Sahel Sahara: au-delà de la crise malienne

Nouvelle approche à une crise structurelle.


Des efforts méritoires ont été déployés pour arriver à l’Accord de paix du 20 Juin. Comme on le sait, il avait déjà été signé par le gouvernement et ses alliés armés le 15 mai 2015. La réalisation de cet objectif n’a pas été facile et il y a de sérieux espoirs que l’accord sera différent des précédents. Cependant, une fois les signatures apposées au bas du document, une question embarrassante persiste dans de nombreux esprits: et alors? En d’autres termes quoi de neuf ? Et de rappeler qu’après les  Accords de paix  de Tamanrasset en 1991, le Pacte national de 1992, la Flamme de la Paix de 1996, et l’Accord d’Alger de 2006, celui du 20 juin, n’est pas en effet, le premier règlement de paix inter Maliens.


La médiation et la communauté internationale qui la soutient doivent se préparer à d’éventuelles  déceptions. A partir de leur propre expérience, acquise au cours des quatre dernières décennies, les Maliens ne seraient pas surpris par une rechute c’est-à-dire une reprise de la crise. Comme cela s’est souvent produit ailleurs, dans des conflits profondément enracinés, les Maliens ont eux aussi, des difficultés à aller, une fois pour toutes, aux causes profondes de leur crise. Les parties au conflit continuent de fonctionner sur des trajectoires parallèles en ignorant les griefs des uns et des autres.


Etant l’Autorité légitime, responsable de la viabilité présente et future du pays  ainsi que de la sécurité de ses citoyens, le gouvernement doit assumer une responsabilité particulière dans ce domaine. Il lui revient de prendre des décisions audacieuses qui apporteront une paix et une stabilité durables. Comme il ne peut le faire seul, il doit continuer à tendre une main amicale à une opposition responsable. Celle-ci devrait coopérer avec le gouvernement sur les questions d’intérêt national comme l’est précisément la crise actuelle. Une crise qui, faut-il le rappeler, n’est pas récente !


Dans son intérêt à long terme, Bamako doit rompre définitivement avec les pratiques politiques des 50 dernières années qui ont souvent consisté à la recherche de gains politiques à court terme. Ces couteuses victoires à la Pyrrhus ont été désastreuses pour le Mali et ses voisins. Contrairement aux attentes des gouvernements successifs, elles ont abouti à la création de nouvelles générations de rebelles plus articulés politiquement et militairement. Chacune d’entre elles a pris les armes contre Bamako. Contrairement à leurs prédécesseurs des années 1960, plus isolés internationalement, les nouveaux rebelles ont réussi à établir des liens avec divers milieux politiques régionaux et internationaux, officiels et non-officiels.


Involontairement, les politiques gouvernementales successives ont déstabilisé l’armée nationale et gaspillé, en vain, d’importantes quantités de ressources. Finalement, le Mali apparait aujourd’hui comme un état ouest-africain chroniquement instable. Une injustice pour le président IB Keita qui croit véritablement en un consensus national et un règlement équitable.


Le temps est venu pour expliquer aux citoyens Maliens qu’un règlement durable ne saurait être un signe de faiblesse, mais bien au contraire, un pas décisif en avant vers un pays plus fort.


La perpétuation d’un conflit qui s’autoalimente.


A moins que les dirigeants maliens – majorité présidentielle, opposition et organisations de la  société civile, n’agissent rapidement et de façon cohérente et décisive, le règlement sera bientôt  hors de leur portée. Sur l’agenda international, le Mali n’est pas une priorité de premier plan comme le sont l’Ukraine et la Syrie. Par conséquent, son leadership doit se départir des anciennes  pratiques de gestion de ses crises qui finissent par aider les rebellions. Celles – ci  sont de plus en plus complexes dans leurs compositions ethniques et géographiques ainsi que dans leurs objectifs. Hélas cela ne se traduit pas nécessairement par plus de sagesse.

Les militants Touaregs et d’autres radicaux peuvent compter sur un nombre croissant de nouveaux alliés comme le ” Front de Libération du Macina” de sudistes tels les Khalil Ismaël et Tahirou Bah. Avec d’autres, ceux-ci ont revendiqué les récents attentats à Fakola et Misséni, des localités proches de la frontière avec la Côte d’Ivoire et, la même semaine, celui de Nara près de la frontière avec la Mauritanie. La situation se trouve également aggravée par les arrivées régulières dans la région des combattants étrangers dans le but de remonter le moral des combattants locaux et de former des nouvelles recrues.


La situation fragile du Burkina Faso est propice à une fraiche et plus forte présence des radicaux dans le pays pendant que ses élites sont occupées à lutter pour la prise du pouvoir lors des prochaines élections. Ou même avant ces élections! Le Tchad a démontré une forte détermination et une capacité à affronter les radicaux dans tout le Sahel. Cependant, il essaie maintenant de les éradiquer de sa capitale Ndjamena. Ailleurs, dans presque toutes les capitales et grandes villes de la région des cellules dormantes recrutent et planifient de futures actions terroristes. Ou simplement des expressions de ras le bol !


La zone des opérations armées s’est donc élargie de l’Algérie vers le nord du Mali et, dans ce pays, vers sa frontière sud avec la Côte d’Ivoire et celle du au nord-ouest avec la Mauritanie. Cette expansion a également une dimension  ouest – est allant du sud de l’Algérie vers la Libye avec des retombées vers le nord du Nigeria via le Tchad. Désormais, la lutte contre cette nouvelle race de radicaux est au-delà des capacités militaires et de sécurité du seul Mali. Malgré, ou à cause de la présence dissuasive de militaires français et des troupes de maintien de la paix des Nations Unies, les défis de sécurité du Sahel ont encore de beaux jours devant eux.


L’un de ces défis est constitué par les malentendus entre les Casques bleus des Nations Unies et un certain nombre de civils Maliens. Il en a résulté un faible soutien du public à la MUNISMA, le nom de la Mission des Nations Unies au Mali. Diaboliser une présence armée internationale, ou bilatérale, amie s’est souvent avéré contre-productif.


Au cours des cinq dernières années, la crise malienne s’est transformée en une crise régionale majeure. De nombreuses raisons expliquent cette transformation. D’abord il y a les puissances sous régionales qui ne dansent pas au même rythme. Ayant plutôt des agendas politiques concurrents, ils ne peuvent aider à régler une crise! Ils peuvent, au contraire, exacerber les tensions politiques et compliquer les actions sérieuses pour la résoudre. Avec cependant les risques de s’y  trouver eux-mêmes embourbés voire contaminés.


La transformation de la crise.


Le Sahara Sahel est de plus en plus une vaste auberge espagnole, où opèrent des groupes multiples –  politiques, ethniques et criminels – poursuivant des politiques aux objectifs variés. Cela très souvent en bonne entente ou grâce à la tolérance de services de sécurité nationale, soit indigents soit mal équipés. Toutefois il n’existe pas de confusion entre ces opérateurs dans la mesure où chaque groupe vise principalement à atteindre ses propres objectifs.


Après les succès des engagements militaires de la France – Serval et Sangaris – ces groupes ont adapté progressivement, et avec une certaine réussite, leurs stratégies et opérations  aux nouvelles réalités militaires sur le terrain.


Au lieu des attaques et confrontations impliquant un grand nombre de combattants et de véhicules, ils se sont astucieusement adaptés à la présence des troupes étrangères. Ils personnalisent leurs attaques. Pour éviter la détection et des ripostes de l’armée française, leurs attaques sont désormais menées par un maximum de deux ou trois voire par un seul individu. A pied, mais le plus souvent sur des motos, ils sont difficiles à différencier de tout autre citoyen ordinaire du Sahel. En outre, ils mettent en commun diverses ressources appartenant à des groupes ayant des objectifs différents, mais avec une priorité commune: l’instabilité régionale.


Où est la drogue? Le trafic de drogue, aujourd’hui  invisible sur les écrans radars, reste probablement  un des principaux bénéficiaires de cette situation confuse.


Comme leurs collègues au Moyen-Orient et en Somalie, les radicaux du Maghreb et du Sahel accordent une priorité spécifique aux médias et à la communication. Ce faisant, ils posent un dilemme à la presse dans les pays démocratiques. Celle-ci devrait-elle ou non rendre public les informations fournies par ces groupes radicaux? Et, en même temps, comment censurer une information dans un environnement politique libre?


Faire face à ces nouveaux dilemmes n’est pas chose aisée, surtout pour les partenaires démocratiques du Sahel: la France, l’Union européenne et les Etats-Unis pour ne citer que ces trois. Pour lutter contre la radicalisation rampante des sociétés du Sahel, le soutien politique et militaire aux gouvernements locaux doit encore prouver son efficacité. Il devra réussir à conquérir les cœurs et les esprits des populations.


En Afghanistan, comme en Somalie et au Yémen, où les soutiens politiques et militaires internationaux  étaient vastes et cohérents, les groupes radicaux sont encore très présents. Pourquoi devrait-il en être autrement dans le Sahel si les soutiens extérieurs continuent d’être fournis, sans conditions, à des régimes qui sont réticents à mettre en œuvre des gouvernances responsables?


Tirant les leçons de la lutte contre les mouvements radicaux, il est essentiel d’encourager fortement les pays du Sahel à constituer des gouvernements d’unité nationale qui sont en mesure d’élargir les bases sociales de leurs régimes de manière à leur permettre de relever les défis ardus autant politiques, qu’économiques et de sécurité. Les détournements des ressources nationales et des dons affectés aux services de sécurité pour lutter contre le terrorisme ou leur utilisation pour le harcèlement  des opposants ou des dirigeants des organisations de la société civile ou pour extorquer des ressources au secteur privé, sont les principaux ingrédients de la radicalisation du Sahel.


Tant que les partenaires extérieurs continueront à détourner leurs regards des mauvaises gestions financières et des exclusions ethniques menées par leurs partenaires du Sahel, les groupes radicaux et d’autres mouvements extrémistes, auront encore de beaux jours devant eux. En même temps, les taux élevés de chômage des jeunes et une urbanisation en croissance rapide, alimenteront  les migrations irrégulières qui continueront à déverser des milliers de jeunes africains sur les rives sud de l’Europe.


 

Les problèmes sont connus mais la façon de les gérer reste la grande question.

 

Ahmedou Ould – Abdallah, President, www.Centre4s.org

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