La Digue Mali va-t-elle céder ?

Depuis deux mois, un Iman, Mahmoud Dicko, à la tête du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), veut renverser le régime du président malien, Ibrahim Boubacar Keita (IBK), pour mauvaise gouvernance. Les manifestations organisées par le M5-RFP drainent des foules, à Bamako, notamment. La menace d’effondrement, qui pèse sur IBK, a aussi des implications sur la sécurité intérieure et sous régionale, sans compter ses répercussions internationales. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a dépêché deux délégations de médiation dont une de haut niveau, composé des présidents ghanéen, ivoirien, nigérian, nigérien et sénégalais. L’objectif était d’obtenir une sortie de crise qui sauvegarde les institutions démocratiques : maintien du président IBK, nomination d’un Premier ministre de consensus, reprise des élections législatives partielles, dans les circonscriptions où les résultats sont contestés, et installation d’une nouvelle Cour constitutionnelle. Refus du M5-RFP.

Les manifestations interviennent dans un contexte social et économique difficile : se nourrir, accéder à des services de santé de qualité, se voir fournir l’électricité et l’eau deviennent quasi-impossibles au Mali. Tout cela avec les contraintes du Covid 19. En effet cette ambiance morose est aggravée par les états d’urgence sécuritaires et sanitaires. À Bamako, pacifiques, au départ, les marches vont dégénérer, au fur et à mesure, débouchant sur le saccage de l’Assemblée nationale, l’incendie de véhicules et de matériels de travail de l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM), notamment. Des pertes estimées à des centaines de millions de FCFA et dont les réparations vont mettre davantage à mal les finances publiques.

Insécurité aggravée

Désormais mortelles, les manifestations menacent la sécurité intérieure. Les événements de Bamako ont éclipsé les attaques terroristes intervenues, au même moment, dans le Centre du pays. Par exemple, les 1er et 2 juillet courant, trente-deux (32) civils ont été tués, lors d’attaques des villages dogon de Gouari, Djimdo, Pangadougou et Dialakanda, en commune de Tori, puis de Diallassagou, cercle de Bankass, dans la région de Mopti. Un détachement des Forces armées maliennes (FAMA), dépêché au secours à Gouari, est tombé dans une embuscade. Bilan : sept militaires tués, un autre blessé et quatre véhicules brulés. Le 23 juillet, deux soldats maliens étaient tués à Gao, pendant qu’un soldat français de la Force Barkhane perdait la vie et deux de ses camarades ont été gravement blessés et évacués en France.

Ce flottement au sommet de l’État malien crée les conditions d’une guerre civile qui ne dit pas son nom. On pourrait, ainsi, assister à des affrontements entre, d’une part, les partisans de l’Iman Mahmoud Dicko, le M5-RFP, et, d’autre part, ceux de la majorité présidentielle. Quelle est la représentativité de cet iman wahhabite sur l’échiquier religieux malien ? En d’autres termes, les autres imams approuvent-ils sa lutte ? Et si un imam, d’une autre obédience puis d’un bord politique opposé, entreprenait une contre-offensive ? Cela n’est pas impossible, vu l’activisme de pays du Moyen orient dans le même pays. Pour l’instant, on ignore si les Forces armées maliennes (FAMA) sont en mesure d’arbitrer un tel chaos.

A ce potentiel danger, s’ajoutent les vingt-trois (23) morts, attribuées à la répression des Forces spéciales anti-terroristes (FORSAT), lors des manifestations des 10, 11 et 12 juillet courant. Mais le ministre démissionnaire de la Sécurité intérieure et de la Protection civile, le général Salif Traoré, a démenti cette accusation. L’identité des tireurs serait, pour le moment, inconnue. Ce qui accroit le sentiment d’insécurité parmi les manifestants, dont certains évoquent des mercenaires.

Le Mali restera-t-il un État laïc, en cas de victoire du M5-RFP ? Déjà, la « trêve » a été décrétée, unilatéralement, par l’Imam, sur une base religieuse : les préparatifs de la Tabaski, la plus grande fête musulmane. L’imam cumule rôle religieux et responsabilités politiques.  La société religieuse est à la tête de la contestation et l’imam Dicko a pris bien soin de créer une association politique bien structurée, la CMAS (Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko), un vrai parti politique. La CMAS positionne son leader comme troisième voie dans l’arène politique malienne, après la majorité présidentielle et l’opposition. L’imam, aujourd’hui, gouverne la rue, en attendant, demain, de gouverner le Mali, en qualité de « Président de la Transition », peut-être.

En lui rendant visite, pour des discussions, en vue d’une sortie de crise, les envoyés de la CEDEAO et les diplomates accrédités à Bamako lui ont, déjà, construit ou reconnu une stature d’homme d’État, presqu’à égalité avec IBK. Les cinq chefs d’État n’ont fait, par la suite, que renforcer cette légitimité, en négociant avec lui mais il était difficile de faire autrement. L’imam, désormais, conscient de ses capacités de mobilisation et de sa reconnaissance politique, nationale et sous régionale, appuie, avec vigueur, sur la bascule aux enchères, et peut rêver à un destin national. D’aucuns l’auréolent, d’ores et déjà, de l’épopée de l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny, en Iran, en février 1979.

Anciens alliés et tous les mêmes ?

Le M5-RFP comprend des membres et des dirigeants ayant assumé les plus hautes responsabilités de l’État : d’anciens Premiers ministres, ministres, présidents d’institution, députés, ambassadeurs, maires… autant de personnalités qui ont gouverné le pays avec IBK, entre 2013 et 2020, mais se dédouanent de son bilan. Elles se parent du manteau de justiciers alors qu’elles font partie aussi du problème. Elles se défaussent, toutes, sur la seule personne d’IBK ! L’acceptation du partage du pouvoir leur sauverait la face : IBK resterait à la présidence, diminué de beaucoup de ses prérogatives, et le M5-RFP récupérerait la Primature. Une cohabitation qui serait marquée par de lourds sous-entendus : « Nous avons, ensemble, mené ce pays au chaos, supportons-nous les uns les autres jusqu’aux prochaines élections générales, en 2023 ! »

La persistance de la crise malienne a aussi un impact sur la sécurité sous régionale. En effet, le M5-RFP, dans son exégèse de la crise, a reconnu que IBK a mis en place un système qui a, gravement, impacté la situation sécuritaire du Mali et de la sous-région, compromettant la stabilité du Sahel. Ces maux ne peuvent que prospérer, en cette période de troubles. La crise malienne engage donc le destin de la sous-région. Une partie des reproches de mauvaise gouvernance que l’Iman Mahmoud Dicko adresse à IBK sont égrenés aussi dans deux autres pays voisins : le Burkina Faso et le Niger, en année électorale, par ailleurs.

Si la digue Mali cède, cette victoire insurrectionnelle ne va-t-elle pas y susciter des vocations ? Si un Mali, fort de son armée propre et du soutien de tant de forces étrangères, succombe, le Burkina Faso et le Niger résisteront ils à des mouvements identiques ? Une aggravation de l’insécurité au Mali va embraser ces deux pays, même si la base sociale de la contestation pourrait comporter des entités différentes. Des duplications, corrigées en variation de données nationales, sont possibles. Les présidents ne se sont pas rendus au chevet d’un Mali alité de façon désintéressée donc. Par la théorie des dominos, si le Mali cède, d’autres États pourraient suivre dans le gouffre de l’incertitude politique.

La France, appelée au secours en 2013, quand les djihadistes se trouvaient aux portes de Bamako, a réagi à la médiation de la CEDEAO : « La France salue la forte implication de la CEDEAO dans la résolution de la crise malienne, par le déplacement à Bamako, jeudi 23 juillet, d’une mission de cinq chefs d’État de la région ». Elle presse les protagonistes maliens d’accepter le compromis proposé par l’institution sous régionale et s’impatiente, face aux menaces d’enlisement de la crise.

Forts de ce soutien, les quinze présidents de la CEDEAO, réunis, le lundi 27 juillet, en sommet virtuel, ont réitéré les mêmes propositions, en y ajoutant les mesures suivantes :

– la démission immédiate des 31 députés contestés par la population ou tout au moins leur suspension, suivie de l’élection d’un nouveau bureau de l’Assemblée nationale ;

– le principe de sanctions ciblées contre tous ceux qui s’opposeront au retour de la stabilité du Mali.

Quant au président malien, connaissant bien son monde, il a livré sa lecture de la situation à ses pairs : l’imam Dicko organise ces manifestations afin de conduire le pays à une transition dirigée par lui-même. Processus qui ouvrirait la voie à un État islamique. Son verdict : C’est, là, la rançon de guerre de l’imam Dicko, un crime impardonnable. » La balle, sous forme d’injonction, est, désormais dans le camp de l’imam Dicko. Puisse la Tabaski insuffler de la sagesse aux uns et aux autres !

Limam NADAWA

Journaliste & Consultant, Centre4s.org