Sahel : la menace de la rivalité Aqmi /Daesh

 

 

De sérieuses nouvelles menaces


Au-delà des messages à peine codés contiennent ces derniers développements, ils annoncent des dangers et défis nouveaux qui pèsent en particulier sur les Etats de l’Afrique de l’Ouest et la zone sahélo-saharienne.


Des indices, nombreux et concordants, laissent croire que la zone est en train de se transformer en une scène d’affrontement sans merci entre les deux organisations terroristes les plus en vue, avec tout ce que cela comporte de danger pour la paix et la sécurité de cette région.


Le regain d’activité d’AQMI, ébranlé par les coups durs portés contre elle, sur le terrain militaire, par Serval depuis 2013, est reflété à travers deux points :


–  La multiplications desopérations perpétrées par le mouvement jihadiste et ses associés et dont les plus importantes sont l’attaque contre l’hôtel Radisson Blue à Bamako (20/11/2015), le Café Cappuccino et l’hôtel Splendid à Ouagadougou (15/1/2016), l’enlèvement d’une ressortissante suisse (08/1/2016), celui d’un couple autrichien sur la frontière entre le Mali et le Burkina (15/1/2016). Il faut ajouter à cela la multiplication des actes hostiles contre le Munisma et l’armée malienne.


–   Ces nouvelles opérations d’AQMI se caractérisent par l’étendue de leur espace géographique, le niveau performant de coordination et d’organisation, en plus de leur effet médiatique dans l’opinion.


Une présence médiatique inhabituelle des dirigeants d’AQMI à travers l’apparition du chef de la brigade Al Fourkane, TalhaChinguiti, lors d’une réunion publique des tribus arabes d’Azawad, tenue dans un endroit non loin de Tombouctou (26/11/2015). Au cours de ce rassemblement le chef jihadiste était accompagné de ses hommes et avait prononcé un mot devant l’assistance. Dans le même registre, on note l’entretien accordé par le chef de l’Emirat du désert, Yahya Abou Hamam, au site mauritanien d’information en ligne Al-Akhbar info. C’est le premier entretien accordé à la presse par un chef d’AQMI d’un tel niveau.


Ces développements spectaculaires de l’action d’AQMI, que ce soit à travers sa campagne ‘’ la mort à partir des cinq étoiles’’ ou à travers l’espace de plus en plus important qu’il occupe dans les médias, envoie un certain nombre de messages qu’il serait opportun de décrypter :


Le premier message, le plus évident, adressé aussi bien aux membres de l’Organisation, à ses sympathisants qu’aux acteurs régionaux et internationaux qui la combattent, consiste à donner l’impression que Serval, Barkhane et l’action de la Munisma ont toutes échoué à circonscrire ou contenir l’action du mouvement jihadiste qui, au contraire, continue de s’élargir particulièrement dans son fief traditionnel au nord Mali.


Le second message, révélé récemmentpar Yahya Abou Hammam dans sa fameuse interview à Al Akhbar Info et confirmé de manière plus tragique par les attentats contre un hôtel et un restaurant à Ouagadougou, sonne comme un ultimatum adressé aux pays de la région qui, jadis, observaient des positions plus ou moins neutres. Désormais, tout nouveau changement dans leurs relations avec AQMI les place automatiquement en tête de la liste des objectifs à abattre.


Aqmi protège sa zone


Mais le message le plus significatif, révélé à travers les derniers développements cités plus haut, concerne la détermination ferme d’AQMI de combattre toutes les tentatives d’infiltration de l’Organisation Islamique (EI) d’Al Baghdadi dans des zones jusqu’ici présentées comme étant la chasse gardée des phalanges d’Abou Mousaab Abdel Wedoud (Drougdel).


Certes, la concurrence entre les deux mouvements ne date pas de cet instant, mais elle a été gardée jusqu’ici secrète, se passait sur des terrains neutres et de manière pas vraiment frontale… Même s’il était connu que chaque camp fourbissait ses armes pour la grande bataille dont l’heure semble avoir sonnée. En effet, le conflit latent est en passe de se transformer en affrontement violent et fatalement dramatique.


Son caractère le plus saillant sera une folle surenchère illustrée par des actes violents dont les frais risquent d’être payés par les Etats de la région et, peut-être, par les forces occidentales engagées dans la guerre contre ces mouvements armés.


Dans ce contexte, on peut affirmer, sans risque de se tromper, que les rapports entre les deux Organisations, qui passent actuellement par un tournant décisif, ont commencé à se métamorphoser depuis les premiers attentats de Paris (Janvier 2015) perpétrés par l’EI. Ce changement a été accéléré par l’accroissement de l’influence de l’Organisation EI sur la scène libyenne et par l’allégeance de BokoHaram au chef de celle-ci : Aboubakr Al Baghdadi.


Aujourd’hui, il semble établi que le chef de l’Emirat du désert, fer de lance d’AQMI dans la région du Sahel Sahara, est particulièrement préoccupé par le souci de barrer la route, par tous les moyens, aux tentatives d’expansion de l’EI à travers la région.


Face à la montée de l’influence d’Al Baghdadi en Syrie, le chef de l’Emirat du désert, Abou Hamam, a agi de manière assez intelligente en encourageant les éléments de ses troupes fascinés par la nouvelle Organisation, de la regagner dans ses bases en Irak et en Syrie. Une astuce qui a fait éviter à ses troupes de s’entre tuer et qui lui a donc permis d’épurer son unité en n’y gardant que les fidèles. En plus de cela et toujours dans la perspective du conflit avec l’EI, il a œuvré pour ramener Moktar Bel Moktar, alias Khaled Abou Al Abbas, au bercail afin de profiter de son expérience, son savoir-faire et sa parfaiteconnaissance du terrain dans la bataille qui se prépare.


Ce sont là certainement les raisons qui l’ont poussé à parler de l’EI et de son chef Al Baghdadisur un ton teinté de fermeté et de défi au cours de sa dernière interview accordée site d’information Al Akhbar.


La réaction de l’EI ne s’est pas trop fait attendre. Il a publié récemment plusieurs enregistrements dans lesquels il explique l’importance de la région à ses yeux, appelle à s’attaquer aux gouvernements du Maghreb et dénonce la position des chefs religieux et politiques qui empêchent les jeunes de se lancer dans l’action du Jihad. Le mouvement a également publié, par la même occasion, des images de ce qu’il appelle l’Unité Sénégalaise de l’EI en Libye.


Dans ces documents, on remarque la présence d’hommes qui s’entrainent dans les rangs du Groupe dans la ville libyenne de Syrte. Avant cela, il affirme avoir envoyé l’un de ses chefs irakiens superviser l’installation de sa filiale dans la région et gérer son ‘’Etat’’ en Libye.


L’Etat Islamique n’a pas, jusqu’ici, mené d’opérations dans les Etats de l’Afrique de l’ouest, mais sa concurrence effrénée avec AQMI pousse à croire qu’il ne tardera pas à commettre des attentats afin de confirmer son prestige et sa présence effective dans la région. Cette logique pourrait même l’amener à s’affronter à AQMI en vue d’établir son autorité sur des zones stratégiques et s’attirer davantage de militants.


Ce cas de figure parait absolument vraisemblable dans la mesure où l’EI a un besoin stratégique à relier deux axes importants pour lui, à savoir la Libye, où il s’y est implanté solidement, et le Nigéria où opère activement BokoHaram qui avait déjà proclamé son allégeance au Califat du Mossoul.


Deux autres facteurs renforcent cette hypothèse : le bruit qui court par rapport à une intervention internationale, imminente, contre les bases de l’EI en Libye et les révélations très répandues sur l’intention de cette organisation de transférer une partie de son commandement du Croissant fertile vers l’Afrique du Nord. En effet, cela lui permettrait, d’un côté d’alléger la pression sur ses bases au Moyen Orient et,d’autre part, de rechercher de bases alternatives et l’ouverture d’un nouveau terrain de confrontation.


Tous ces éléments doivent pousser les parties concernées par ce qu’on appelle la lutte contre le terrorisme à agir avec prudence et sagesse afin de ne pas rééditer les erreurs survenues dans les guerres en Afghanistan et en Irak. Les stratégies de lutte contre ce qui est appelé terrorisme ont effet produit des résultats inverses en amplifiant les effets du phénomène vers des zones nouvelles : Pakistan, Syrie, Corne de l’Afrique, le Sinaï, la Libye…

 

Tout cela a été possible du fait de la prépondérance de l’approche sécuritaire, des préjugés idéologiques et visions tronquées, de l’amalgame entre les objectifs de sécurité et les calculs politiquesintéressés et à courte vue sans parler de l’engagement, dans les agendas internes de régimes despotiques et généralement corrompus.

 

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo sahélienne

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