Le Sommet de l’Union Africaine et après?

Les mêmes questions et d’autres.


Comme à la veille de chaque Sommet de l’Union Africaine, cette année aussi, les questions pleuvent, lancinantes. Naturellement, les priorités et les solutions relèvent d’un tout autre  domaine.

La Somalie, ou plutôt, la présence et le financement des troupes internationales sur le terrain, la question des eaux du Nil entre Egypte et Ethiopie, la zone continentale de libre-échange, une taxe douanière pour financer le budget de l’Organisation, etc, sont à l’ordre du jour. Mais comment ne pas parler des migrations, ou plus exactement leur causes, des luttes contre les mouvements armés, terroristes et autres, puis des divers trafics, puissants et nombreux ?

Ce sera sans doute pour une autre fois. Mais, au fond pourquoi y aurait-il du nouveau avec ce sommet de janvier 2018? La routine est tenace et sans contrôle populaire pas de responsabilité.

Si la légitimité de l’Organisation de l’Unité Africaine et aussi celle de son successeur, l’Unité Africaine, ne sont guère contestées, l’opinion publique du continent s’attend aujourd’hui à un autre débat. Plus moderne et plus en phase avec les problèmes actuels et du futur. Comment combattre les difficultés qui assaillent et fragilisent de nombreux pays et menacent ses relations avec le reste du monde et singulièrement l’Europe ?

S’ils étaient discutés profondément, trois grands sujets devraient aider le Sommet à convaincre les africains du sérieux des ambitions de leurs dirigeants. Il s’agit de la corruption devenue, en réalité, l’extorsion publique; ensuite la dérive de la gouvernance et enfin de la ‘’retribalisation’’ graduelle des pays.


Grande corruption et grande misère morale.


Il y a bien évidemment la corruption, toujours et encore elle. La grande attente de l’opinion africaine, et des amis du continent, reste la réponse à trouver au cancer de la corruption. Soucieux de la grande attente des opinions publiques sur ce sujet, le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat,  a eu le mérite de l’inscrire à l’ordre du jour du Sommet.

Cette démarche  incite à bien des espoirs tant la corruption est vue et vécue, et a juste titre, comme le grand mal de notre continent. Essentiellement, du fait de l’impunité et de l’arrogance de ses auteurs, c’est cette corruption, au grand jour, qui gangrène les économies et discrédite les pouvoirs publics. Dans certains pays, où elle est érigée en système économique et de gouvernance, elle participe au délitement des institutions en rendant les pouvoirs publics informels. Exactement comme les économies des pays concernés.

Le grand discrédit dont souffrent certains dirigeants et les économies de leurs pays est lié aux pratiques et systèmes d’extorsion des gestions personnelles des budgets nationaux. Les silences, face à la corruption, poussent à son aggravation sur la vie des affaires et des populations. Ils sont devenus intolérables dans le Sahel. Dans des pays où la base des économies est étroite, cette confusion entre Présidences et affaires commerciales privées est des plus déstabilisatrices. Elle doit être dénoncée.

Un espoir peut venir du Décret présidentiel signé le 21 décembre 2017 à Washington. Il va poursuivre, à travers le puissant système américain, (Trésor, Justice et Département d’Etat), les violations des Droits de l’Homme et la Corruption, liés pour la première fois dans des actions communes.


Le tyranneau du village.


En 1977, Dennis Hill un professeur britannique à Kampala, Ouganda, était condamné à mort pour avoir écrit que le président du pays, le général Idi Amin Dada, était plutôt un tyranneau de village’’ qu’un chef d’état moderne. Il eut la vie sauve grâce au gouvernement de sa Majesté qui dépêcha son Ministre des Affaires Etrangères pour sauver la tête de l’honnête universitaire. Beaucoup d’Ougandais lui doivent la vie.

Le sujet de la gouvernance reste actuel et central dans la gestion publique en Afrique et en particulier au Sahel où des troupes étrangères combattent un ennemi invisible parce que présent partout, parmi le petit peuple. Les islamistes sont de plus en plus comme un poisson dans l’eau si on peut parler ainsi du désert.

C’est avec la fin de la guerre froide et la disparition de la menace communiste que le sujet de la gouvernance est venu sur le devant des relations Nord Sud. L’Europe des Six (et peut être celle des Douze), attachée historiquement aux libertés et à la démocratie, a soutenu l’expansion des libertés en Afrique et en Amérique Latine. L’éclatement de l’Union soviétique et l’ouverture de plus d’espaces publics, en Russie et en Chine, ont aidé les avancées démocratiques à travers le monde. Cependant, la peur d’un nouvel ennemi, le radicalisme islamique, semble avoir produit les mêmes effets que la lutte contre le communisme. Celui d’encourager la ’’recherche de l’ordre’’. La ‘’nouvelle Europe’’, orientale et centrale, semble hélas avoir gardé les réflexes des empires et des totalitarismes de naguère (Empires Habsburg et Soviétique). Avec peu d’intérêts pour les libertés en dehors de son périmètre.

Le recul actuel des libertés est une triple catastrophe : pour les africains, pour leurs partenaires en particuliers des démocraties occidentales et enfin pour les valeurs de liberté et de dignité universelles.

La question, aujourd’hui posée en Europe, pour expliquer les hésitations des démocrates face à leur ‘’désir d’ordre’’ en Afrique, se fonde sur une approche incomplète et surtout dangereuse pour le futur des deux régions. Un régime dit fort est, en réalité, à la source des désordres et ne peut préparer la stabilité ou procurer la paix. Il est comme un joueur de casino. Il peut gagner et gagne parfois. Mais un pays n’est pas un casino avec ses tables de baccarat et joueurs de pokers.

L’acharnement des démocraties à protéger le continent africain du communisme pendant la guerre froide a produit certains des pires systèmes Africains actuels. Liberté et prospérité pour les démocraties avancées, quelques libertés et beaucoup de misère et de divisons internes pour l’Afrique. Avec, au-delà des mers, des menaces pour les démocraties européennes: migrations incontrôlées, violences terroristes. Contrairement à ce qui se dit  très souvent, les régimes forts préparent à l’imprévu voire au pire.


La retribalisation du Sahel.


La crainte de désordres et de l’arrivée massive de flots de réfugiés poussent les démocraties à être ‘’réalistes’’ en ‘’soutenant la stabilité ‘’. Stabilité comme celle qui permit au maréchal Mobutu de diriger le Congo pendant des décennies. Elle pousse les mêmes démocraties, vingt ans après, à se plaindre de la situation ‘’anarchique’’ dans ce vaste pays avant tout  victime d’un abandon international, par ‘’peur d’anarchie’’, pendant la guerre froide.

Plus elle tourne le dos aux libertés fondamentales et aux aspirations des peuples et plus la vieille Europe des Six, ou des Douze, (la Nouvelle Europe est ailleurs.) s’expose au reniement de ses valeurs. Et plus elle s’expose à des flots de migrants toujours plus nombreux et un terrorisme, plus radical qu’islamiste, venant d’une Afrique laissée à elle-même. Une Afrique dont les élites préfèrent trop souvent blâmer un passé colonial devenu bien lointain (58 ans d’indépendance presque autant que la durée de la colonisation) que de faire face au délitement graduel et, semble-t-il, irréversible de nos pays.

A présent, la mauvaise gouvernance, par choix politique ou pire, par incompétence, pousse à la violence armée et à l’émigration massive des plus jeunes et des plus ambitieux des citoyens.

Pour garder le pouvoir, le tyranneau de village cherche d’abord la loyauté dans les cercles de son pouvoir. C’est la famille, la tribu et les visiteurs du soir qui fournissent les groupes qui rassurent le plus le chef du village sans cesse inquiet du déficit de sa légitimité.

La déconstruction graduelle de plusieurs états – d’unitaires en 1960, ils sont de plus en plus ethniques – doit inquiéter les élites et les amis du continent. Le cas de la Somalie, déchirée par une guerre civile trentenaire, est  un signal fort. Pays composé très majoritairement de la même ethnie, parlant la même langue et pratiquant la même religion doit servir de leçon à bien des présidents et aux partenaires démocratiques, et autres, du continent. Les délitements et l’implosion ne sont pas des hypothèses irréalistes.

Le Sommet de l’Union Africaine aura lieu et des engagements seront pris. Le futur président est un homme qui sait ce qu’il veut pour son pays. C’est sa responsabilité. Mais les autres présidents doivent se pencher sur le devenir de leurs nations. L’Europe peut et doit y aider.

Car elle peut difficilement échapper à l’avenir de l’Afrique. Avec ses partenaires démocratiques américains et japonais elle doit revigorer son pouvoir d’influence. Le seul qui soit durable et respectable. L’économie est essentielle mais elle a besoin de ce pouvoir d’influence, de son prestige et de ses atouts qui, eux, sont durables.

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