Sahel : ‘’c’est la faute des autres ‘’!

Au Sahel, certains gouvernements ont le regard fixé sur le rétroviseur, ne voulant rien savoir du présent et encore moins du futur. Le discours populiste et son lancinant refrain, c’est la ‘’faute des autres’’, condamne fréquemment l’action de la communauté internationale sans rien offrir en échange. Une démagogie qui ne rend service ni aux pays du Sahel ni aux régimes eux-mêmes. Un regard, nouveau et libéré, est devenu nécessaire.

Des dérives démagogiques structurelles.

Avec quelques succès militaire de Barkane, l’hiver 2019 a semblé constituer un tournant décisif. Puis au Mali, origine et encore principal lieu géographique du conflit, et au Burkina Faso où il a dérivé et y prospère, les perspectives sont devenues maussades. Huit ans après, les réponses politiques et militaires à la crise tardent à être décisives.

Aujourd’hui, ‘’les forces alliées‘’ font face à un défi double. Les armées locales sont de moins en moins motivées et semblent même,  de plus en plus, perdre pied. Chaque semaine, voire chaque jour, des pertes significatives en hommes et en matériel lourd sont signalées. Au profit de rebelles opérant souvent, au mieux, à moto voire à  pied. Si la valeur intrinsèque des soldats n’est pas mise en cause, il n’en va pas de même de la conduite politique de la guerre. L’audace et les victoires des rebelles au cours des attaques du 30 septembre à Moudoro et Boulkessy au Mali, poursuivies par des incursions armées au Burkina Faso, et les manifestations populaires, encouragées contre les bases des Nations Unies, semblent confirmer le début d’une nouvelle ère du conflit. Une ère à trois niveaux.

D’abord celle des dénis et de la chasse des ‘’ sorcières complices de l’ennemi et de traitres de l’intérieur.’’ Le front domestique se fragilise à la suite du foisonnent des surenchères ‘’patriotiques’’, peu propices à règlement des crises. Une censure de fait s’imposée alors à tous. Peu soucieux de la fragilisation de l’état central, les démagogues imposent leur agenda. Simultanément, les gouvernements cherchent à survivre plus qu’à trouver une sortie de crise. A la surenchère des opposants, ils apportent des politiques populistes qui fragilisent davantage un état déjà exsangue.

Puis suit une période des plus dangereuses, celle du complot extérieur. Celle qui attribue les errements et multiples échecs des élites dirigeantes ‘’aux Autres’’ c’est à dire les partenaires extérieurs. L’enlisement et les déboires militaires ne seraient que le résultat de machinations contre le Sahel et nullement le résultat des gestions hasardeuses, présentes ou passées, du personnel et des ressources nationales. Cette fuite en avant, un véritable opium, dopent les opinions publiques contre les partenaires extérieurs.

Il en résulte que l’indispensable assainissement politique et économique des pays attendra.

Finalement la crise s’emballe davantage avec l’intrusion de spécialistes, politiquement engagés, avalisant la réalité du complot extérieur.  Plus que tous ses voisins, le Mali est le plus fragilisé par ce récit ‘’complotiste et ‘’cette puissante main invisible qui poursuit un travail de sape’’. Pourtant, le Sahel ferait bien de tirer des leçons des dégâts causés, particulièrement au Moyen Orient, par la culture du complot.

Si cette tendance suicidaire n’est pas victorieusement confrontée, la stabilité et l’avenir des pays sahéliens pourraient atteindre un point de non-retour. C’est-à-dire des crises chroniques et multiformes pouvant aboutir à la déstructuration et à la ‘’retribalisation’’ des états, tels la Somalie, l’Afghanistan et l’Irak en guerres  perpétuelles.

 

Nécessaire sursaut régional.

Nouvelle organisation régionale chargée des questions de sécurité, le G 5 Sahel est loin d’avoir démérité. Les problèmes de la région sont désormais mieux connus et confrontés.

Sécuriser un territoire immense – plus vaste que l’Europe occidentale – où les déficits d’infrastructures sont légendaires, les rebellions une tradition bien ancrée et les loyautés souvent flexibles, n’est pas une tâche aisée. De surcroit, un mandat ingrat, des ressources limitées et des institutions régionales ayant le même objet ne favorisent pas les succès. Eviter bureaucratisation et lenteurs qui plombent des institutions similaires, condamne le G 5 Sahel à évoluer. En vue d’assurer sa survie et surtout son utilité, deux voies  s’ouvrent à l’organisation: renforcement du mandat et examen du nombre des états membres.

Le  renforcement du mandat passe par celui du Secrétariat de Nouakchott, avec des ressources plus adéquates, une plus grande attractivité pour les compétences et une plus large autonomie dans les propositions de réponses à la crise.

Il est également important de faire face à la réalité sur le terrain. En d’autres termes, reconnaitre que depuis 2013, le Sahel est en état de guerre. Dès lors il est contre-productif de s’attarder uniquement sur l’origine immédiate de son éclatement en 2012 et non sur ses causes profondes, les raisons de sa poursuite, l’affaiblissement continu des forces armées nationales et la recherche d’une sortie rapide.

Le Sahel vit une guerre. A elles seules, les incantations et imprécations n’y mettront pas fin. Ni non plus les fonds de commerce constitués et alimentés par les accusations – réminiscences de la guerre froide – contre des pays étrangers et des organisations internationales, présentes uniquement pour piller nos ressources et non pour aider! Le Sahel, et l’Afrique en général, ne devraient pas être amnésiques et oublier aisément les tragédies humaines et matérielles liées à la période de la guerre froide. Celle de ces types de discours.

Mieux que ces slogans d’une autre ère, les réformes dans la gouvernance des pays aideraient davantage.

L’élargissement du G 5 Sahel à des états de la région offrirait d’importants atouts pour combattre l’insécurité dans son enracinement et dans ses ambitions expansionnistes vers le golfe de guinée. L’appétit des djihadistes est connu pour les régions peuplées et où l’intendance pose moins de difficultés que dans le désert.

Dans ce contexte, des candidats naturels au G 5 Sahel, puisque concernés et intéressés, sont le Sénégal et la Cote d’Ivoire. Au G 5 Sahel, ils apporteraient une expertise éprouvée dans le domaine militaire et du renseignement.

Réorganisé, élargi et s’appuyant sur des états engagés dans des réformes internes, le G 5 Sahel serait bien placé pour exécuter son mandat.

Et ses élites cesseront de répéter, ad aeternam, la vieille litanie : ‘’c’est la faute des autres’’ !

 

Ahmedou Ould Abdallah, Président centre4s