Le terrorisme sahélien prend de l’ampleur et gagne de nouveaux territoires. Il fait peser dangereusement le curseur de la terreur sur le Golfe de Guinée. La montée des actes d’intolérance confessionnelle et la problématique structurelle auxquels font face nombreux Etats côtiers pourraient constituer un ressort de l’enracinement de la violence terroriste. Ostensiblement, au Sahel, le péril terroriste montre de plus en plus l’itinéraire de son expansion, mais brouille conséquemment la posture opérationnelle des Etats, du fait, notamment, de l’hybridation de ses méthodes ; entre prise en charge des frustrations populaires, enseignement de la haine et diffusion des théories de la conspiration.
Dans de nombreuses localités, l’islamisme encore quiétiste mène une guerre d’usure aux pouvoirs qu’il somme de rompre d’avec l’Occident, l’école moderne, la rationalité, le culte du bien-être individuel et l’égalité des sexes. Une telle propagande prépare le lit des volontaires de la ‘’guerre sainte’’.
Pour qui prend la peine de suivre les débats des groupes de discussion et de prédication sur Facebook dans l’espace ouest africain et au Maghreb, la contestation de la laïcité des institutions, l’hostilité aux autres religions et la revendication de la Charia contre le corpus législatif, témoignent d’une projection, par petites touches, vers l’univers mental du Califat, selon sa définition la plus intrusive et conquérante. Des discours d’intolérance de certains islamistes dans des lieux de culte ou de sociabilité de la sous-région dévoilent le glissement du champ de la piété vers le repli sectaire.
La dynamique de durcissement intellectuel et moral entraine une libération de la parole pré-djihadiste, à laquelle les autorités, prises de court, rechignent à apporter une riposte. On semble ignorer le fait que le passage à l’attentat procède d’une conviction, d’une foi éprouvée, non d’une décision prise ex nihilo. Cet amont, à la fois sujet d’embarras et de complication, reste l’angle mort de la lutte antiterroriste. La propagation de la menace vient du refus d’en traiter la source, en l’occurrence la dimension idéologique. Ainsi, le temps est-il venu d’admettre que ce terrorisme résulte d’un projet de domination qui, trouve, à l’intérieur de chaque pays des candidats à sa réalisation. L’envisager ou concevoir comme une menace exogène tient d’une tragique naïveté.
Le G5 Sahel, surtout sa Task force, créée en 2017, suscitait un immense espoir. Pour l’heure, la perte d’initiative par les Etats du champ sans cesse relégués aux postures défensives et l’extension de la conflictualité asymétrique appellent à une réponse crédible. Pas seulement aux impératifs d’engagement militaire.
La greffe de la religiosité ostensible sur les comptes et mécomptes de l’histoire et de l’identité, vient décupler le potentiel nihiliste du péril ; à équidistance de l’historicité, de l’ethnicité, de la sociologie, de l’étude du changement climatique et de la démographie hors contrôle, le destin du djihad identitaire prôné par Ahmadou Kouffa interroge et relativise l’approche sécuritaire.
L’extension du champ d’opérations et du recrutement
L’occultation, voire la relativisation du projet de domination islamiste a amené la plupart des diplomaties et des spécialistes de la polémologie à expliquer le terrorisme par la spécificité du Sahel-Sahara, du fait de la multiplicité des vecteurs aggravants que la zone recèle : immensité du périmètre, aridité du sol, conflits autour de ressources non-renouvelables, exacerbation de l’appartenance tribale. Ce réalisme sélectif a été au cœur du déploiement des forces internationales et de la création du G5 Sahel. Le djhadisme a cheminé, depuis longues années, au sein de l’opinion. Sous des dehors inoffensifs et avec des financements extérieurs qu’entoure une aura de philanthropie, il a construit les jalons de sa prégnance sociale à l’ombre de l’imprévoyance, de l’incompétence et de la pénurie de prospective.
Aujourd’hui, le Burkina Faso, le Mali et le Niger préfigurent les lendemains de trouble au Golfe de Guinée, voire sur l’ensemble de la Cedeao. Certes, pour l’heure, l’évolution ne s’offre, d’emblée au profane, mais les signes d’un potentiel déploiement vers d’autres états sont perceptibles.
A l’heure actuelle, dans bon nombre d’Etats côtiers, les velléités de substitution de la théocratie à l’Etat laïc se déploient insidieusement autour du concept de la Umma solidaire en vertu duquel plusieurs ressortissants des Etats de la rive atlantique (Sénégal, Ghana, Bénin…) rejoignent les rangs de l’Etat islamique au grand Sahara (Eigs) et du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Gsim).
Ainsi, la promotion de la doxa djihadiste et ses leviers de recrutement excèdent le Sahel, en direction du sud forestier. Pis, les attaques se rapprochent. Le poste d’observation de Yendéré, à une dizaine de km de la Côte d’Ivoire, a été accroché plus d’une fois ; la dernière alerte remonte au 30 novembre 2019. Un mois auparavant, c’est-à-dire en octobre, l’aviation burkinabè bombardait un campement de terroristes présumés, soit à 7 km au nord-est de la limite avec la Côte d’Ivoire.
Nécessité d’une régionalisation de la réponse
Grâce au partage d’informations et de renseignements, plusieurs dizaines de terroristes ont été arrêtés au Togo, Bénin et Ghana. Cette situation anxiogène impose une coopération plus large et structurée aboutissant in fine en une africanisation de réponses contre le terrorisme.
A ce sujet, la Côte d’Ivoire, forte de la solidité de son économie et de son leadership régional ne saurait être mise à l’écart des initiatives et des structures antiterroristes sous régionales telle le G5 Sahel. Il en va de même pour le Sénégal qui dispose d’une architecture militaire et sécuritaire professionnelle reconnue au plan international.
Cela paraît indispensable dans un contexte de mobilisation de certaines opinions contre la présence des troupes étrangères – particulièrement celle de la France – se nourrissant de montages et de fakenews d’une rare virulence. Visiblement, celles-ci ont fini par semer le doute quant à une éventuelle connivence entre les terroristes et les alliés occidentaux. De toute évidence, une telle incertitude constitue une diversion au bénéfice des groupes djihadistes pour retourner les populations, contre « l’impérialisme et ses valets locaux ». Après le départ de « l’étranger envahisseur », la route libre d’ouvre devant les Katibas. Fin 2018, la coalition du Gsim appelait les peuples et gouvernements sahéliens à un sursaut nationaliste pour « protéger leurs richesses » contre l’occupation.
Dans un contexte de crispation et de défiance envers le partenaire extérieur, il y a lieu de renforcer les structures de réflexion et de formation, au nombre desquelles l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (Ailct) basée a Abidjan. Elle doit s’inscrire dans une dynamique plus structurée, c’est-à-dire, renforcer, en priorité les capacités stratégiques et techniques du G5 Sahel. A bien des égards, le choix de la Côte d’Ivoire parait bien pensé. Les nombreuses potentialités du pays et sa position géographique constituent un atout considérable pour ce projet ambitieux. Il apparaît, dès à présent, indispensable de mobiliser des synergies (diplomatiques, politiques, financières) autour de l’Ailct.
Perspective d’un regain
La Métropole d’hier n’est plus en mesure d’assurer seule la sécurité de pays amis quand les fragilisent des contradictions internes dont elle n’est plus comptable. Couteux en moyens et vies, hué à l’arrière et suspecté de correspondre à des calculs d’avidité mercantile, l’engagement français au Sahel pèse davantage qu’il ne rapporte à Paris. Sa poursuite, au-delà de celui des pays de la région, demande en particulier une meilleure implication militaire et logistique d’autres puissances y compris les Etats Unis d’Amérique, l‘Allemagne, le Royaume Uni, le Canada, le Japon mais aussi l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unies, le Qatar et le Koweït.
Lassina DIARRA, chercheur, Centre4s