Renforcer la surveillance électronique des frontières au Sahel

Le Poste militaire avancé d’Inatès, dans le Sud-ouest du Niger, à sa frontière avec le Mali, a été attaqué, le 10 décembre 2019, causant la perte de soixante-et-onze (71) militaires nigériens. Le terrible bilan a provoqué des coups de colère dans ce pays. Parmi les réactions, celles d’acteurs centraux de la vie politique du pays ont montré sur quoi se fonde leur doute quant à l’utilité des bases militaires installées au Sahel : le fait qu’elles ne fournissent pas toujours des informations sur les mouvements des djihadistes, aux moments critiques, aux forces armées des pays hôtes. Leur lenteur de réaction est aussi décriée, quand elles sont informées de combats en cours. Ces informations, stratégiques, permettraient aux armées du G5 de prévenir les assauts des djihadistes.  La surveillance des territoires ne peut être efficace que si des procédés électroniques sont utilisés, au regard de l’étendue de l’espace à défendre et au vu de la dynamique des allers et venues des terroristes. Les Américains sont leaders dans cette technologie et en vendent aux Français.

Monsieur Moussa Tchangari, responsable d’une des ONG les plus importantes du Niger, Alternatives Espaces citoyens (AEC), parle de « tristesse profonde » mais attaque aussi les forces étrangères, notamment françaises. « Tout le monde en parle mais où sont les drones ? Où sont les avions de chasse ? (…) Ces gens-là (troupes étrangères) ne sont pas là pour nous, pour nous c’était déjà très clair et donc les forces étrangères ne sont pas d’une grande utilité, elles doivent s’en aller .»[i] Un hebdomadaire renchérit : « À quoi servent les bases militaires françaises, américaines, allemandes, italiennes et autres déjà sur le sol nigérien depuis des années ? »[ii] Dans la foulée, le Collectif des organisations de la société civile nigérienne décide de faire une marche contre la présence des forces étrangères, qui sera interdite par le président de la Délégation spéciale de la ville de Niamey. Le 15 décembre courant, retenu comme date a coïncidé avec le Sommet extraordinaire des pays du G5 Sahel, consacré à la recherche d‘une « meilleure synergie d’actions dans la lutte contre le terrorisme ». Une mesure destinée à honorer la période de deuil national et à mieux protéger les chefs d’États qui se trouvaient alors à Niamey.

La surveillance électronique des frontières

La surveillance électronique des frontières peut être définie, sommairement, comme l’observation de vastes espaces à l’aide de l’électricité comme support, pour la captation, le traitement, la transmission et le stockage d’informations au sens large (son, image, commande, etc.). Les outils en sont principalement : des avions, des satellites, des drones, des caméras infrarouges, des radars, etc. Un alliage de moyens mobiles et fixes, qui fonctionne 24 h sur 24. Ce sont des engins de guerre des communications. Les missions de surveillance ou de reconnaissance, de jour comme de nuit, exigent de la précision, de la rapidité et de l’efficacité pour permettre une prise de décision adaptée.

A à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’aviation de reconnaissance ou de surveillance est un élément conséquent du renseignement militaire. On estime que près de 80 % des renseignements recueillis par les Alliés, pendant le conflit, provenaient d’opérations de ce type, sous diverses formes :

  • La reconnaissance photographique, destinée à prendre des photos aériennes de sites sensibles (zones militaires adverses, objectifs d’une prochaine mission, etc.) ;
  • La patrouille maritime, pour observer l’espace maritime ;
  • La surveillance aérienne et le commandement aéroporté, pour scruter l’espace aérien et coordonner les avions amis ;
  • L’observation du champ de bataille, pour suivre, de près, l’évolution des combats au sol et guider les appuis aériens.[iii]

À partir des années1950, la reconnaissance photographique est principalement assurée par des avions de chasse ou des bombardiers équipés de caméras et appareils photo. Ces avions peuvent également emporter des dispositifs électroniques tels des radars spéciaux, en général, embarqués dans un conteneur externe.

Les satellites espions vont prendre, progressivement, la relève des avions. Les satellites de reconnaissance sont des engins tournants qui permettent de cartographier un territoire et surtout d’identifier les installations militaires fixes, les armes et les unités militaires. Ces satellites circulent généralement sur une orbite basse pour obtenir la meilleure résolution. Leur degré de précision ou de résolution peut aller est tel qu’ils sont à même d’approcher leur cible de quelques centimètres.

Pour des raisons de consommation d’énergie, donc de durée de vie, les drones vont, également, être mis à contribution, dans le système d’observation ou d’espionnage. Un drone est un petit véhicule aérien sans pilote, généralement commandé à distance par ondes radioélectriques, qui est semi-autonome ou autonome lorsqu’il est programmé pour exécuter différentes tâches ou qu’il possède l’équipement électronique nécessaire pour se guider lui-même, et qu’on déploie pour effectuer des missions diverses.

Les caméras infrarouges sont des appareils qu’on utilise lorsqu’il s’agit de filmer dans des conditions où la lumière est insuffisante, notamment.

Les radars Le radar (acronyme issu de l’anglais Radio Detection and Ranging) est un système qui utilise les ondes électromagnétiques pour détecter des présences et déterminer des positions ainsi que la vitesse des avions, des bateaux, ou de la pluie.

Drones américains au Niger

Au Niger, à la suite de la mort de quatre membres des Forces spéciales américaines et de quatre militaires nigériens, le 4 octobre 2017, dans une embuscade près du village de Tongo-Tongo, dans le Nord du pays et à quelques km de la frontière avec le Mali, la France et les États-Unis ont décidé d’y déployer des appareils armés, des drones, destinés à frapper des djihadistes, du lac Tchad au Sud libyen. Les deux partenaires du Niger redoutaient une réorganisation des combattants de l’État islamique et d’Al-Qaïda depuis leurs récents revers en Irak et en Syrie. Décision suivie d’effet, dès novembre 2017. À cette date, des responsables militaires américains ont annoncé que les autorités nigériennes avaient accepté l’armement de leurs drones Reaper, basés, dans un premier temps, à Niamey. Jusque-là utilisés comme un moyen de surveillance aérienne, ils pourraient, désormais, éliminer n’importe quelle cible dans la région. Il était prévu que les drones, repositionnés, décollent alors de la base américaine d’Agadez, ville située à 900 kilomètres au nord-est de Niamey, qui accueille les 800 militaires du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM). La base d’Agadez est la deuxième de cette taille après celle de Djibouti, d’où les États-Unis mènent régulièrement des opérations de frappe en Somalie et au Yémen. Le coût de sa construction aurait dépassé la somme de 120 millions  de dollars américains.[iv] Début novembre 2019, l’US Air Force a annoncé que les premiers vols ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance) ont eu lieu à partir de la Base aérienne 201 d’Agadez.[v]

La France, dans sa traque des terroristes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, avec l’Opération Serval, a utilisé le service de drones. En février 2014, ces appareils espions sans pilotes avaient atteint 10 000 heures de vol dont 3 000 pour les seuls besoins de Serval.[vi] En effet, depuis 2014, Paris dispose de six Reaper achetés aux Américains et à présent affectés à des missions de surveillance et de renseignement, dans le cadre de l’Opération Barkhane. La France compte les transformer également en drones tueurs, par l’obtention de deux autorisations :

– l’une, des Américains, afin de les armer ;

– l’autre, des autorités nigériennes, pour opérer des frappes.

Le 19 décembre courant, le ministère français des Armées a annoncé « les tirs d’expérimentation de trois drones Reaper ont été menés avec succès » au Sahel. Preuves que les deux autorisations ont été obtenues. Les trois appareils pourront désormais être aussi utilisés pour frapper l’ennemi «si l’opportunité se présente », explique le communiqué de la ministre, Florence Parly.[vii]

De son coté, dans le cadre du Programme d’appui au renforcement de la sécurité (PARSEC), dans la région de Mopti, l’Union européenne a fait don au Mali d’un avion de type CESSNA, en avril 2019. Ce vecteur aérien devait être déployé à Mopti et à Sevaré. Cet avion est jugé très performant de par sa vitesse, sa fiabilité de pilotage et son équipement de haute technologie, et peut accomplir de nombreuses missions d’observation et de surveillance du territoire et des espaces frontaliers. Avec des prises de photographies et de cartographies de haute définition et des prises de vidéos avec un système intégré de « cracking » de véhicules et d’imagerie thermique en situation nocturne ou dégradée, le CESSNA peut rendre de nombreux services. L’appareil est aussi équipé d’une boule optronique permettant d’optimiser la surveillance de grandes zones avec un niveau de précision de très haut niveau, malgré un vol à haute altitude, afin d’éviter les risques d’attaques et de tirs du sol. Son exploitation devait être assurée par le personnel de l’Armée de l’air malienne et les décisions de son utilisation, placées sous le contrôle du Gouverneur de la région de Mopti. Auraient la possibilité de solliciter l’utilisation du vecteur aérien : les directions régionales de la Gendarmerie, de la Police, de la Douane, des Eaux et Forêts et de la Protection civile, les Forces armées maliennes et le commandement régional de la Garde nationale[viii].

Les meilleures pratiques au Maghreb

Chacun des pays membres du G5 dispose d’une Armée de l’air, avec du personnel formé au pilotage, à la surveillance et d’une flottille d’hélicoptères et de petits avions d’entrainement. En raison de son expérience historique et du profil de son chef d’État, pilote de formation, le Tchad est le mieux doté, en la matière. Ce pays possède de véritables jets de combat avec, notamment, ses trois MiG-29. Le Tchad est aussi le pays le plus souvent engagé aux côtés de la Force Barkhane. Ainsi, les pays du G5, chacun, selon leurs ressources, peut prendre part à cette bataille de la surveillance électronique des frontières[ix].

Ces dernières années, les plus grandes réussites de surveillance électronique des frontières viennent de trois pays du Maghreb, pour des raisons différentes. La rivalité entre l’Algérie et le Royaume du Maroc, dans le dossier du Sahara occidental en particulier, a stimulé ces deux pays dans ce domaine. L’aviation militaire algérienne a renforcé la surveillance des milliers de kilomètres de frontières.   La longue frontière de plus de 3 000 km que l’Algérie partage avec le Maroc, à son flan sud-ouest est l’objet d’attentions particulière. Des caméras infrarouges, des radars mobiles, des moyens aériens notamment des drones, ainsi que des procédés de surveillance par satellites y sont déployés. De son côté, le Maroc a construit une clôture dotée de capteurs électroniques, entre autres. Par ailleurs, les deux pays se sont lancés dans une course aux armements.[x]

La Tunisie, en vue de se protéger contre le terrorisme, la contrebande, la mafia et la migration irrégulière, a mis en place un grand système de surveillance électronique de ses frontières. Par ailleurs, ce pays a communiqué les coûts de telles installations :

– 40 millions de dollars pour couvrir près de 190 km de la région frontalière Ras Jedir (délégation de Ben Guerdane dans le gouvernorat de Médenine) à Dhehiba (Tataouine), dispositif installé par les États-Unis grâce à un don fait à leur partenaire tunisien ;

– 90 km de Dhehiba à Bir Ezzar dans la zone militaire tampon de Remada, dispositif également installé par les États-Unis sur un financement allemand, dans le cadre d’un don de 16 millions d’euros. [xi] Le souci de lutter contre la migration irrégulière semble avoir motivé l’Allemagne.

En dépit de l’efficacité de la surveillance électronique, rien ne remplace le « facteur humain » : les patrouilles et les combats au sol restent incontournables. Mais, en principe, les attaques par surprise devraient se réduire, de façon considérable. Certaines critiques se feraient rares…

Limam NADAWA

Journaliste / consultant Centre4s

[i] https://www.jeuneafrique.com/869010/politique/niger-letat-islamique-revendique-lattaque-dinates/

[ii] L’Actualité, hebdomadaire nigérien, numéro 530 du 16 décembre 2019, page 2.

[iii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Avion_de_reconnaissance

[iv] https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/niger-des-drones-reaper-positionnes-sur-la-base-aerienne-d-agadez-6591893

[v]ISR Ops Begin at Nigerien Air Base 201 in Agadez – https://go.usa.gov/xp4xz et https://www.africom.mil/media-room/pressrelease/32334/isr-ops-begin-at-nigerien-air-base-201-in-agadez

[vi] https://www.avionslegendaires.net/2014/03/actu/les-drones-francais-en-action-dans-le-sahel/

[vii] https://www.lefigaro.fr/international/defense-les-drones-francais-armes-ont-tire-pour-la-premiere-fois-20191219

[viii] http://mali-web.org/politique/cooperation/lue-offre-au-mali-un-avion-pour-des-missions-dobservation-et-de-surveillance-du-territoire.

[ix] https://www.avionslegendaires.net/2018/05/actu/les-aeronefs-des-forces-aeriennes-des-nations-du-g5-sahel-en-2018-et-en-images/

[x] https://www.lematindz.net/news/22274-lalgerie-deploie-drones-et-satellites-pour-surveiller-les-frontieres.html

[xi]https://www.shemsfm.net/fr/actualites_tunisie-news_news-nationales/220158/le-systeme-de-surveillance-electronique-des-frontieres-a-gabes-a-dejoue-95-des-operations-de-contrebande