Sahel: un prolongement de la guerre Russie-Ukraine ?

Liman Nidawa, Consultant, Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel Sahara (Centre 4s.org)

Face aux ambitions des Occidentaux d’ancrer l’Ukraine à leur organisation militaire, l’OTAN, la Russie a lancé son ‘’opération’’ contre ce pays, le 24 février 2022. Ce qui devait se conclure en quelques semaines s’est transformé en un conflit d’envergure. Alors que sur le front crépitent des armes, explosent des décharges de bombes et planent des drones non moins meurtriers, l’Ukraine a entrepris de combattre la Russie jusqu’au Sahel, en soutenant les djihadistes, avec des conseillers militaires et des armes, initialement destinées au théâtre des combats sur son sol. En parallèle, elle tente de contrer l’influence russe par une offensive diplomatique et des propositions de coopération en Afrique. Son intrusion inattendue dans le Sahel complique la lutte contre le terrorisme des armées concernées.

Un des forts indices de l’ampleur des combats est le nombre des victimes. En effet, les pertes de l’armée ukrainienne s’élèvent à environ 600 000 morts pour près de 500 000 blessés ainsi que 200 000 déserteurs. En face, la Russie déplore 110 000 morts et 300 000 blessés. Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes pour l’Ukraine et ses alliés. Les localités tombent aux mains des Russes, les unes après les autres. Lablonivka, dans la région de Soumy, située à environ 25 km de la capitale régionale éponyme, a été conquise. Dans la région de Donetsk, où se déroulent la plupart des combats, l’armée russe a pris le contrôle des bourgades de Komar et de Koptiévé. C’est là que Vladimir Poutine a annoncé vouloir établir une ‘’zone tampon’’, pour se protéger d’incursions ukrainiennes sur le sol russe. L’Ukraine et l’Occident sont désormais convaincus que celle-ci ne peut pas triompher de la Russie.

Difficile d’aboutir à la paix

Le président américain, Donald Trump, qui avait promis de mettre fin à cette guerre, alors vieille de 35 mois, en un seul jour, discute de la fin du conflit avec Poutine, pour le moment, en vain. Excédé par les conditions de paix que veut imposer Poutine, il a organisé des face à face russo-ukrainiennes, à Istanbul, en Turquie. En position de force sur le terrain, Moscou rejette, d’emblée, toute trêve ainsi qu’un sommet entre Vladimir Poutine et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky. En outre, un mémorandum russe exige notamment la ‘’neutralité’’ de l’Ukraine, donc l’abandon de tout alignement sur l’Occident, le renoncement à l’adhésion à l’OTAN et l’interdiction de toute présence militaire étrangère sur le territoire ukrainien. La Russie réclame aussi la cession de quatre régions de l’est de l’Ukraine ainsi que la reconnaissance de l’annexion de la Crimée. Lesdites régions sont : Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijia. Il faut dire que ‘’ l’opération militaire spéciale’’ a atteint, dès 2022, ses objectifs politiques, à savoir obliger l’Ukraine à négocier aux conditions de la Russie. Adossée à ses alliés occidentaux, États-Unis en tête, Kiev rejette la reconnaissance des quatre régions, refuse la limitation de ses Forces de défense et de sécurité, alléchée par les promesses d’envoi de militaires britanniques et européens, une fois la paix revenue.  L’Ukraine exige également que la Russie lui verse des réparations pour les destructions qu’elle a causées. Autant dire que les positions sont peu conciliables. Donald Trump menace Moscou de nouvelles sanctions économiques, si d’ici le 10 août 2025 la paix n’est pas signée. Mêmes nuages lourds de la part de l’Union européenne et de la Grande-Bretagne. Un ultimatum lancé à Vladimir Poutine. Alors donc que les combats se poursuivent sur la ligne de front, l’Ukraine a décidé de porter sa guerre contre la Russie en terre africaine. Le prétexte ? La présence active de militaires et de paramilitaires au Sahel, entre autres. La firme Wagner a été remplacée par Africa Corp, et placée sous la responsabilité directe du ministère russe de la Défense. Cet organisme de coopération militaire est très présent au Mali et, à faible dose, au Burkina Faso et au Niger. Il a été déployé, officiellement, sur le front malien en janvier 2025, fort de près de mille éléments.

L’implication de l’Ukraine dans le terrorisme au Sahel

L’implication de l’Ukraine dans le terrorisme au Sahel a été avouée par ce pays lui-même. Du 25 au 27 juillet 2024, à Tinzawaten, dans le Nord du Mali, des ‘’rebelles Touareg’’ du Cadre stratégique pour la défense des peuples de l’AZAWAD, alliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al-Qaida (JNIM), affrontent durement un convoi de soldats maliens appuyés par leurs partenaires russes de Wagner.  84 éléments de Wagner, dont un commandant, et 47 soldats maliens sont tués. Les rebelles affirment avoir fait également, 07 prisonniers russes. Au lendemain de cette cuisante défaite militaire, le porte-parole du Renseignement militaire ukrainien (GUR), Andriy Yusof, avait, publiquement, déclaré que des agents du GUR avaient fourni aux séparatistes ‘’des informations nécessaires qui leur ont permis de mener une opération militaire réussie contre les criminels de guerre russes’’. L’ambassadeur d’Ukraine au Sénégal, Yurii Pyvovarof, jubilait sur les réseaux sociaux : ‘’ Le travail se poursuivra ; il y aura certainement d’autres résultats. La punition des crimes de guerre et du terrorisme est inévitable. C’est un axiome’’. Cet aveu ou cette bavure diplomatique avait poussé les trois pays de l’AES à rompre, solidairement, leurs relations avec l’Ukraine. Ils avaient joint leurs voix à celle de la Russie, pour qualifier l’Ukraine d’État terroriste. Le gouvernement malien avait, par la suite, diligenté une enquête sur une implication effective de l’Ukraine dans ‘’des actions criminelles ayant causé de lourdes pertes humaines’’. Les résultats avaient confirmé ce que les autorités maliennes qualifient de ‘’soutien au terrorisme international’’. Des médias occidentaux, tel le quotidien français Le Monde, avaient relayé et confirmé l’action de Kiev. Selon leurs propres investigations, l’Ukraine aurait fourni un appui logistique et technologique à des rebelles maliens. 

Gros risques pour le Sahel

Ultérieurement, le président Volodymyr a affirmé que son pays était prêt à partager son ‘’expérience militaire’’ avec les États africains. Devant un parterre de journalistes de dix pays africains, réunis par le ministère ukrainien des Affaires étrangères, il a mis en exergue la volonté de l’Ukraine de renforcer ses liens avec l’Afrique : ‘’L’Ukraine est prête à partager son expertise, notamment dans le domaine militaire, pour soutenir la stabilité et la sécurité’’. Lors des combats de Tinzawaten, les rebelles sont soupçonnés d’avoir utilisé des drones et des matériels anti-aériens, avec une rare efficacité. L’armée malienne avait reconnu y avoir perdu un hélicoptère. Cette intégration des drones dans l’arsenal des rebelles maliens modifie, fondamentalement, les stratégies de combat ainsi que les tactiques de terrain. Ces appareils offrent aux terroristes une capacité accrue de surveillance, de renseignement puis d’attaque. Ils leur permettent d’exécuter des frappes précises, à distance et en sécurité. Or les armées sahéliennes les utilisent aussi, de plus en plus. Seul bémol, sans l’appui de soldats au sol, ces vecteurs aériens perdent un peu de leur superbe, de leur puissance.

L’Ukraine, un supermarché d’armes

L’appui de l’Ukraine aux djihadistes représente un danger mortel pour le Sahel. Les États-Unis ont livré à ce pays près de 66 milliards d’aide militaire, entre le début du conflit, en février 2022, et janvier 2025.  Ces équipements comprennent, entre autres, des munitions et des armes de petits calibres, des lance-missiles portables antichars ou aériens. L’Ukraine est classé pays parmi les plus corrompus. Une partie de l’aide militaire serait détournée vers des trafics divers en différents coins du globe. L’importance de cette ‘’ponction’’ oscille entre 30 et 50%, selon les sources. Dans une certaine urgence et en pleine rage de combattre la Russie, les Occidentaux ont baissé la garde dans le domaine de la traçabilité des livraisons d’armes à l’Ukraine. À tout moment, elles peuvent être revendues au Sahel à toutes sortes d’acteurs. L’intervention pose une autre question angoissante : par quel(s) pays voisin(s) du Mali les agents du Renseignement ukrainien, avec leur arsenal, avaient-ils transité clandestinement ou non pour parvenir aux rebelles, à la frontière algérienne ? À ce jour, cette interrogation stratégique, restée sans réponse officielle, nourrit bien de suspicions. Kiev avait posé, dès le début de son conflit avec Moscou, un acte ayant scandalisé des gouvernements africains. Son ambassade à Dakar, au Sénégal, avait publié un avis de recrutement de mercenaires volontaires sur sa page officielle. Ces ‘’ offres d’emplois’’ particulières avaient provoqué l’ire du Sénégal. Dakar avait exprimé son mécontentement, le 03 mars 2022, invitant, du même coup, Kiev à retirer l’appel à combattre en Ukraine et aussi à cesser tout recrutement en ce sens depuis son territoire. Toujours soucieuses de contrarier les intérêts russes, partout en Afrique, les autorités ukrainiennes lancèrent une offensive de charme diplomatique en direction de ce continent. Elles débutèrent leur campagne avec un handicap majeur. En effet, près de la moitié des pays africains n’ont pas condamné l’invasion russe, et poursuivent, malgré des menaces de pays occidentaux, leur coopération avec l’héritière de la défunte Union soviétique. De même, aucune contrée africaine ne s’est associée aux sanctions contre la Russie. Ensuite, son intérêt soudain pour l’Afrique soulève des inquiétudes quant à la sincérité de ses intentions. Dans son offensive diplomatique, Kiev a ouvert une ambassade au Sahel, en Mauritanie, en juin 2025. Elle livre à ce pays 400 tonnes de pois cassés, pour nourrir les cantines scolaires et les camps de réfugiés. Outre la Mauritanie, les bénéficiaires sont : l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie et le Soudan. Selon certains rapports, des camps de réfugiés accueilleraient des rebelles du Nord Mali fuyant le régime de Bamako.

Ce qui voudrait dire que y compris l’aide humanitaire de l’Ukraine serait suspecte…

 

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