Conclusions de la TABLE RONDE du 7 septembre 2012

L’International Peace Institute (IPI), l’Union africaine (UA) et la Mission permanente du Luxembourg auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont tenu une réunion de haut niveau le 7 Septembre 2012 au siège d’IPI à New York. Cette table ronde a porté sur la thématique « Menaces sur la paix et la sécurité dans la région sahélo-saharienne : quelles réponses pour quel avenir ?».


Cette rencontre s’est déroulée avant la présentation de la stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel au Conseil de sécurité le 17 Septembre, ainsi qu’une réunion de haut niveau sur le Sahel organisée par le Secrétaire général Ban Ki-moon en marge du débat général de la 67e session de l’Assemblée générale, qui se tient également en Septembre.


La table ronde d’une demi-journée visait à :


(1) Aider à développer une compréhension partagée des problèmes auxquels est confrontée la région du Sahel Sahara.


(2) Faire le bilan des réponses nationales, régionales et globales, en cours ou envisagées, afin de régler ces problèmes.


(3) Explorer des stratégies d’intervention complémentaires ou alternatives.


La réunion a rassemblé plus de 55 participants, parmi lesquels des représentants de l’Organisation des Nations Unies, des représentants permanents auprès de l’Organisation des Nations Unies, notamment les ambassadeurs du Mali, du Niger, du Tchad, du Bénin, du Maroc et de la Turquie, des organisations de la société civile, des universitaires, des experts de Think Tanks et d’instituts de recherche ayant un intérêt dans la paix et la sécurité dans la région sahélo-saharienne, y compris le Centre 4S basé en Mauritanie.


Les participants aux tables rondes ont constaté que la crise dans le Sahel ne prendra pas fin sans de nouvelles réponses permettant de s’écarter de la façon traditionnelle de traiter les problèmes dans cette région (business as usual). Six points clés ont émergé de la réunion afin d’élaborer des politiques plus adaptées :


1. Au Mali, devenu l’épicentre d’une crise plus large et plus profonde dans le Sahel, la nature économique des groupes armés dans le Nord du pays est de plus en plus visible. Initialement considéré comme une réponse à la corruption de l’administration mise en place par l’ancien président Amadou Toumani Touré (ATT), l’émergence des groupes islamistes a servi de couverture à toutes sortes de trafic illicites (drogues, cigarettes, migrants, etc.) ; il en est résulté  des transferts considérable de devises. Ce trafic s’étend au-delà du Mali et de la région sahélo-saharienne. Il constitue une menace sérieuse de l’océan Atlantique à la mer Rouge, ce qui contribue à l’affaiblissement des Etats et alimente l’instabilité politique. Pour répondre à ces aspects pénaux de la crise dans le nord du Mali et dans le Sahel, une approche sécuritaire stricte devra être complétée par des principes de gouvernance et de la primauté du droit. En outre, des initiatives régionales telles que l’initiative d’appui à la mise en œuvre du plan d’action régional (2008-2011) de la CEDEAO pour la lutte contre le trafic illicite de drogues, le crime organisé et l’abus de drogue en Afrique de l’ouest (WACI), visant à lutter contre le trafic de drogue en améliorant la coordination nationale et internationale et en permettant des enquêtes, devraient recevoir une plus grande attention ainsi que le soutien des pays de la région et de la communauté internationale.


2. Les perspectives d’un règlement négocié au Mali sont peu probables. A Bamako, les institutions gouvernementales sont trop faibles, l’élite politique et l’appareil de sécurité trop divisés pour être des partenaires efficaces dans les négociations. Ils ne peuvent ni faire pression sur les rebelles, ni leur fournir des incitations convaincantes pour leur inspirer la volonté de négocier. Dans le nord, les groupes islamistes d’Ansar Dine et du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), représentent un ensemble d’alliances tactiques, plutôt qu’un front uni. Chaque groupe est en train de se positionner pour le contrôle de territoires afin d’obtenir un siège à la table des négociations lorsque celles-ci arriveront. Comme le facteur temps est crucial, il a été suggéré d’établir un cadre de négociation alternatif qui pourrait prendre le relais du processus de médiation de la Communauté économique des Etats d’Afrique occidentale (CEDEAO). En plus des acteurs maliens et des dirigeants de la sous-région, ce nouveau cadre permettrait d’impliquer des pays clés, comme l’Algérie, ainsi que d’autres pays extérieurs à la région, concernés et intéressés, pour aider à trouver une solution à la crise.


3. Ce manque de perspectives pour les négociations rend l’escalade militaire de plus en plus probable. Au niveau sous-régional, la CEDEAO a proposé la création d’une force de 3.300 soldats ouest africains à condition que le Conseil de sécurité donne son autorisation. Alors que l’Union européenne (UE) et la France, en particulier, semblent ouvertes à la possibilité de fournir un soutien militaire en cas de dernier recours, Bamako a fait savoir que ses besoins étaient surtout logistiques, réclamant des équipements plutôt que de troupes. Comme toujours, cependant, une escalade militaire n’est pas exempte de risques. Dans le nord du Mali, beaucoup de groupes armés ont conclu des alliances tactiques qui viennent renforcer le patchwork compliqué des tensions tribales à travers les âges. Il en va de même pour les tensions traditionnelles entre communautés d’éleveurs et d’agriculteurs. Toute action militaire sur le terrain risque, donc, d’attiser ces tensions intercommunautaires qui pourraient dégénérer en combats.


4. Au-delà du processus de négociation et d’une éventuelle intervention militaire, des réformes à long terme sont nécessaires, au Mali, afin de prendre en compte les doléances, légitimes, des populations touarègues ainsi que des autres populations présentes dans le nord. Ces réformes devront également s’attaquer à la restructuration d’une armée nationale démoralisée et affaiblie par des divisions en son sein, qui manque cruellement de formation et d’équipements. La mise en place d’un gouvernement fort, efficace et légitime à Bamako, capable de résoudre les tensions au sein de l’armée malienne, est donc indispensable. En outre, pour lutter contre la faiblesse des structures locales au Mali et dans la région du Sahel, une stratégie possible consisterait à mettre en place un système efficace de décentralisation ainsi que des plateformes régionales permettant de renforcer les capacités mutuelles.


5. La crise sécuritaire aiguë au Mali a éclipsé la bombe à retardement humanitaire, démographique et en termes de développement que représente la région du Sahel sur le long terme. Près de 250.000 enfants meurent, chaque année, à cause d’une malnutrition aigüe.  Cette année, où sévit une sècheresse, la troisième depuis 2005, ce sont plus d’un million d’enfant qui risquent de périr. Rien qu’au Niger, la population  va doubler au cours des quatre prochaines décennies. Combinée avec la diminution de la productivité agricole, cette croissance démographique menace de créer une catastrophe humanitaire sur le long terme dont on ne mesure pas encore l’ampleur.  C’est pourquoi il faudra tenir compte des différents éléments qui composent la “résilience” afin de relever ces défis et conjurer la catastrophe. La réalisation d’un tel programme exige, toutefois que les pays de la région et la communauté internationale fassent preuve de plus de détermination, notamment en mobilisant les fonds et les ressources nécessaires.


6. Enfin, le défi permanent d’une coordination entre les politiques nationales, internationales, régionales et sous-régionales doit être abordé. La coopération entre les différences agences concernées par le programme de résilience est un mécanisme de coordination utile et des progrès visibles ont été réalisés grâce à la nomination d’un « coordonnateur régional pour le Sahel » par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). De même, le la stratégie intégrée de terrain qui sera présenté le 17 Septembre au Conseil de sécurité constituera une étape importante dans cette direction. Le rôle de l’ONU, toutefois, n’est pas d’agir seule, mais bien de renforcer les capacités locales et nationales. Ainsi, l’appel à une plus forte implication des Nations Unies – par la nomination attendue d’un envoyé spécial de l’ONU pour le Sahel notamment – devrait être compensé par une appropriation régionale de la stratégie intégrée proposée et, au-delà de l’implication d’organisations régionales et sous-régionales dont les membres se recoupent souvent , par la mise à disposition de plates-formes encourageant le dialogue entre les populations de la région sahelo-sahélienne.

 

 

*Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo saharienne.

 

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