Sahel Sahara: remporter le Marathon

 

Menaces réelles mais contenues.


Aujourd’hui, les forces du G 5 Sahel se regroupent dans une alliance sous un commandement opérationnel unique. Cette centralisation des opérations est logique et vise à éviter les doubles emplois et à consolider leur force de frappe. Mais aussi à renforcer les solidarités entre les cinq alliés face à un adversaire toujours et encore déterminé et qui trouve un réconfort grâce à la ‘’compréhension’’ de populations désabusées.


Il est permis de penser, sinon de souhaiter, qu’au sein de cette alliance entre les cinq états, chaque pays joue franc jeu sur le plan militaire et au niveau des financements.


En dépit d’une plus grande vulnérabilité et des pertes humaines et matérielles avérées, les rebellions, au contraire des pays du G 5, décentralisent de plus en plus leurs forces. Les Qatibas sont éclatées en petites cellules opérationnelles de 3 à 5 éléments. Elles exécutent leurs actions le plus souvent à bord de motos chinoises bon marché.


Finie l’ère des commandos en Toyota. Des motos comme les ruraux autour d’eux et donc, a priori, difficiles à suspecter. Elles utilisent aussi, plus souvent que par le passé, des Engins Explosifs Improvisés contre les troupes étrangères et les forces nationales. Ces explosions, même sans graves conséquences humaines ou matérielles, seront toujours médiatisées ce qui facilite de nouveaux recrutements et des levées de fonds surtout externes.


Au moment, ce 25 avril, où s’ouvre à Paris la conférence ‘’Pas d’argent pour le terrorisme’’, il importe de savoir qu’au Sahel ce financement a toujours pris des canaux variés, adaptés et qui évoluent périodiquement. Il peut être local, à travers des réseaux informels, y compris la vente de récoltes et de bétail, et aussi des dimes cédées par des gouvernements qui ne veulent pas être attaqués. Les dons étrangers, restent toujours importants, prennent de longs circuits bien rodés sur plusieurs continents et où le liquide n’apparait qu’en fin de processus. Achats, dans le pays X de produits divers de grande consommation au Sahel, payés par le donateur du pays Y et délivrés dans le port d’un pays Z de la région. Le résultat de la vente, est alors redistribué dans la zone. La vulnérabilité des administrations et les solidarités tribales facilitent et le secret et la plus grande opacité.


L’attaque spectaculaire du 14 avril 2018 menée contre la base des forces internationales à Tombouctou reste inquiétante mais ne devrait pas changer fondamentalement cette tendance. Celles d’opérations menées par de petits groupes agiles prêts à mourir, fondus dans le paysage humain, ou déguisés pour mieux surprendre leurs cibles.


Au Sahel, le véritable danger se trouve au niveau des conséquences de la perpétuation et de l’extension géographique de la crise. Il importe d’arriver rapidement à un règlement. L’enracinement et la durée d’un conflit comportent de redoutables dangers qui peuvent l’aggraver davantage.


Le premier est la démystification des pouvoirs publics avec le risque d’un plus profond discrédit. Restaurer l’utilité de l’état, et pas seulement son autorité, est devenu essentiel. Ne pouvant plus protéger leurs citoyens contre la violence des armes, dont ils sont censés détenir le monopole, l’effectivité et la crédibilité des états Sahéliens se délitent graduellement.


Combattre la menace à la base, c’est-à-dire chez les cibles des recruteurs, implique une action gouvernementale crédible. Surtout que la base ce sont aussi les gouvernements dans leurs gestions discutables des ressources de leurs pays et des fonds de la coopération internationale.


Dans les zones frontalières, en dehors des lucratifs postes douaniers, la crédibilité des autorités finira par s’estomper et même disparaitre.


Au niveau du Sahel, sécurité et solidarités nationales évoluent devenant plus tribales que nationales. Le retour aux systèmes tribaux et de castes, en particulier au niveau des pouvoirs exécutifs, est une menace mortelle. Il pousse à la retribalisation des pays et non à leur consolidation comme Etats nations ou, pour le moins, comme Etats modernes.


Ces dysfonctionnements, causes et conséquences de la crise du Sahel, la perpétuent et rendent moins performante l’assistance internationale y compris dans le domaine militaire. Le combat deviendra alors une guerre de longue haleine, un marathon.


Marathon dans le désert.


Au-delà de ses aspects sécuritaires qui s’imposent en priorité, l’enracinement continu de la crise du Sahel comporte des conséquences inattendues, encore bien plus sérieuses.


L’importance accordée par les gouvernements et leurs partenaires extérieurs à la gestion du risque terroriste doit certes rester prioritaire. Y compris, naturellement, la réponse militaire. Et, avec elle, l’appui à un G 5 Sahel réellement soutenu par la région et la communauté internationale.


Cependant, d’autres faiblesses nationales, communes à la région, demeurent des menaces redoutables qui ne peuvent plus continuer d’être ignorées. Des menaces, dans plusieurs domaines, qui s’autoalimentent mutuellement, nourrissent le terrorisme et enracinent plus profondément l’insécurité régionale. A cet égard, la Somalie et l’est de la RD Congo sont des exemples à méditer.


L’une des premières menaces est liée à l’urbanisation rapide et anarchique en particulier des capitales. Une autre est liée à de la détérioration accélérée de l’environnement.


Une forte croissance démographique, une insécurité devenant structurelle et les mobilisations, médiatisées, de la lutte contre le terrorisme, ajoutées à d’autres facteurs, ont engendré des effets aggravants dans la région. Ces effets sont liés au développement rapide des villes, et plus particulièrement des capitales. Faute de grandes villes secondaires, celles-ci sont devenues les destinations les plus attractives au niveau de chaque pays.


Contrairement aux générations précédentes, les jeunes ‘’montent’’ directement vers ces capitales sans s’arrêter dans les villes secondaires et autres chefs-lieux provinciaux. Même pour préparer une émigration hors du continent, la capitale reste la première destination. Tous les services administratifs et les rares opportunités de travail, ou pour le moins de survie, s’y trouvent concentrés.


Des capitales surpeuplées ou plus exactement très encombrées. Elles sont éclatées sur de vastes distances, en plusieurs quartiers qui sont de fait de véritables villages, peu ou pas du tout connectés entre eux. Cet éparpillement physique les rend très couteuses en matière de transport et d’accès aux services de base. Tout y est encore plus cher pour des habitants qui sont déjà parmi les plus vulnérables du pays.


Dans ces contextes difficiles les frustrations n’épargnent aucun groupe social. De génération en génération, les espoirs y sont fréquemment déçus. La question sécuritaire / révolte contre l’ordre établi, s’impose d’elle-même. Il y a une certitude : l’incendie va se déclarer. Quel groupe allumera la mèche, déjà imbibée d’essence, reste la seule incertitude.


Occultée par les actions terroristes, bien plus médiatisées et aux conséquences plus immédiates, la détérioration de l’environnement dans le Sahel ne doit plus être sous estimées. Les fortes sécheresses récurrentes, telles celles des années 1970 et 1980, pousseront un grand nombre de jeunes vers les villes. Des villes couteuses mais où existe l’espoir d’émigrer vers les pays du nord : Europe ou Amérique. A moins que la tentation de rejoindre des groupes terroristes, qui offrent ‘’une cause’’ et l’espoir ‘’d’actions concrètes’’, ne l’emporte. Aucun passeport ou visa n’est alors exigé.


Les engagements internationaux pris en faveur de la protection de l’Environnement et les conclusions des COP 22 et 23 doivent être suivis avec bien plus d’intérêt. La protection de régions vulnérables – dans la Savane, autour des bassins des fleuves Niger et Sénégal et le long des côtes maritimes, doit devenir une question prioritaire dans les faits et pas seulement des occasions pour prendre des positions de principe.


La protection de l’Environnement mérite d’être considérée comme une priorité y compris dans le combat contre le terrorisme. Cette option est plus que jamais légitime. Les grandes sècheresses des années 1970 et des années 1980 ont largement contribué à la destruction des économies rurales et aux vastes mouvements des populations qui s’en suivi. Y compris les grandes migrations hors des pays du Sahel et les recrutements dans les ‘’Légions’’ et autres ‘’Milices’’ du régime libyen.


Aujourd’hui, en plus de la sécheresse à travers le Sahel, les côtes atlantiques de plusieurs pays sont menacées et avec elles l’économie maritime traditionnelle. C’est particulièrement le cas de la côte mauritanienne ainsi qu’autour du delta du fleuve Sénégal, des zones menacées et devenues de très gros risques.


Conclusion.


Dans plusieurs états du Sahel, il importe de distinguer le pays officiel, et donc formel, du pays réel qui est informel. Les interventions extérieures, venant en appui à la stabilité politique, se trouvent souvent otages des pays officiels. Sans, ou avec peu de contacts avec le pays réel.


En fait, les soutiens extérieurs non maitrisés peuvent, dans les faits, mener à plus d’instabilité. C’est souvent le cas quand prévaut une mauvaise gouvernance, avec une corruption flagrante et impunie.


Le Marathon du Sahel sera remporté par ceux qui favorisent un consensus interne et sont soutenus par leurs partenaires extérieurs. Ce consensus doit résulter de la mise en place de vastes alliances politiques au niveau national. Alliances pour mieux gérer les pays et non pour s’approprier leurs ressources.

 

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