Sahel et Lybie : une intervention militaire ?

A ce niveau, un retour sur l’histoire récente de la région et les rapports de ses états avec la Libye, n’est pas sans intérêt. Par ailleurs, la lutte contre l’impunité, qui ne peut laisser indiffèrent, s’invite au Mali où les pourparlers entre parties sont prévus dans quelques jours à Alger.,

 

Un effort de mémoire

Depuis plusieurs semaines, il ne se passe guère de jour sans un appel aux armes pour stabiliser la Libye et, par extension croit-on, l’ensemble du Sahel. Appels venant essentiellement de dirigeants du Sahel mais aussi de certains milieux à Paris. Pour préparer les opinions publiques à une action internationale armée on ne ferait pas mieux. A moins que ces déclarations ne soient faites pour constater l’échec de l’action diplomatique internationale et surtout celle des voisins de la Libye.

Il y a de fait un grand problème avec ceux qui appellent à une intervention armée dans ce pays. Ce problème est qu’ils ne savent pas, ou feignent d’ignorer, que l’insécurité dans la région est très ancienne. Elle dure depuis plus de trois décennies et est directement liée à la Libye qui en est la source principale. Pour ce pays, le Sahel était son terrain de jeu et les jouets étaient de véritables armes de guerre.

Il y a exactement trente-cinq ans, janvier 1980, des commandos fortement armés, passant à travers le territoire algérien, attaquaient par surprise la ville tunisienne de Gafsa qu’ils occupèrent pendant plusieurs heures. De nombreuses victimes et d’importants dégâts matériels en résultèrent. Auparavant, en mars 1976, le Niger du président Kountché vécut une sanglante tentative de coup d’état financée et encouragée depuis un riche pays voisin. Les incessantes incursions militaires contre le Tchad se sont succédées, du début des années 1980, autour de la bande d’Aouzou, jusqu’à l’attaque de janvier 2008 qui amena les rebelles dans les rues de la capitale N’Djamena. En décembre 2006, le président Omar El Béchir expliquait à un répresentant onusien, que la plupart des difficultés de son pays provenaient plus souvent d’un état voisin que de puissances extérieures.

Les guerres civiles des années 1990, qui ont tant affaibli le Sahel, et en particulier le Mali et le Niger, bénéficièrent toutes de puissants appuis extérieurs – politiques, logistiques et financiers de ce même état mentionné par El Bechir. Les soutiens matériels et financiers aux rebelles des guerres civiles du Sierra Leone et du Libéria – décembre 1989 à aout 2003 – étaient revendiqués, haut et fort, par les mêmes parrains qui de Tripoli finançaient le désordre régional.

Toutes ces crises et guerres civiles avaient un dénominateur commun : le régime libyen. Par l’action de ses légions, appelées tantôt arabes tantôt islamiques, celui-ci a brisé les efforts d’unités nationales de nombreux pays sahéliens et asservi les majorités autant que les oppositions politiques. Craignant une déstabilisation orchestrée depuis la Libye et, toujours en quête de subventions, publiques et privées, certains de nos pays avaient accepté toutes les exigences de Tripoli y compris le recrutement des nationaux dans ses corps expéditionnaires et ses milices nationales.

A travers des opérations militaires – Lamentin, Manta et Epervier, la France était venue au secours des pays agressés. La grande Bretagne en fit de même en 2000 pour sauver le Sierra Leone. Le chaos était tel, au Libéria et au Sierra Leone, que l’organisation sous régionale, CEDEAO, y déploya des troupes, dites Ecomog, suivies peu après, par celles des Nations Unies.

Le déni, ou l’oubli, de ces réalités risque d’empêcher la mise en place de solutions justes et durables.

La question, qui demande une réponse urgente est comment assurer la stabilité du Sahel ? Celle-ci a des causes multiples mais, en réalité, peu sont directement attribuables à la seule chute du régime libyen en 2011. Chute qui a été, certes, le déclic ayant mis le feu à un incendie qui couvait depuis plus de trente ans.

Aujourd’hui, la Libye étant en déliquescence et, sa crise des plus contagieuses, que doivent faire les états du Sahel ?

 

Comment s’en sortir?

Lutter contre l’extrémisme violent, exige sans aucun doute l’usage de la force armée. Une force professionnelle. Mais à elle seule, celle-ci ne peut suffire. La première ligne de défense des pays du Sahel, contre cet extrémisme, passe par la formation de fronts communs et de rassemblements ou gouvernements d’union nationale, en place et lieu des fuites en avant auxquelles l’on assiste à travers la région. Le rassemblement de la classe politique française, autour du président Hollande et à son invitation, au lendemain de l’assassinat par des terroristes de douze citoyens, démontre l’importance et la symbolique des fronts unis en période de crises graves.

Par ailleurs, une meilleure gouvernance doit renforcer ces fronts internes et non viser à consolider les capacités d’un président et de son parti. Enfin, la gestion plus saine des ressources naturelles et des marchés publics demeure la priorité pour rassurer des citoyens plus exigeants et qui demandent le changement.

Stressée, la région ne peut survivre plus longuement sans des systèmes internes d’immunité qui la protègerait des multiples attaques : injustice, arrogance et abandon, etc. Sa militarisation, d’origine externe, est déjà rampante et s’amplifiera encore davantage avec une intervention militaire internationale en Libye. Celle – ci viendrait renforcer la militarisation constatée, au niveau national, depuis ces cinq dernières années. Cependant, ces militarisations ne pourront résoudre la crise profonde qui sévit dans ces pays. Bien au contraire, elles l’aggraveront en renforçant des régimes qui, ne reformant ni leurs systèmes ni leurs pratiques de gouvernance, s’exposent à plus de risques pour leurs pays, leurs partenaires aussi bien que pour eux-mêmes. En tout état de cause, ces réformes politiques restent bien moins couteuses politiquement et financièrement qu’une expédition militaire en Libye.

 

Les risques inhérents à l’impunité

Au Mali, les discussions pour mettre fin à la crise doivent reprendre fin janvier. Ni les compétences ni les bonnes volontés ne manquent pour assurer la réussite de la prochaine rencontre. Mais, cela ne suffit pas en temps de crise et à la veille du nouveau Round à Alger, des attaques armées se produiront. Sans doute pour faire monter les enchères.

Dans un rapport rendu public le 10 novembre 2014, Africa Human Rights Watch rappelle au bon souvenir de tous les participants la question de l’impunité au Mali. A travers sa spécialiste de la région Corinne Dufak, cette organisation recommande que ‘’ Les pourparlers de paix du Mali doivent réussir là où les accords précédents ont échoué, en traduisant en justice les responsables des atrocités. L’accord final devrait inclure des dispositions pour soutenir les poursuites pour crimes de guerre, renforcer la commission de recherche de la vérité et garantir la vérification minutieuse des antécédents du personnel des forces de sécurité….. Les prochaines négociations à Alger devraient remédier aux lacunes en matière de droits humains et de responsabilisation des accords précédents entre les factions belligérantes au Mali, notamment les accords de Tamanrasset de 1991, le pacte national de 1992, les accords de Bourem de 1995 et les accords d’Alger de 2006.’’

Africa Human Rights Watch ne semble pas se satisfaire du fait que la seule mention des droits de l’homme se limite à la ‘’ réaffirmation du caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité’’ contenue dans le Chapitre V du projet d’Accord. Comment enrichir ce Chapitre V par des propositions concrètes semble désormais plus que nécessaire. Au vu du passé tragique des guerres civiles qui continuent d’endeuiller le Mali et d’autres pays du Sahel, le respect des droits de l’homme est un impératif.

Certes, il n’y a pas d’alternative à l’optimisme mais le Sahel Sahara et ses partenaires extérieurs doivent se préparer à une nouvelle rude année. Surtout avec des retours de combattants ayant servi l’Etat Islamique en Irak et en Syrie.

 

 

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo sahélienne

 

 

 

 

 

 

 

 

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