Sahel Sahara: centralisation – décentralisation – migrations.

 

Une nouvelle réalité.


Relevant plus du marathon que de la course de vitesse, la crise du Sahel s’institutionnalise. En 2013, Serval et les troupes tchadiennes sauvèrent Bamako, le Mali et le Sahel de l’anarchie d’une occupation sans structures administratives. Cependant, la crise du Sahel est un conflit qui, inexorablement, continue de murir. Graduellement, il s’enracine et surtout change de perspectives. Comment répondre à son internationalisation croissante mais non coordonnée et à la montée en puissance, souhaitée, des forces du G 5 Sahel? Naturellement, dans la durée, une réponse unique aux menaces actuelles semble peu efficace. Mais un trop plein d’acteurs n’est pas sans risques de confusions voire de paralysies sur le terrain.


Durant les combats en 2013 au Mali, seulement deux acteurs principaux étaient en activité: la France et le Tchad. Aujourd’hui, dix-sept stratégies ont été élaborées pour ce même Sahel. Certes, la multiplicité des intérêts est préférable au désintérêt international et à la fatigue des principaux acteurs. Un danger qui inévitablement guette chaque crise quand elle s’enlise.


Cette mutation du conflit comporte de sérieux risques de dérapages. La gestion de la crise sahélienne doit s’y préparer pour s’y adapter. A ce stade, il existe un consensus. Il porte sur l’importance de la prévention, du leadership et de la coordination. Tous les trois sont devenus des exigences importantes bien que difficiles à mettre en œuvre à un niveau régional et en présence de nombreux acteurs.


Sur le plan de la prévention, il importe de faire le différenciation entre prévention classique et prévention proactive. La première a pour objectif d’éviter qu’éclate une crise dont les ingrédients sont déjà rassemblés. Il s’agit d’anticiper un conflit et donc de prendre des mesures politiques et autres pour maintenir la stabilité en évitant la guerre. La prévention proactive est différente. Elle vise à empêcher une crise déjà ouverte – c’est le cas dans le Sahel – de dégénérer davantage et donc à la contenir et éventuellement la résoudre.


La situation actuelle du Sahel, où un conflit est déjà ‘’chaud’’, appelle à cette prévention proactive. Cet exercice n’est cependant pas aisé dans la mesure où plusieurs acteurs indépendants, officiels et privés, opèrent déjà sur le terrain. Coordonner ou, pour le moins, harmoniser leurs activités, reste un défi majeur pour les acteurs nationaux et internationaux.


Une coordination efficace nécessite la présence d’un leadership expérimenté et surtout accepté par les différents partenaires concernés par le conflit. Au Sahel, comme dans d’autres situations similaires, la longévité de la crise, qui date d’au moins 2012, rend le leadership difficile à exercer. Chaque partie cherche à minimiser ses pertes et surtout ses engagements à risques. C’est à ce niveau que la coordination devient un exercice pratiquement impossible à pratiquer sur le terrain. Les parties étant indépendantes, quand bien même elles agissent pour un objectif commun, et accepté par tous, la plus efficace des coordinations doit viser à éviter la duplication et les doubles emplois. Elle doit alors s’exercer au niveau des financements des projets, une tache de longue haleine.


L’expérience démontre que le maximum à attendre d’une coordination entre plusieurs acteurs indépendants est, tout au plus, une harmonisation des activités. En d’autres termes ne pas étaler au grand jour de graves dysfonctionnements qui portent tort à la crédibilité et l’efficacité des efforts de gestion de la crise. De par sa vaste expérience, le nouveau Secrétaire général du G 5 Sahel est qualifié pour ce rôle de coordinateur si son espace de manœuvre reste libre des ingérences inopportunes.


Il est cependant clair que ces efforts, et on semble l’oublier, ne porteront leurs fruits qu’avec l’appui d’une présence militaire crédible. La priorité doit donc aller à une force du G 5 Sahel. Mais, au-delà des appuis extérieurs, pour être efficace, celle-ci demande des troupes opérationnelles et combatives c’est-à-dire motivées.


Migrations et manipulations.


Bien qu’elles ne soient pas nouvelles pour la région, les migrations du Sahel vers l’Europe, à travers la Libye, ont pris ces dernières années un tour dramatique. Comme le disent les concernes eux-mêmes, «projeter de voyager vers le Paradis et se retrouver morts et en Enfer» est une terrible destinée.


En novembre dernier, la diffusion d’une vidéo de CNN intitulée «Vente aux enchères d’esclaves en Libye» a transformé ce circuit de migration en un hit mondial. La vidéo, jouant sur des sensibilités profondes et anciennes liées à l’esclavage, a attiré l’attention de la communauté internationale. Son impact a été immédiat sur les flux de migrants qui ont été réduits de manière drastique en particulier ceux allant vers la partie la plus concernée, l’Italie.


Régulière ou désorganisée, la migration est cependant une question très complexe. Elle comporte de nombreux volets et engendre plusieurs conséquences ultérieures. Elle est avant tout un problème personnel, familial et communautaire. Volontaire ou forcée, la migration est aussi une question de gouvernance locale et comporte des aspects économiques et diplomatiques. Bien que les migrants ne soient pas des criminels, ils sont vulnérables et exposés aux abus des États et des acteurs non étatiques, y compris dans leurs propres pays.


L’arrêt des mouvements migratoires nécessitera des efforts herculéens de la part des gouvernements africains et européens. Par conséquent, à court et à moyen terme, il n’y a pas de succès à attendre. Alors que le président américain a annoncé, au cours de sa campagne, son intention d’ériger un mur de béton pour protéger les frontières sud du pays, les flottilles de l’UE auront, quant à elles du mal à atteindre leurs objectifs de verrouillage de leur pays. Exposée à des flux massifs de migrants et de réfugiés politiques aux portes de la Méditerranée orientale, si elle verrouille l’entrée libyenne, la flottille de l’UE ouvrira automatiquement une ancienne porte, occidentale celle-ci, mais présentement calme: celle des Iles Canaries.


En plus des efforts en cours pour sceller ces entrées du Sud, l’UE pourrait s’attaquer à deux des principaux ingrédients qui encouragent les migrations des pays africains. Premièrement, elle devrait essayer de dissuader ses propres réseaux clandestins ou occultes qui financent et contribuent à organiser le flux des migrants africains vers les Etats membres. Deuxièmement, elle devrait continuer à encourager les gouvernements du Sahel à répondre aux véritables besoins et espoirs ainsi qu’aux peurs de leurs concitoyens. Une gouvernance modeste, plus proche des gens et ouverte à leurs préoccupations quotidiennes peut faire l’affaire.


In fine, il y a une lente «zairisation» du Sahara sahélien. En d’autres termes, il y a des gouvernements officiels assis dans les capitales et les grandes queues de leurs pays et leurs populations laissées à elles-mêmes. La présence gouvernementale officielle est plus symbolique qu’effective sur le terrain et, loin des capitales, la violence et l’insécurité sont endémiques. Les peuples sont laissés à eux seuls. En outre, et pour être cohérent avec leurs politiques officielles, ces gouvernements devraient reconnaître, comme l’a fait récemment le président Mahamadou Issoufou du Niger, que les troupes militaires étrangères sont des alliés et non des forces d’occupation.


Mettre fin à ce double langage devrait envoyer un signal à tous, en particulier aux groupes rebelles. Dans ce domaine, comme dans d’autres, le double langage peut avoir des conséquences souvent mortelles.

 

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