Sahel: déficits d’anticipation et de gestion des conflits

Ahmedou Ould Abdallah, président centre4s

Depuis 10 à 15 ans, la sécurité ne s’améliore guère au Sahel. Au contraire, elle s’y ancre et s’y aggrave. Alimentée par les destructions des infrastructures et la détresse des populations, les migrations  anarchiques vers les villes et, au-delà, vers l’extérieur, l’insécurité se perpétue. Pire, elle s’étend à l’ouest, à l’est et se répand vicieusement au sud vers les golfes du Benin et de Guinée.

 

 

 

L’implosion en cours du Soudan – ajoutée à la crise structurelle libyenne, aux chaos autour du Liptako Gourma et du lac Tchad – interpelle. Pour tenir, avec ou sans partenaires extérieurs, désormais concurrents, les états du Sahel doivent aller au-delà des gestions du quotidien. Se plaindre constamment du passé colonial n’apporte pas de solution aux problèmes actuels. Accroitre les capacités d’anticipation, par une gestion plus moderne des conflits, reste une meilleure approche.

Capacités d’anticipation et de gestion des conflits.

 Ancré au Sahel depuis plus d’une décennie, le terrorisme continue d’y progresser, bouleversant les sociétés. Parmi ses victimes : 33 millions de personnes – dont 11 millions de déplacés et de réfugiés – ont actuellement besoin de protection et d’aide humanitaire. Certes, les guerres civiles en Libye et au Soudan consolident et alimentent le terrorisme mais elles ne sauraient détourner l’attention des causes se trouvant à son origine. Elles sont nombreuses.

L’une des plus importantes reste la marginalisation, voire l’exclusion politique de groupes nationaux par le pouvoir central. Les raisons: l’appartenance  régionale, tribale (1), ou sociale. Ces abus et autres iniquités finissent par engendrer des rebellions armées. La couverture religieuse les aide à mobiliser davantage et surtout leur donne une dimension internationale.

Jouant la – dessus, les terroristes y appliquent les pratiques et slogans de leurs frères afghans et somaliens: le renforcement des économies parallèles avec trafics d’opium ici, de bois et divers autres produits là et ‘’accompagnement’’ des migrants. L’autofinancement par des activité lucratives liées aux trafics – or, drogues, cigarettes, migrations, est généralisé. Cette situation se développe dans un contexte très chargé depuis 2011 : crise économique et financière mondiale, printemps arabes, pandémie du Covid 19, guerres en Ukraine et au Moyen orient.

C’est à ce niveau que pour protéger leurs pays, les gouvernements du Sahel devraient avoir des capacités humaines d’anticipation. Une coopération inter étatiques régionale et internationale, ne peut que les soutenir. Chercher, malgré les multiples contraintes, à voir au-delà du quotidien, devient une nécessité. L’objectif demeure la planification des actions à long terme dans une région ou presque tout fonctionne au jour le jour. Ceci malgré d’immenses potentiels : des populations jeunes et dynamiques, de vastes possibilités dans le domaine de l’agriculture et des énergies y compris les renouvelables et, enfin, une offre de bras excédentaire.

Après plus d’une décennie de terrorisme violent et ses conséquences, le temps est venu pour les états du Sahel de mieux s’organiser individuellement et collectivement. Tout d’abord au niveau national, afin de  pouvoir prévenir les conflits et les gérer quand ils éclatent. L’usage de la force armée devant encore prouver son efficacité contre le terrorisme, des approches de gestion – traditionnelles ou modernes – devraient être tentées.

De nombreux conflits sont interconnectés dans un même pays et entre états voisins comme au Liptako Gourma (Burkina Faso- Mali – Niger). La plupart éclatent aux frontières inter-états, s’y renforcent avant de s’étendre au-delà. L’indigence de la coopération sécuritaire et la poursuite de stratégies militaires classiques contre les groupes armés agiles épuisent humainement et financièrement des pays déjà confrontés à d’autres obstacles. Les crises climatiques, dont les inondations et les sécheresses, affectent plusieurs millions de personnes. S’attaquer à leurs causes profondes est prioritaire: réduction de la pauvreté et des inégalités en particulier au détriment des femmes et des filles. Y ajouter la promotion de la paix et de la démocratie, l’adaptation aux changements climatiques et l’appel aux rebellions à mettre fin aux hostilités peut aider. Les efforts de prévention des conflits et d’adaptation de la lutte contre le terrorisme aux réalités des pays devraient s’imposer tant au niveau des populations sur le terrain qu’à celui des élites des capitales.

Meilleure et plus moderne gestion des conflits.

L’enracinement et l’expansion du terrorisme restent liés à une gouvernance indigente et à un déficit de coopération solide entre forces de sécurité nationales et régionales. Percevoir les signes des crises, les arbitrer et surtout les prévenir et savoir les gérer quand elles éclatent, tels sont les défis au Sahel. Depuis plus de dix ans, luttes inter communautaires, terrorisme et conflits s’y étendent et s’y enracinent. Un de leurs  effets des plus pervers reste les inter-alliances lors des combats contre les forces gouvernementales. Celles-ci ont des approches plus conventionnelles qu’adaptées aux luttes contre les guérillas. En d’autres termes : des attaques individuelles ou en groupes et l’absence de ligne de front.

Par ailleurs, plus le terrorisme dure et plus il lui devient plus facile de recruter, par conviction ou par contrainte, de nouveaux combattants. L’insécurité ainsi créée  favorise, voire impose, la corruption qui par nature affaiblit les services publics, en particulier ceux de la sécurité.

Afin d’éviter ce terrorisme structurel, intégré à la vie quotidienne, les gouvernements devraient d’abord opter pour une gestion plus moderne de leurs états. Très dangereusement, la culture du parti unique des années 1960, celle de la guerre froide, continue d’imposer le suivisme. Elle offre un puissant fertilisant au terrorisme. C’était la démagogie et la fuite en avant sans soucis réels, en particulier, pour les intérêts économiques des pays.

 La peur, voire le rejet de la modernisation, entrave les efforts de développement, offrant ainsi plus d’espaces, politiques et territoriaux, au terrorisme. De surcroit, l’accès aisé aux moyens de communication électroniques, désormais accessibles à tous et presque en tous lieux, facilite l’expansion du terrorisme et des violences. Ceci est encore plus vrai quand les citoyens se sentent frustrés et marginalisés par des politiques plus tribales que nationales.

Le fébrile statu quo libyen et l’implosion en cours au Soudan invitent particulierement les états du Sahel à résoudre au plus tôt des conflits plus liés à la gestion des états qu’au seul terrorisme.

In fine, les efforts des gouvernements du Sahel contre le terrorisme et ceux des pays du Nord face aux  migrations venues du Sud appellent à de fortes alliances politiques internes et entre états de la région. Le soutien de la communauté internationale, même hélas revenue à l’ère de la guerre froide, demeure vital au-delà des péripéties actuelles.

  1. “retribalisation” ou le retour politique de la Tribu, face au recul de l’Etat, est délibérément repris par le centre4s pour rappeler la fragilisation de l’unité nationale en cours dans quelques états du Sahel.

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