Contrôles et Rétentions
Cette démarche se heurte à des obstacles internes et aux règles de libre circulation des personnes dans l’espace de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Mais le Niger a un argument de poids : le lien entre les migrants et l’insécurité qui sévit dans la sous-région. Mais, la politique de rétention des migrants est-elle viable, à terme ?
La Commission européenne, avec euphorie, a publié le communiqué de presse suivant, en date du 14 décembre 2016 : « Au Niger, le nombre de personnes qui traversent le désert est tombé de 70 000 en mai à 1 500 en novembre », et « 102 passeurs ont été déférés devant les tribunaux et 95 véhicules ont été saisis ». Ce satisfecit a été délivré au président nigérien, Issoufou Mahamadou.
L’exploit lui a valu une pluie d’Euros. Il cache, cependant, un combat incertain contre des migrants, déterminés à affronter les périls mortels de la traversée du Sahara et du franchissement de la Méditerranée à bord d’embarcations de fortune. Agadez, la grande ville du Nord nigérien, est le carrefour par lequel transite l’essentiel des candidats à l’émigration en Europe, via les pays de Maghreb.
Ils sont entre 100 et 150 000, chaque année, à « tenter leur chance », en passant par cette ville. Près de 90% des migrants d’Afrique de l’Ouest passent par le Niger pour parvenir en Libye et, la moitié des migrants entrés illégalement, en 2014, en Italie, est arrivée par ce pays. Ces acteurs de tragédie viennent, principalement, du Nigeria (19%), du Ghana, du Sénégal, puis, dans une moindre mesure, du Mali, de la Guinée-Conakry, du Burkina Faso, du Benin, du Gabon, de la Sierra Leone et la Gambie. Du Niger même ne part qu’un petit contingent, d’ailleurs, en priorité à destination de l’Algérie.
L’UE demande au Niger de dissuader les jeunes de partir vers l’Europe, en finançant, sur place, des projets de développement mais, surtout, en organisant des contrôles et des rétentions à ses frontières. Les Africains de l’Ouest profitent de la libre circulation, en vigueur au sein de la CEDEAO, pour parvenir à la frontière libyenne, en toute légalité.
Depuis le déclenchement de la guerre au Mali, en 2012, et le durcissement des contrôles à la frontière entre l’Algérie et le Mali, le phénomène a pris une telle ampleur que la ville d’Agadez a même rebâti son économie, jadis basée sur le l’artisanat et le tourisme, sur les besoins des migrants, devenus la première source de revenus. Les populations locales y gagnent par le transport et l’hébergement de migrants, très rémunérateurs. Les Forces de défense et de sécurité (FDS), dont certains membres rançonnent les convois, prospèrent, également, dans le domaine.
L’Etat du Niger a pris la loi N° 2015-36, le 11 mai 2015, relative au trafic illicite de migrants. Faire passer la frontière de la CEDEAO à des migrants est, désormais, considéré comme un crime passible au minimum à dix ans de prison. Les FDS font la chasse aux passeurs, en majorité des Nigérians. Des patrouilles des FDS écument les principales routes menant aux frontières algériennes et libyennes. Elles ratissent, également, les ruelles d’Agadez à la recherche de migrants et de passeurs. Les véhicules, supposés transporter des migrants sont confisqués. Les maisons où les passeurs regroupent les migrants, en attendant le jour du départ, et appelées « ghettos », sont fermées. Les transporteurs sont aussi surveillés, lors de leur départ des gares routières. C’est à ces actions que sont consacrés, en principe, les 140 millions d’Euros.
L’application de ces mesures entraîne le chômage de quelque cinquante mille (50 000) personnes vivant, jusque-là, de cette « activité ». A cela, s’ajoute l’augmentation, drastique, du nombre de migrants bloqués dans les villes de la région d’Agadez, exposant les populations locales à une forme d’insécurité alimentaire. Des responsables politico-administratifs tentent de freiner l’application desdites mesures, en prônant, pudiquement, une « période de sensibilisation préalable ».
Les Européens sont conscients de ce manque à gagner. Le 24 janvier dernier, la Délégation de l’UE au Niger, a annoncé le financement d’une série de projets au profit de la région d’Agadez, « dans l’objectif de proposer des mesures d’accompagnement parallèlement aux mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la migration irrégulière ». Il s’agit :
– du Plan d’actions à impact économique rapide à Agadez (PAIERA), tout un sigle ! pour un montant de 8 000 000 d’Euros ;
– d’Agadez – Programme à impact rapide (AGAPAIR), d’un montant de 1 075 000 d’Euros ;
– du Projet « Appuyer la formation et l’insertion professionnelle des jeunes filles et garçons des régions d’Agadez et Zinder en vue de contribuer au développement socio-économique de ces deux régions », à hauteur de 6 900 000 d’Euros ;
– du « Projet d’appui aux filières agricoles dans les régions de Tahoua et Agadez », de 67 000 000 d’Euros ;
– du Projet « Renforcement de la gestion durable des conséquences des flux migratoires au Niger », à 26 500 000 Euros.
Pour leur financement, l’UE apporte une contribution, majeure, de 70 000 000 Euros, à laquelle s’ajoutent 38 000 000 provenant de divers partenaires, soit 108 000 000, en grande partie consacrée à la région d’Agadez.
La Question sécuritaire
L’UE semble également consciente que ces contrôles, rétentions et « projets » ne suffiront pas à endiguer la vague des migrants. En effet, les ministres de l’Intérieur de l’UE se sont penchés, jeudi 26 janvier dernier, à Malte, sur un projet de financement de camps en Afrique, afin d’y retenir ces migrants. Une duplication partielle des accords de l’UE avec la Turquie, la Jordanie et le Liban, qui accueillent des millions de réfugiés syriens dans des camps. Les mêmes camps sont envisagés en Libye et au Niger, sous la gestion du Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) ou de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Au Niger, des ONG des Droits humains ont qualifié ceux-ci de « camps de concentration » !
Alors que, pour le ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière, « Il faut sauver les gens emmenés par les passeurs, les placer en lieu sûr (…). Et ensuite, à partir de ce lieu sûr hors d’Europe, on ne fera entrer en Europe que ceux qui ont besoin de protection »… Que feront le Niger et l’UE, quand Agadez enregistrera un « trop-plein » de migrants ? Et qu’en sera-t-il du statut et de l’image du HCR et de l’OIM, humanitaires transformés en gendarmes supplétifs du Niger, pour le compte de l’UE ? Déjà, début janvier 2017, le HCR même et des ONG se montraient réservés au sujet des camps de transit des réfugiés en Libye. « Conserver des camps en Libye, c’est maintenir les migrants dans des conditions inhumaines et les mettre encore plus en danger », avait déploré sa porte-parole.
Le trafic de migrants constitue une menace pour l’ensemble de la région ouest-africaine, car des passeurs sont soupçonnés, par les autorités nigériennes, de ramener des armes de la Libye après y avoir déposé leurs victimes. L’insécurité et la dégradation de l’État en Libye, ainsi que l’usage des moyens de communication modernes, font que le trafic de migrants est très juteux. Le créneau est sous la férule de quelques personnalités puissantes et de groupes rebelles. Ces acteurs, intouchables, auront toujours les moyens d’acheminer, en Europe, des migrants, devenus, au fil des ans, une marchandise et une source d’insécurité.
En octobre 2016, les autorités nigériennes déploraient encore de « multiples actes crapuleux », des « mouvements de personnes non identifiées », des « voitures non immatriculées », ainsi que la « circulation d’armes et de marchandises prohibées », à Agadez. Une allusion, fine, à la cocaïne, et à la cigarette de contrebande.
Des responsables politiques, nationaux et régionaux, sont accusés d’y être impliqués. Raison pour laquelle les soldats américains, français et d’autres pays européens, présents à Agadez, n’osent combattre le fléau. Les confortables revenus qui en découlent sont réinvestis surtout dans l’immobilier et dans les transports. Et c’est ainsi que les affaires continuent…