Une crise aux racines profondes.
Comme toutes les crises structurelles, c’est-à-dire profondément enracinées, les conflits sahéliens sont la combinaison de plusieurs facteurs imbriqués les uns aux autres. Ils comportent des facteurs internes – identitaires, civils et militaire – propres aux pays affectés et, comme un millefeuille, de multiples strates superposées les unes sur les autres – mondiales, régionales et locales.
Ce cocktail explosif se situe dans et est nourri par un contexte particulier. Contexte d’une urbanisation rapide, d’une forte démographie, d’un chômage élevé, de grands mécontentements populaires et de mouvements contestataires dans des économies nationales de plus en plus informelles et minées par divers trafics que lubrifie une corruption endémique. Nouveaux et en forte croissance, les réseaux sociaux facilite la communication y compris pour les groupes radicaux.
C’est dans cet environnement national et régional fortement tourmenté qu’est venu se greffer et se conforter le terrorisme international ou djihadisme. Il y trouve un contexte social (tribalisme et sectarisme) et économique (rentes) favorable à son ancrage et à son expansion. Le népotisme, voire les monopoles ethniques qui prévalent dans tel ou tel pays, au niveau des grands postes économiques et de sécurité, alimente les instabilités politiques et favorise la permanence terrorisme. Bien intégrés dans leurs sociétés sahéliennes, les djihadistes en connaissent les points, forts et faibles, et les directions, officielles ou de fait, de la Sécurité Nationale, de la Gendarmerie, des Douanes, de la Police et des grandes administrations publiques. Très peu, dans l’appareil bureaucratique dont ils peuvent avoir besoin pour opérer avec succès, ne leur est étranger.
Dans ce contexte volatile, les soutiens extérieurs – Nations Unies, Etats Unis, France et Union Européenne – ne peuvent être que des appoints aux efforts nationaux politiques et militaires. Sans la loyauté de ses alliés nationaux, une force militaire étrangère peut, très rapidement, atteindre ses limites stratégiques et budgétaires avant de se transformer, en handicap politique et cauchemar militaire.
Aujourd’hui, le talon d’Achille dans la lutte contre l’extrémisme au sein du G 5 Sahel se situe précisément à ce niveau. Pour rendre cette lutte encore plus efficace, les gouvernements du Sahel doivent expliquer à leurs opinions publiques la nature et les raisons de la présence militaire étrangère et la défendre. L’ambiguïté comme les doubles messages, un à l’opinion nationale et l’autre aux partenaires extérieurs, est suicidaire. Entamée depuis le début de la crise avec la France (Serval et Barkhane) puis les Nations Unies (MINUSMA) et des éléments américains et européens, la militarisation du Sahel est bien avancée. Son succès importe plus que son enlisement.
Pour être réussir, en particulier dans un environnement complexe et hostile tel le Sahel, une intervention militaire nationale ou internationale, doit être acceptée et non suspectée par l’opinion publique. De plus, elle demande, outre des troupes bien formées et motivées, des capacités et des arrangements logistiques adaptés à leurs activités.
Toute tentative de règlement d’un conflit qui ignore ses multiples origines et développements, avant et après 2011 – la chute du régime malien – est vouée à s’embourber et à aggraver une situation locale déjà bien compromise. Ceci est encore plus vrai si le doute subsiste sur les objectifs assignés aux troupes étrangères. Une clarification s’impose à tous.
La stabilisation du Sahel aide à éviter ou à minimiser des effets non escomptés : trafics divers et migrations irrégulières massives. Elle est nécessaire et utile aux états de la région comme aux pays extérieurs concernés par la region.
Les voies de règlement de la crise du Sahel.
La première question à poser est : comment les pays du Sahel se sont trouvés dans une telle désastreuse situation ?
La crise Sahélienne n’est pas sortie de nulle part. Elle est ancienne et multiformes – nationale, régionale et internationale – avec un profond enracinement dans les pays. Année après année, elle continue de manifester une forte capacité de rejet de toute tentative de règlement durable. Les différentes parties, rebellions et gouvernements, deviennent progressivement réfractaires aux efforts de médiations. Curieusement, celles comportant une composante internationale sont perçues systématiquement comme équivalentes à d’intolérables ingérences extérieures !
Naturellement, plusieurs possibilités existent pour arriver à un règlement durable. Toutefois, du fait des abus passés, d’une impunité chronique et de la prééminence des intérêts égoïstes à court terme de certaines élites, méfiance et doute continuent de privilégier la perpétuation du statu quo. Ces rigidités ne peuvent cependant constituer des obstacles ad aeternam à la mise en œuvre de mesures de confiance préalables en vue de faciliter des solutions.
L’une des toutes premières mesures de confiance à entreprendre relève du domaine politique. Il s’agit de consolider et de renforcer la légitimité des gouvernements à travers la formation de fronts nationaux. Des coalitions ou gouvernements d’unions doivent être mis en place avec comme objectif l’élargissement de la base politique des pouvoirs occupant les capitales. Cette inclusion doit aussi rassurer les populations en particulier les minorités – ethniques, de castes, religieuses ou géographiques – très souvent ostracisées.
Cet effort interne doit prouver sa crédibilité aux populations par la manifestation quotidienne de plus de rigueur politique et administrative. L’une des mesures de confiance, qui sera sans doute la plus appréciée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, est un combat crédible et soutenu contre le cancer de la corruption. Il convient de ne jamais oublier que la corruption, impunie, discrédite les pouvoirs et les institutions politiques et administratives.
Le renforcement des fronts politiques internes doit être consolidé par une coopération régionale entre les pays du Sahel. Les groupements tels le G 5 Sahel et le Liptako Gourma peuvent continuer à se renforcer dans leurs structures techniques et, à travers une coopération ouverte et intelligente, prouver leur utilité aux populations et aux partenaires internationaux.
Les pays voisins concernés et intéressés – en particulier l’Algérie, le Maroc et le Sénégal – doivent être associés selon une forme à trouver avec eux, collectivement, ou état par état. Le G 5 Sahel et ses appuis extérieurs peuvent ne pas pâtir de cette ouverture dont les contours restent à déterminer. De fait, ils ne sauraient sous-estimer le rôle de ‘’spoiler’’, ou gêneur, que peut jouer tout état absent ou exclu d’un projet auquel il pense pouvoir apporter une contribution.
La fragilité des êtas du Sahel n’est pas une fatalité.
Reconstruire des pays les rend capables de faciliter la libre circulation des personnes dans et entre les pays. Elle permet d’attirer et d’exécuter les grands investissements pour développer les indispensables infrastructures de base et exploiter les immenses ressources agricoles et minières.
L’opérationnalisation des forces du G 5 et le soutien international ne sauraient avoir d’autres buts.