Cote d’Ivoire, lutte contre le terrorisme : soucis et défis.

Les 19 et 20 novembre 2018 se tenait, à Abidjan, un symposium, sous le thème « Lutter contre le terrorisme aujourd’hui : réflexion, action et coordination», en prélude à l’ouverture prochaine, de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), fruit d’une relation privilégiée entre la France et la Côte d’Ivoire. L’AILC se veut un lieu de partage d’expériences et de prospectives, visant à développer, au service de l’Afrique, les compétences requises par la récurrence et l’extension du péril.

 

Le projet s’articule, surtout, autour de la formation, laquelle se décline en trois axes majeurs qui se complètent: le niveau stratégique incarné par un institut de recherche, l’action judiciaire et l’engagement opérationnel et tactique. L’analyse des objectifs et intentions affichés laisse entrevoir un large éventail de possibilités pour l’AILCT. Certes, dans l’espace ouest du continent, la configuration du terrorisme et son ancrage territorial révèlent l’hybridation de nombreux facteurs.

Cependant, la variable de l’idéologie reste le dénominateur commun qui structure et motive les acteurs extrémistes mais aussi leur antichambre civile. En effet, le symposium aura permis de mettre sous l’éclairage, les groupes à temporalité dormante, en somme les personnes d’inactivité provisoire, qui tendent au Djihad, sans l’exercer encore.

Quels sont les enjeux ?

Dans la mesure où l’Académie ambitionne la prophylaxie autant que la cure, elle ne pouvait éluder l’interrogation sur l’avenir des pays point encore touchés, tels ceux du Golfe de Guinée. La spéculation s’avère d’autant moins superflue que l’adhésion à la dimension religieuse du credo de l’extrémisme ne procède systématiquement ni de la transgression, ni du point de vue des croyants, ni selon le droit positif des Etats du champ.

La propagande propitiatoire au fanatisme s’y déploie, impunément, sous le couvert d’associations cultuelles, de lieux de prière, de librairies sélectives et d’œuvres de bienfaisance. Nul gouvernement de la région ne traite un tel risque, faute sans doute de l’aptitude à la mesurer. Des esprits chagrins évoqueraient, plutôt, la paresse, la négligence d’affronter les secrets d’un l’Orient perçu comme lointain, compliqué et dangereux….La plupart ignorent ou découvrent trop tard, que l’ennemi est désormais intérieur…

La nature transnationale de la menace terroriste fonde l’approche doctrinale de l’AILC. Il importe, d’un point de vue pragmatique, de favoriser une lucidité des décideurs, plus particulièrement les acteurs de la sécurité, par la conscience que la dissémination du djihadisme demeure sous-estimée, en dépit de son incidence – certes encore discrète – sur l’économie et la sociabilité. En la matière, la création d’institutions spécialisées permet de cerner les enjeux globaux de l’antiterrorisme, grâce à la mise en œuvre progressive d’un cadre collaboratif et coopératif, aboutissant in fine à la construction d’une architecture sécuritaire et diplomatique qui atténuerait, voire préviendrait, les secousses de la guerre asymétrique.

L’ensemble du contexte régional.

Depuis 2012, le Sahel, particulièrement le septentrion malien, est en proie à une crise multiforme aggravée par l’intrusion des groupes armés qui s’attribuent l’islam pour guide moral et épée. Ces derniers développent des stratagèmes et un langage, articulés en un projet de domination puritaine, afin d’instaurer, sur la surface de la terre, une vérité unique et définitive, sous l’autorité d’un Vicaire de Dieu. Mais l’objectif outrepasse la reproduction du fantasme dans la géographie historique où il prendrait sens. En réalité il vise aussi la conquête et la conversion, sous la contrainte, parce qu’il faut soumettre le mécréant, le subjuguer, y compris par la terreur de masse.

L’intensité, la durée et le territoire sans cesse agrandi se fécondent mutuellement. Au lieu de décliner, l’ennemi perdure, se métamorphose et développe des métastases sur l’ensemble du périmètre ouest-africain et par-delà. La restructuration des groupes islamistes ces dernières années a entraîné le déplacement du centre de gravité, selon un processus d’imitation, puis de récupération endogène, avec l’usage de l’appel à l’identité ethnique, à la paranoïa du complot occidental, voire des accents d’eschatologie messianique, dans l’attente, impatiente, de la fin du monde. A l’heure actuelle, l’espace CEDEAO s’achemine vers la coagulation d’entités jusqu’ici éparses dont les principales demeurent Boko Haram et ses schismes, le Groupe du soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim) et l’Etat islamique au grand Sahara (Eigs).

Dans cet environnement crispé et anxiogène, le rôle de l’Académie se présente comme une réponse institutionnelle et structurelle capable de maintenir la menace terroriste à un niveau acceptable et d’en contenir l’étalement, démographie et espace compris. Pour cela, elle entend fournir, aux acteurs conventionnels, les rudiments d’une régulation sous le triple sceau de l’enseignant, du juge et du militaire. Du moins, sont-ce, là, les priorités que le symposium d’Abidjan a permis de dégager.

Les multiples défis.

Quoiqu’inaugurée sur chantier le 18 octobre 2018 par le Ministre français des affaires étrangères et son homologue ivoirien à la défense, l’AILCT, n’est pour le moment qu’une idée, dont la réunion d’Abidjan offre une image assez prometteuse. D’un coût de construction évalué à 20 millions d’euros, elle s’entendrait, sur quelques kilomètres, sur le littoral Atlantique, dans la ville de Jacqueville où les autochtones, en majorité chrétiens et animistes représentent la majorité de la population. Etait-ce l’environnement idéal d’une étude, in vivo, de l’objet djihadiste ?

Un autre obstacle transparaissait au fil des débats, entre tentation de dire toute la vérité et réflexe du politiquement correct. Des représentants d’Etats, mainte fois victimes de la violence sacrée, sont venus mettre en garde contre la stigmatisation, voire l’islamophobie. Certains ont même suggéré d’abolir, du vocabulaire autorisé, les mots « djihadiste » et « islamisme ». Non sans courage de la part du représentant du Ministère de la Défense ivoirien, le chercheur Jean Jacques Konadjé, la velléité de conformer le langage à la susceptibilité confessionnelle, sera vite déjouée.

Elle n’en révèle pas moins la somme des malentendus qui guettent, à la fois, les formateurs et les élèves de l’Académie, dans une Afrique qui hésite encore à nommer le mal et, ce faisant, retarde le temps de la riposte.

Sur ce plan de la riposte, l’évolution progressive du G 5 Sahel, établi en 2014, peut servir d’exemple pour l’AILCT. Après le Sommet des chefs d’états les 5 et 6 décembre à Nouakchott, les parlementaires de ce groupement se rencontreront avec des collègues français les 12 et 13 du même mois à Paris. Un grand pas en avant vers plus de gouvernance démocratique avec des députés débâtant des dépenses militaires. Viendra ensuite le temps de discussion sur le déploiement des troupes, l’achat des armements et le commandement des forces. Il y a sans doute ici le mérite du nouveau Secrétaire général du G 5 Sahel, le nigérien Maman Sambo Sidikou.

Post Scriptum

Bienvenue, l’AILCT mérite d’être comprise comme une mesure préventive additionnelle d’Abidjan et de Paris dans cette région côtière déjà sur les écrans radars des groupes radicaux. Au centre4s, cette future institution est vue comme complémentaire du G 5 Sahel et de son compétent Secrétariat. Comme telle, elle mérite le soutien international.

Ahmedou Ould Abdallah Président, centre4s.

 

Écrit par Lassina Diarra, chercheur, spécialiste de l’islamisme dans le Sahel Sahara, pour le centre4s.