Le Sahel Sahara: s’attendre à l’inattendu

 

 

 

Chevauchement de questions complexes.


Le Sahel demeure une source majeure de préoccupations au sein et au-delà de la région. Les fréquentes visites d’officiels français et européens, le sommet France-Afrique de janvier 2017 à Bamako ainsi que la récente tournée – un rare événement –  entreprise par la chancelière allemande Merkel au Mali et au Niger, illustrent ces préoccupations liées à l’instabilité structurelle de la région.


Outre les menaces sur l’avenir des pays, cette instabilité structurelle est une question stratégique que l’Europe et les Etats-Unis ne peuvent ni ignorer ni minimiser. Cependant, pour réussir, ils doivent continuer à s’attendre à l’inattendu.


Epicentre de la crise du Sahel depuis des décennies, et plus particulièrement depuis 2012, le Mali a été, à juste titre, et demeure l’objet d’une attention particulière et d’un fort soutien régional et international. Cependant, au-delà du Mali, de nombreuses autres questions, liées à l’instabilité structurelle du Sahel, restent posées. Elles appellent à une solution durable.


Tout d’abord, il y a un certain nombre d’engagements sur lesquels les partenaires – nationaux et internationaux – doivent s’entendre et s’engager à traiter de manière concrète et simultanée.


Ces engagements devraient englober ce qui suit.


Premièrement, il convient de faire en sorte que, dans la région et au-delà, la perception de la menace soit commune. Deuxièmement, il est important de comprendre que cette menace est un sujet de préoccupation pour tous – les gouvernements, les populations ainsi que les États eux-mêmes. Troisièmement, accepter de créer et de soutenir un cadre approprié pour traiter les questions de sécurité. Leur multiplication ne peut aider. Quatrièmement, organiser de fortes coalitions nationales, ou synergies, entre les différents organes et organisations concernés: services de renseignement, défense, justice, services financiers, y compris les douanes, la communication et la sensibilisation du public. Conformément à la loi, et sous le contrôle politique, professionnaliser les services de renseignement par une meilleure organisation interne.


Naturellement, la coopération extérieure (échange d’informations aux niveaux des voisins, de la région et sur le plan international) devra rester importante.


La seconde est de traiter prioritairement des questions qui sont spécifiques à la région dans son ensemble et aussi au niveau de chaque pays en tant qu’entité particulière. Cela signifie évaluer les antécédents historiques et politiques de chaque crise, l’influence des facteurs externes, y compris les divers trafics et les autres sources de financement.


À ce niveau, une priorité majeure est de savoir, qu’en adhérant à des mouvements radicaux, beaucoup de jeunes peuvent simplement vouloir exprimer leur désir d’exister. Ils essaient d’obtenir une reconnaissance chez eux et à l’échelle nationale. Des lors, la question importante est de savoir comment empêcher ce groupe, de 1 000 à 1 500 jeunes, de rejoindre les mouvements radicaux qui, actuellement, combattent les armées nationales et étrangères.


Paradoxalement, parmi eux, un certain nombre tente de transmettre un message ou un cri. Le suivant: ‘’notre combat est notre façon de réaffirmer notre ferme volonté de rester à la maison.’’ ! ‘’Nous sommes victimes d’une gouvernance injuste et inefficace’’. Comment les gouvernements du Sahel et leurs partenaires extérieurs comprennent ils ces messages?


Une autre question, bien délicate, est que faire de ces jeunes, dont beaucoup, du fait du contexte, sont probablement des terroristes en attente? Ceci d’autant plus important que condamner la mauvaise gouvernance, la corruption généralisée et les  divers trafics, n’est pas soutenir ou défendre des opinions extrémistes.


Par ailleurs, le déni systématique, par les responsables du Sahel, de la gravité des menaces ainsi que leurs réponses toutes faites – ‘’le terrorisme existe partout à travers le monde’’, ‘’aucune région ou ville n’est en sécurité’’, – ne saurait être utile. En effet, en raison de leur niveau d’organisation et de  la qualité de leurs nombreuses infrastructures, les pays développés sont en mesure de mieux répondre aux ravages infligés par les attentats terroristes que les pays, très démunis, du Sahel. Cette situation constitue une énorme différence qui ne permet pas de relativiser les menaces mais, au contraire, aider à s’y préparer sans relache.


S’attendre à des menaces plus graves.


Il est évident qu’entre les gouvernements sahéliens et leurs partenaires extérieurs, et entre les deux et les populations locales, un certain nombre de malentendus continuent de s’accumuler.


Il s’agit de définir et de combattre les activités terroristes. Ces contradictions existent tant au niveau politique que sur le terrain, donc au niveau des citoyens. Malheureusement, elles continuent de s’empiler, particulièrement au lendemain de chaque opération terroriste et à la suite de la réponse militaire à ces opérations. Au sein de segments significatifs des populations les plus concernées, en particulier celles situées dans les zones frontalières, le débat est ouvert quant à  l’utilité et aux objectifs réels de la lutte contre les groupes radicaux.


Bien qu’ils ne soient pas clairement formulés, ni exprimés ouvertement ou entièrement relayés à travers des manifestations de masse, les malentendus entourant le combat contre le terrorisme continuent de s’accumuler. Associés à la peur et à l’insécurité, ils sont profondément enracinés dans les pays les plus touchés par les attentats terroristes, notamment le Mali et le Niger. S’ils ne sont pas traités de manière adéquate et urgente, ces malentendus risquent d’offrir une sorte de légitimité aux activités criminelles dans le Sahel. Une forme de légitimation comme celle que clament les Shebaab en Somalie.


Aujourd’hui, il est de plus en plus clair que les menaces terroristes ne signifient pas nécessairement la même chose pour tous.


Dans la plupart des zones frontalières, l’économie locale est souvent largement tributaire des trafics, des migrations irrégulières et, plus généralement, d’activités illégales. Celles-ci prospèrent là où les représentations et les ressources gouvernementales sont soit indigentes, soit de connivence avec des réseaux criminels soit tout simplement inexistantes.


En raison de liens familiaux ou politiques, de parrainage et d’autres intérêts occultes, les gouvernements centraux sont peu disposés, ou pas à même de résoudre de manière ferme ces situations ambiguës. Face à leurs partenaires extérieurs, ils peuvent aussi avoir des difficultés à admettre formellement la réalité de leurs déficits politiques. Ceci est d’autant plus vrai que les dividendes financiers de l’économie mafieuse ne cessent de croître et de consolider ainsi les loyautés de certains régimes.


Parallèlement, les partenaires extérieurs, en particulier les pays du sud de l’Europe, restent principalement concernés par les questions migratoires. Ils sont moins vocaux et moins efficaces dans la lutte contre les trafics de drogues et de cigarettes. Cependant, ces facteurs sont précisément  les plus déstabilisateurs. Ils financent souvent les opérations des extrémistes, les campagnes politiques nationales et perturbent l’efficacité de l’aide internationale.


Par ailleurs, l’argent généré illicitement est, et avec un succès notable, de plus en plus intrusif dans les élections et d’autres processus politiques du Sahel. Plus ces situations renforcent leurs racines, plus il sera difficile de les éradiquer et encore moins de contrôler les flux migratoires. C’est-à-dire la question prioritaire de l’Union européenne.


Il y a une leçon à tirer des décennies de lutte sans fin contre la drogue et les activités connexes – y compris les migrations irrégulières. Leur parfaite illustration est le combat des Etats Unis pour arrêter les trafics de drogues en provenance d’Amérique latine. La poursuite de ces trafics, malgré des efforts financiers et policiers considérables devrait inspirer les relations – dans ces domaines – entre l’Europe et le Sahel Sahara. Sans être la panacée, c’est une meilleure gouvernance locale qui a le plus aidé là-bas et le pourrait aussi ici.


L’importance d’éradiquer le très lucratif commerce de drogues, avant qu’il ne s’enracine encore davantage dans des pays fragiles, devrait être une priorité par rapport au contrôle simple et coûteux des migrations de régions pauvres vers des pays riches. C’est une priorité, comme la lutte contre les activités terroristes, dont beaucoup sont financées par ces mêmes trafics.

 

C’est cette stratégie politique qui projettera la stabilité au-delà des frontières.

Leave a comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *