Sahel: le terrorisme menace la cohésion sociale.

Sauf là où l’interrogation sur le phénomène n’est guère posée, le djihadisme, ou « extrémisme violent », est une menace constante pour le tissu social, dans presque la planète entière. Les actes terroristes fragilisent les communautés nationales et mettent en danger la difficile construction de l’Etat-nation dans les pays africains.

 

 

 

Le « Discours de Ratisbonne »

Le ciblage des victimes est un piège, en ce sens que des amalgames naissent immédiatement, alimentés par la grande douleur des personnes frappées ainsi que le ressentiment de leurs proches. Les attaques terroristes provoquent des instincts de vengeance indistincte et affaiblissent le droit, la loi et la pensée. 

Les représailles sur des communautés, suite à l’action des « fous d’Allah », sont un signe que ces derniers ont atteint leur but : semer le chaos, la zizanie et la folie meurtrière dans les sociétés.

Un de ces premiers signes fut le « Discours de Ratisbonne » du Pape émérite Benoit XVI, en date du 12 septembre 2006. Dans cette ville allemande, située dans le Land de Bavière et baignée par le Danube, où il avait été professeur, Benoit XVI prononce un discours sur le thème : « Foi, raison et violence ». L’idée générale, qui se dégage, est la condamnation de la violence exercée sur des êtres humains, au nom de la religion.

En raison du contexte d’attentats terroristes, de hauts responsables musulmans et même des dirigeants politiques de divers horizons se croient attaqués par le pape. Ils l’accusent de lier la foi musulmane à la violence. Grand tollé, qui aboutira, dans l’immédiat, au rappel de l’ambassadeur du Royaume du Maroc auprès du Vatican. Cependant des intellectuels musulmans, lucides, au rang desquels Tariq Ramadan, à l’époque auréolé du titre de théologien érudit, montent au créneau, ou au front du combat d’idées, afin de mettre en garde le monde musulman contre cette dérive simpliste, qu’il qualifie de « débordement émotionnel et absolument incontrôlé ».

Quatre jours plus tard, le Vatican se voit obligé de faire une mise au point. Le pape se dit « absolument désolé » que ses propos soient interprétés comme offensants pour l’islam.

Ce débat, passionné et dangereux sur la liaison entre violence et islam, irradie aussi les pays africains.

L’action des terroristes enflamme les relations entre l’opinion publique et ses forces armées, accusées ou soupçonnées d’incompétence et de couardise dans cette guerre sans merci. Des ministres de l’Intérieur et de la Défense nationale se voient accusés, à chaque bilan désastreux d’attaques, de carence et de laxisme.

Selon l’appartenance, réelle ou supposée des assaillants, des communautés vont s’affronter, après le forfait de ceux-ci. Par exemple : Au Mali, ce sera des Peuls contre les Dogons ou des Peuls contre les Touareg; Au Niger, des Peuls contre les Touaregs; Au Burkina Faso, des Peuls contre des Mossi, etc.

 

Communautés contre communautés

Les terroristes peuvent se frotter les mains, car la cohabitation et les mariages intercommunautaires s’avèreront compliqués, par endroits et dans un avenir proche. Même des « intellectuels » se laissent prendre à ce jeu de mots mortels : « Nous avons un problème ethnique ». En cette accusation, ils s’appuient sur la régularité des attaques attribuées, à tort ou à raison, à la communauté peule et aux vengeances récurrentes dont cette composante de la population s’estime victime. Nul recul, nul effort d’analyse rationnelle n’est creusé, afin d’y déceler une stratégie de déchirement du tissu social par les terroristes. 

Les terroristes divisent aussi l‘opinion publique, dans les pays. Leur action a provoqué, entre autres, une ”forme d’invasion par des Forces étrangères ‘’ dans de nombreux pays africains : Burkina Faso, Mali et Niger, notamment. Au Tchad des Forces françaises étaient déjà sur place depuis bien longtemps.

Cette forte présence de bases militaires, en terre africaine, a créé deux camps: les « pour » et les « contre » ou Pros and Cons. Ils divisent aussi des pays et des peuples entiers, qui s’accusent, mutuellement, d’abriter des terroristes. Ce clivage atteint aussi les Forces de défense et de sécurité elles-mêmes avec des commentaires du genre: « Bizarre qu’après leur attaque, chez nous, les terroristes aient pu se replier, tranquillement, dans le pays voisin » commentent certains citoyens. 

Dans les villages, et dans les hameaux reculés, cette division bat, également, son plein. Il suffit qu’un seul fils du village rejoigne le maquis des barbus pour que l’opprobre soit jeté sur sa famille, surtout, qui ne l’y a point envoyé, ses amis, ses voisins et ses lointaines relations. Le germe de la discorde est semé !

Le délit de faciès fait des ravages dans les contrées africaines. La moindre barbiche, qui pend sous le menton d’un homme, est assimilée à un « signe de radicalisation ». Vite, faut aller chez le coiffeur ! A vos rasoirs, musulmans, y compris si votre peau est allergique à ce petit métal ! Le port, même volontaire ou par mimétisme, du voile ou tchador ou hijab fait passer des femmes pour « terroristes », capables de camoufler des explosifs dans cet accoutrement. Le turban, coiffure traditionnelle chez beaucoup de peuples, arrache, désormais, des soupirs d’inquiétude, et crée des frayeurs, au passage de leurs porteurs. C’est la psychose, la hantise de l’attentat. La peur du « poseur de bombe » ou de l’individu qualifié de « porteur de ceinture d’explosifs » ambulant qui fragilise, psychologiquement, le citoyen ordinaire.

Amalgame dans le Sahel.

Dans certains contextes, nait « l’amalgame », musulmans égale terroristes. De paisibles citoyens, sont du jour au lendemain catalogués, stigmatisés et même parfois marginalisés dans leur propre localité. Quant à ceux qui ne professent pas la foi de Mahomet, ils ont intérêt à contrôler leur langue, parlant de religion. Des « propos anti-islamiques » ou des « comportements islamophobes », tel le blasphème, véritable épée de Damoclès, au Pakistan, peuvent leur être prêtés, à tout moment.

Il faut alors se cacher, pour réfléchir aux problèmes de la cité, se censurer, quand on veut disserter sur des faits sociaux. L’évocation de l’occupation spontanée (un euphémisme) des places publiques, par les fidèles de la Grande prière du vendredi, n’est plus vue comme une entrave à la libre circulation des usagers de la route, mais comme une « attaque contre l’islam ».

Les destinations, lors des voyages, deviennent objet de suspicions. Elles ne sont plus innocentes, fonctionnelles ou d’agrément : « Dis-moi où tu es allé, je te révélerai ta proximité ou ton degré de complicité avec les terroristes ! »  

Les puissances militaires étrangères se voient chargées de tous les ‘’péchés d’Israël’’: ‘’c’est la main de telle puissance occidentale. La résilience des groupes terroristes prouve, à souhait, qu’ils sont financés par des puissances industrielles.’’

Les puissances étrangères se livrent des guerres secrètes, par terroristes interposés : comment cela se fait-il que les terroristes entrent dans les pays et en ressortent, au nez et à la barbe (si l’on ose…) des drones des bases militaires étrangères ?

– Les puissances extérieures nous fragilisent pour mieux nous imposer leurs agendas: chaque puissance mondiale veut avoir sa base au Sahel, pour des raisons géostratégiques et pour les richesses du sous-sol.’’ Etc.

In fine, reconnaissons que les terroristes sont en train de gagner une bataille décisive : la division de nos sociétés. Gare !

 

André Marie Pouya

Journaliste & Consultant, pour centre4s