Nombreuses questions et plus de menaces
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Pourquoi tant de tueries de masses sans fin? Que pourraient faire les gouvernements du Sahel pour minimiser les pertes humaines et matérielles? Plus précisément, comment doivent-ils répondre efficacement aux agressions contre leurs citoyens et les résidents étrangers? Les politiques préventives fonctionnent elles? Les réponses militaires extérieures suffisent-elles?
Pourquoi les groupes radicaux ont-ils immédiatement mis sur les sites les photos, noms et, de facto, les origines ethniques des trois jeunes terroristes? Incidemment, ils sont tous du Sahel et de trois groupes ethniques différents – Ahmed Al Fulani est, comme son nom l’indique un Peul, Boutar un Maure et Mohamed Al Ansari un Touareg noir. Tous les trois venant des tréfonds du Sahel, est-ce un message de leurs sponsors? En d’autres termes le début d’une plus grande l’indigénisation des groupes djihadistes et l’appel aux jeunes?
Les observateurs sont unanimes sur un point. Tirer les leçons de l’expérience de chaque état, en matière de lutte contre le terrorisme, devrait constituer la priorité de la coopération entre les états Sahel. Alors que la plupart des leaders sont conscients des risques terroristes, ils ont peu agi, priant que rien de très grave ne se produise durant leur mandat. Peu a été fait pour identifier les menaces les plus pressantes et encore bien moins pour gérer leurs causes profondes ou pour préparer les populations et les services spécialisés – police, armée, services d’incendie et les hôpitaux, à une future attaque.
L’évaluation des risques et de leurs conséquences devrait conduire à une meilleure surveillance des points d’accès des villes et de leurs principaux centres d’intérêts sociaux et commerciaux. Ces évaluations constituent la base d’une dissuasion capable de limiter l’ampleur des actions terroristes.
Dans une note en date du 26 Septembre 2015, le Centre4s a énuméré quelques-uns des obstacles qui, correctement traités, pourraient faciliter les missions de police et de renseignement chargées des contrôles aux frontalières – ports, aéroports et routes. Dans la plupart des états du Sahel, il s’agit des points d’entrée et de sortie où les contrôles sont peu fiables. De même, l’obtention des pièces d’identité nationales est peu rigoureuse et les transferts monétaires peuvent se muer aisément et disparaitrent sous le couvert d’importations lucratives de marchandises et autres produits peu traçables
Conséquence d’un certain nombre de facteurs structurels, le Sahara Sahel a été, au cours des dernières années, la nouvelle frontière du terrorisme régional.
Il est, en premier lieu, ce vaste espace libre et incontrôlée – désert et savane – qui chevauche les frontières internationales. Deuxièmement, la croissance démographique, forte et soutenue mais sans base économique solide, a rendu un grand nombre de jeunes disponibles pour toute sorte de recrutement, djihadistes ou autres. Troisièmement, l’urbanisation, forte et rapide, a émancipé bien des jeunes, les libérant des lourdes contraintes tribales et des liens traditionnels les plus rigides. Quatrièmement, en dépit de progrès politiques, l’exclusion sociale et économique continue et avec elle les frustrations. Cinquièmement, avec de vastes ressources nationales siphonnées par de petits groupes de l’élite, les bases des économies nationales ne peuvent se consolider ou s’élargir. Sixièmement, les politiques délibérées de certains gouvernements, marginalisant les Confréries religieuses les plus profondément enracinées, ont affaibli les structures sociales. Enfin, des autorités nationales frileuses sont souvent plus désireuses de tout contrôler que de renforcer les institutions publiques. Elles ont ainsi désacralisées et affaibli leurs Etats et leur respectabilité.
Prévenir une opération terroriste, par des radicaux déterminés, est un énorme défi. De fait, il est difficile de surveiller la nouvelle génération des extrémistes dans la mesure où la plupart d’entre eux, à travers un long processus de recrutement, ont déjà été séduits, persuadés et formés pour entrer en action.
Ces nouvelles recrues sont souvent des jeunes inconnus, originaires de la région ciblée pour l’action. Ils n’ont généralement aucune expérience radicale connue des servies et, par conséquent, ils ne se trouvent pas dans les fiches de la police. Par ailleurs, il est très difficile d’empêcher un radical déterminé d’exécuter sa ‘’Mission ”. Pire encore, si les nouvelles générations de terroristes opèrent au niveau individuel, ou en petites cellules de deux personnes, elles sont toutefois en mesure d’infliger plus de pertes humaines et matérielles qu’une plus grande équipe!
Des réponses adéquates?
Au Sahel, les états doivent intégrer la menace terroriste comme une donnée permanente d’une crise structurelle qui pourrait elle-même alimenter de graves conflits. Par ailleurs, des facteurs anciens et même nouveaux compliquent souvent l’identification, l’anticipation et la confrontation des menaces terroristes. Ces facteurs peuvent être l’allocation de ressources, inutilement affectées à la surveillance d’opposants politiques, et autres personnalités, au lieu de l’être à la lutte contre le terrorisme et à la poursuite du crime transfrontalier et divers trafics. Ces facteurs peuvent également être les nominations d’agents non-professionnels à des postes sensibles de police et de renseignement.
La plupart des stratégies internationales actuelles de lutte contre l’extrémisme violent ont été élaborées dans un contexte géopolitique totalement différent: celui de la guerre froide. Aujourd’hui, ces stratégies doivent être mises à jour pour répondre à l’évolution des questions politiques et militaires. Comme le prix de l’amitié et de sang, les partenaires du Sahel – France, Etats Unis et Union Européenne – devraient avoir une discussion ouverte et franche sur toutes les questions de gouvernance avec les responsables du Sahel. Un de leurs objectifs devrait être de répondre ‘’aux cœurs et à l’esprit ‘’ des populations. Plus précisément à celles des groupes les plus vulnérables dans les zones rurales et les périphéries urbaines.
Ceci étant, des développements positifs se sont produits. Les pays et les Fonds qui, dans le passé avaient financé les mouvements radicaux, sont maintenant eux-mêmes affectés par leur expansion. Les soutiens moraux et financiers devraient encore baisser et pourraient même être à sec. Le terrorisme dans le Sahel est aussi le résultat d’un certain nombre de facteurs interdépendants qui alimente une économie de guerre.
Pour lutter contre Boko Haram, les pays concernés ont décidé d’organiser une force régionale composée de 11.150 soldats. Soit des contributions de 3.750 du Nigeria, du Tchad 3.000, 2.650 du Cameroun, 1.00 0 du Niger et 750 du Bénin. Un autre groupe, le G 5 Sahel prévoit d’importants efforts pour améliorer la sécurité commune.
Des forces spéciales françaises et américaines ont joué un rôle de premier plan pour sauver les otages terrorisés et neutraliser les assaillants la semaine dernière à Ouagadougou et deux mois plus tôt à Bamako. Combien d’autres innocents auraient été tués ou mutilés si ces troupes étrangères n’étaient pas sur le terrain ? Une question subsidiaire: qu’arriverait-il lorsque les troupes françaises quitteront la région?
Comme ils ne peuvent être présents ad aeternam sur le terrain, les partenaires du Sahel devraient alors envisager de bonnes pratiques : ” faire moins et encourager à faire plus ”.
A moyen et court terme, cela signifie encourager une meilleure gestion des économies avec moins de trafics en particulier de drogue et les contrebandes. Cela signifie aussi minimiser les effets dévastateurs de la corruption, le véritable carburant de l’exclusion sociale.
Le Sahel a besoin d’une approche diplomatique globale. Il n’est toujours pas un espace de coopération mais le champ d’une compétition diplomatique. Plus dangereusement, le Sahel est également un espace de confrontation entre les mouvements islamistes. Al-Qaïda à travers Aqmi est depuis longtemps établie dans la région. A ses côtés, se trouve son récent challenger international, l’Etat islamiste ou Daech représenté par la secte Boko Haram et Jund al –Kalifah encore peu établi.
Globalement, le Sahel restera encore longtemps structurellement vulnérable. Au niveau politique, l’exclusion de larges segments de la population affaiblit la loyauté envers les États, y compris leurs institutions de sécurité. Au niveau de celle-ci, des ressources sont plus souvent utilisées pour des objectifs étrangers à l’objectif principal: lutter contre l’extrémisme violent. Par ailleurs, les économies nationales devraient être moins basées sur la recherche d’économies de rentes et plus ouvertes aux investissements productifs.
Bien qu’encore indispensable, la réponse militaire restera avec des résultats limités tant qu’une meilleure gouvernance locale ne sera pas appliquée avec sérieux, y compris à travers des coalitions gouvernements crédibles et plus de transparence.
Enfin, la collusion entre les opérateurs de la drogue, eux-mêmes liés à certains éléments des services de sécurité et à des groupes radicaux, fait qu’il est difficile aujourd’hui de répondre efficacement aux menaces terroristes avec des chances de succès durables.
Telles sont les leçons des attaques meurtrières de Bamako en novembre et de Ouagadougou vendredi dernier.