
© Nicolas Réméné
Autrefois, considéré comme l’un des Etats stables de l’Afrique de l’Ouest post multipartiste, le Burkina Faso est rentré, ces dernières années, dans une ère de convulsions sécuritaires sans précédent. La nouvelle carte sécuritaire du pays est minée par des groupes terroristes qui, par leur virulence et la récurrence de leurs attaques questionnent les doctrines politiques et sécuritaires du pays.
Posture opérationnelle croissante, pour quel résultat ?
Devant l’urgence de Défense nationale, le 21 janvier 2020, le Parlement a adopté à l’unanimité le projet de loi autorisant le recrutement des jeunes volontaires pour constituer la première sentinelle.
Ces derniers, recrutés précise le texte, après l’approbation des responsables coutumiers de leurs villages doivent, en pratique, bénéficier d’une formation militaire de quatorze jours. Certes, la décision intègre les éléments théoriques de Défense populaire, mais pose les bases ontologiques d’une ‘’milicianisation’’ de la réponse au terrorisme.
L’hybridation de facteurs, la multiplicité d’acteurs et d’autres tendances lourdes que les forces de Défense et de sécurité percutent régulièrement, posent de plus en plus les jalons d’une implosion de l’Etat burkinabè. Dans cet imbroglio, les politiques sécuritaires et militaires semblent ignorer le fait que la logique d’engagement de l’individu dans les groupes procède d’une conviction, d’une foi éprouvée, non d’une décision prise ex-nihilo. Cet amont, à la fois sujet d’embarras et de complication, négligé au profit du militarisme semble être l’angle mort de la lutte antiterroriste du pays. La propagation fulgurante des attaques terroristes au Burkina vient du refus d’en traiter la source, en l’occurrence la dimension idéologique.
Ainsi, le temps est-il venu d’admettre que le terrorisme islamiste résulte d’un projet mondial de domination qui, trouve, à l’intérieur de chaque région, ville et bourgade du pays, des candidats à sa réalisation.
L’occultation, voire la relativisation du projet de domination islamiste a amené la plupart des acteurs de la sécurité à trouver des raccourcis ou des solutions simplifiées qui, visiblement, ne prennent pas en compte le spectre élargi d’un conflit complexe par nature et par définition.
Sur le terrain, ces candidats au jihad fondent leur approche sur la vision…néo-marxiste. Pour celle-ci, les conflits proviendraient des besoins socio-économiques que recèle la situation actuelle du Burkina, faite d’alliances de circonstances, de loyautés mouvantes et d’allégeances opportunistes que la superstructure intellectuelle d’Antonio Gramsci, expliquant que les conflits naissent des idées.
Au cours de notre étude réalisée fin 2019, le substrat religieux paraitrait un facteur essentiel de structuration, de fanatisation ; l’usine de fabrique de l’attirail mental du candidat au jihad. Pour ce dernier, elle fait concrètement asseoir une conviction infaillible que donne la perception de guerre juste. Celle-ci lubrifie et nourrit, à divers points de vue, la ferme détermination et l’engagement sur le théâtre des opérations. Les entrepreneurs de la violence terroriste savent qu’un engagement sans une dose de conviction est un engagement nul. Il convient, ici, de rappeler le cas d’un jeune avec qui nous avons échangé au cours de cette étude.
Il s’est engagé dans la Katiba du Macina au Nord du pays, suite à une rumeur diffuse, faisant état d’une rémunération mensuelle à hauteur de cent cinquante mille francs. A la fin de sa formation, l’information s’est avérée fausse. Pis, il ne pourra faire partie du groupe que s’il accepte de combattre sur le chantier d’Allah et de payer son arme afin d’en disposer. Le jeune se fit financer par un parent pour l’achat de l’arme afin de servir dans le groupe jihadiste.
Réévaluer et réinterroger l’antiterrorisme national.
L’intensification de violences et la mobilisation de multiples vecteurs aggravants de conflictualité, par les groupes terroristes, notamment le destin du jihad identitaire prôné par Amadou Koufa, montrent manifestement que les islamistes sahéliens s’inspirent de la théorie de cruauté et de brouillage d’itinéraires d’Abou Bakr Naji. Ils y voient un moyen nécessaire à la victoire et à la conquête territoriale.
Ainsi, dans son ouvrage, ’’The Management of Savagery’’, il appelle les jihadistes à « entraîner les masses dans la bataille », en la rendant « très violente, de sorte que la mort ne soit plus qu’à une pulsation du cœur ». Dans un contexte d’omniprésence de la terreur et de son ethnicisassion croissante, l’engagement des jeunes mal formés constitue, sous divers points de vue, une constance lourde qui, sur le court et long terme, compliquera davantage les mécanismes antiterroristes.
Dans bon nombre de cas, la politique de sécurité circonstancielle s’avère très souvent inefficace si elle n’a pas une assisse théorique permettant de la valider. Ainsi, toute doctrine de lutte contre le terrorisme doit s’appuyer sur une base de données réactualisée sans répit, pour dégager, remettre en question, performer et restructurer, toujours, des scénarii d’intervention.
A ce sujet, la construction d’une architecture sécuritaire et militaire requiert, en amont, la création d’un cadre de concertation permanente, d’abord entre les acteurs étatiques et ensuite avec des universitaires.
Manifestement, la situation sur la totalité du territoire demande une vision holistique, qui transcende et annihile les pudeurs, les susceptibilités et les préférences subjectives, au profit d’une pleine conscience du risque encouru. Parce qu’il s’agit de foi absolue, de mort et de destruction ; conséquence d’un contentieux séculaire à l’intérieur d’une seule et même religion. Il serait vain de prétendre au succès sans prendre le risque d’une dose de stigmatisation.
L’utilisation de l’Islam à des fins de contrôle de pouvoir politique, de contrôle de l’espace ou d’acquisition de la richesse, place certains musulmans en accusation, partout. Pour limiter l’impact de l’énoncé d’une vérité qui gêne ou blesse, il appartient à l’Etat, notamment à ses services d’intelligence et de veille, d’œuvrer à unir les obédiences sunnites, autour de la défense – visible et franche – de la laïcité, de la démocratie, de la diversité culturelle et de la paix. Cela pose les bases d’une politique de création de Centre de déradicalisation et de la mise en contribution des oulémas pour l’élaboration de doctrine de contre narratif des groupes terroristes.
Ceci parait essentiel, surtout, dans un contexte de surpeuplement du milieu carcéral où se côtoient les idéologues, les combattants et d’autres prévenus du droit commun.
Lassina DIARRA, chercheur au Centre4s