières sont poreuses, la coopération transfrontalière inopérante et la corruption systémique.
Au Nord du Burkina Faso et dans la ‘’ Zone des trois frontières’’, ces drones de seconde catégorie permettent aux GAT de cartographier les positions des armées, d’observer leurs mouvements, voire de guider des embuscades avec une grande précision. Ils sont des outils de guerre à la fois économiques et redoutables, permettant de mener des attaques destructrices à distance sans exposer leurs utilisateurs au danger. Ils représentent également une menace supplémentaire pour les populations civiles. ‘’ Les avions, on les entend venir, mais les drones, on ne les voit pas, on ne les entend pas, on ne sait pas d’où sortent. Ils représentent une menace permanente.’’ Les populations ressentent du stress, quand elles organisent des événements – mariages, baptêmes ou funérailles – parfois des cibles d’attaques.
À des fins de propagande, et pour analyser leurs performances tactiques, certains GAT filment leurs opérations à l’aide de drones. De plus, des cas de drones modifiés pour transporter des charges explosives sont signalés au Mali, au Burkina Faso, au Niger, Bénin et Togo. En effet, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GISM), affilié à Al-Qaida, est soupçonné d’exploiter cette technologie, pour cibler les bases militaires et des groupes d’autodéfense. Le GISM a concentré ses assauts, entre mars et juin 2025, sur des zones tel le Boulikessi, Mali. Le Front de libération de l’AZAWAD (FLA), dans le Nord Mali, opère de même. Les deux mouvements coopèrent, en la matière, s’inspirant des conflits de Libye et du Moyen-Orient.
Afin de ne pas être détectés, les GAT se dotent de ces engins à fibre optique, pour éviter le brouillage radio. Cette menace est prise au sérieux par les autorités locales au Mali où le gouverneur de Kayes avait mis en garde, en juillet 2025, les populations contre l’usage non contrôlé de drones civils. Il les décrit comme un risque potentiel dans un contexte sécuritaire tendu. Il a instruit les détenteurs de drones de restreindre leur utilisation et de se référer, désormais, aux Forces de défense et de sécurité, avant tout lancement. Au Soudan, les Forces de soutien rapides (FSR) ont utilisé des drones kamikazes pour attaquer les bases des Forces armées soudanaises, en avril 2025, à Al-Qadarif, capitale de l’État éponyme, située à 350 km au Nord-Est de Khartoum. Des explosions s’étaient produites, suivies de tirs de missiles aériens à partir du sol. L’autre inconvénient majeur est que les drones multiplient les risques de bavures sur les populations civiles. Un rapport de Drone Wars UK, un site du Royaume-Uni qui mène des recherches sur le développement et l’utilisation des drones armés et d’autres nouvelles technologies militaires létales, révèle que de novembre 2021 à novembre 2024, environ 943 civils ont été tués par des frappes de drones dans des pays africains.
Détruire les drones malveillants.
Les drones restent pertinents dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, à condition d’user de solutions innovantes pour détruire les malveillants : les armes laser, le brouillage, la destruction cinétique et des méthodes de protection. Des dispositifs utilisent un faisceau laser concentré pour détruire le drone en vol, avec une précision chirurgicale. Ils éliminent les cibles à distance, sans répandre de débris nocifs. Les armes laser sont particulièrement indiquées dans les zones sensibles où une neutralisation rapide s’impose. Cette technologie est recommandée pour la protection de sites tels les aéroports, les centrales nucléaires et les bases militaires. Le brouillage est une technique consistant à perturber les communications entre un drone et son opérateur, rendant la navigation impossible. La méthode est préconisée dans les zones densément peuplées, afin d’éviter les dommages collatéraux. On l’utilise aussi pour bloquer l’accès de drones malveillants aux cibles humaines et aux infrastructures. La destruction cinétique permet d’abattre le drone à l’aide de projectiles. Le bémol est que la chute de débris est susceptible de causer des blessures aux humains et aux animaux ainsi que des dommages matériels. Les armées utilisent également la détection des drones, y compris les plus petits, par des systèmes combinant radar, radiofréquence et diverses caméras, pour repérer des drones dans un certain rayon.
Nouveau défi des pays sahéliens : le ciel se militarise, sans contrôle concerté des États ni règlementation globale ou régulation de l’usage des drones. Un cadre juridique est à bâtir, de façon participative….
