Mali et Sahel : deux priorités concurrentes?


 

1. Au Mali, 2012-13 a été une annushorribilis, une année horrible. Aujourd’hui, une lueur d’espoir existe avec le retour à la fois de la légalité et de la légitimité à la suite de l’élection d’un nouveau président et, surtout, du rétablissement de l’intégrité territoriale. Pourtant, le pays et la région ne sont pas hors de portée d’un retour à la case départ avec des crises plus violentes. De fait, des priorités concurrentes ou se chevauchant, sont identifiables à plusieurs niveaux tant du côté Malien qu’à celui de la communauté internationale.

2. Libérés de l’occupation, les Maliens ont en retour rempli la plupart de leurs obligations : élections présidentielles pacifiques, un gouvernement représentatif accepté par l’opposition et un message officiel clair appelant à la réconciliation nationale. Au pays et à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, ainsi que lors de réunions à Paris, le président IBK a répété son message : l’unité du pays et le règlement pacifique des différends au sein de  la nouvelle Commission Dialogue et Réconciliation.

3. Dans ce contexte quelle priorité est prioritaire: assurer l’intégrité et la stabilité Mali ou lutter contre Aqmi et les trafiquants dans le Sahel ? En dépit d’une zone d’opérations commune – toute la bande sahélienne – une confrontation avec les mêmes combattants et enfin les mêmes efforts pour stopper les mêmes sources de financement, il s’agit de deux priorités concurrenteset qui appellent des approches différentes. Le Mali doit être aidé à renforcer sa stabilité intérieure afin de pouvoir  rejoindre la communauté internationale pour l’autre priorité, la lutte contre les radicaux et les trafiquants. Enfin, le Mali dispose-t-il de ressources humaines et financières adéquates pour se battre simultanément et avec succès sur ces deux fronts ?

4. Les rechutes, ou retour de crises, étant bien plus fréquentes que la plupart des gens le pensent, le Mali a besoin d’une aide efficace pour lui permettre de se rétablir et d’être de nouveau un allié solide dans la lutte régionale. Afin d’éviter toute rechute, et avec elle des complications supplémentaires pour le pays et pour l’ensemble du Sahel, un certain nombre de mesures doivent être prises en compte par les Maliens, la région ainsi que les membres les plus concernés de la  communauté internationale.

5. Tout d’abord, pour aboutir, les accords de paix relatifs en particulier aux conflits internes devenus structurels, tel celui du Mali qui a ses racines dans les années 1960, demandent bien plus que la signature d’un accord entre les parties. De fait, un  règlement durable implique un soutien politique régional, souvent plus difficile à garantir que l’écrasement d’une rébellion armée. Il demande aussi et surtout le concours diplomatique, sinon la compréhension et la neutralité des voisins ou tout au moins les plus actifs d’entre eux.

6. En outre, plus un conflit s’enracine et plus il devient pour de nombreuses personnes, une source de revenus, un business, et plus il sera difficile d’y mettre un terme. Par ailleurs,avec les inévitables interférences externes, ainsi que la multiplicité des acteurs formels et informels, négocier un règlement, sans parler de sa mise en œuvre, est devenu partout, une tâche herculéenne.

7. Les responsables maliens ne devraient pas ignorer cette réalité. Dans un tel contexte, il est important que les parties maliennes parlent le même langage, en d’autres termes, elles doivent avoir la même compréhension de ce qu’est une négociation: donner et recevoir, ne pas chercher une illusoire victoire totale. Le temps où tous les avantages du règlement d’une crise allaient à un seul parti estrévolu.

8. Les parties peuvent avoir besoin des réunions informelles avant d’entamer  les discussions de fond. À cette fin, ils devraient commencer par organiser des réunions en petits groupes plutôt que des grandes conférences généralement propices à la surenchère et à la manifestation d’opinions extrémistes. Dans ces grands rassemblements, les questions de fond se trouvent éclipsées par des problèmes de personnalités.

9. Les réunions officieuses apportent une touche humaine et pourraient donc aider à réduire les tensions et les divergences et favoriser ainsi une meilleure appréciation des enjeux. En raison de la suspicion et de la méfiance inhérentes à tout conflit, les déclarations publiques sont souvent porteuses de craintes non fondées ou d’espoirs exagérés et, elles rendent plus difficile l’obtention d’un règlement. Le risque est alors réel de voir les discussions déraper et le processus de paix, profondément affecté,  échapper aux négociateurs voire dérailler. En conséquence, ces grandes rencontres  conduisent souvent à inverser l’ordre des priorités de négociation, les questions de fond se trouvant escamotéesau profit des sensibilités  personnelles.

10. Tout cela pour dire qu’existe actuellement un dilemme dans la région où deux priorités concurrentes doivent être harmonisées. La première vise à renforcer les chances d’un retour du Mali à la normalité afin d’en faire, de nouveau, un partenaire capablede combattre la violence armée et le crime organisé. La secondeconcerne la lutte contre l’extrémisme violent et les mêmes activités criminelles dans le Sahel et pas seulement au Mali.

11. Si, en relation avec ses difficultés internes ou externes, le Mali continue d’être régulièrement à la une des médias internationaux, il ne pourra qu’attirer  toutes sortes de combattants radicaux, nationaux, du Sahel et de bien au-delà. Assurer la stabilité politique, et en même temps lutter contre les radicaux et le trafic de drogue, tout en cherchant à libérer les otages, dépasse les capacités actuelles de Bamako. Demander de tels efforts pourraient contribuer à déstabiliser un paysencore fragile ainsi que toutle Sahel. La stabilité de la région demeure liée à celle d’un Maliqui encore aujourd’hui reste convalescent.

12.  Aucun de ses voisins n’est venu militairement à la rescousse du Mali lors de sa chute en 2012 ! Si chaque pays ne se préoccupe que de sa seule sécurité interne, le résultat en sera un vide sécuritaire régional. Les extrémistes armés se trouveront alors à l’aise dans le Sahel allant d’une frontière à l’autre sans risque d’être inquiétés. Affaiblis, défaits ou à la recherche de repos et quelles que soient leur inclinaisons religieuses, ils seront toujours disponibles pour un combat. Des comportements qui ne manqueront pas de revigorer l’anarchie en Libye ou personne ne détient le pouvoir mais où nombreux sont ceux qui détiennent un pouvoirde véto.

13. Le Sahel se trouve sur une ligne de fracture avec tous les risques  qui y sont associés. A moins d’instaurer une coopération sécuritaire plus ouverte à l’ensemble régional y compris le Maghreb, le Sahel, et naturellement le Mali, resteront encore longtemps en crise. L’une des conséquences d’une telle situation est, qu’au lieu d’être les acteurs de leur propre avenir, les peuples et les dirigeants du Sahel et du Maghreb ne seront, et pour longtemps encore,qu’un point de l’ordre du jour de l’agenda international déjà surchargé. Cependant, ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

 

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo sahélienne.

 

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