La majeure partie de l’opposition au président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) avait salué le coup d’État du 18 août 2020. Elle nourrissait l’espoir de voir le Conseil National pour le Salut du Peuple (CNSP) épargner le Mali des violences terroristes et communautaires et d’une profonde crise économique, sociale et politique. Le retour des civils au pouvoir, au terme d’une transition courte, faisait, également, partie de ses attentes. L’occupation progressive de l’espace politique par les militaires a semé le doute.
Les prémisses d’une militarisation ont commencé avec l’installation, le 25 septembre, d’un ancien ministre de la Défense, le colonel à la retraite, Ba Ndaw, à la tête de la Transition. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) avait exigé un civil. Un maquillage audacieux, qui, accepté, a encouragé la junte à choisir, deux jours plus tard un Premier ministre, le très expérimenté ancien ministre des Affaires étrangères (2004 – 2009), Moctar Ouane. Dans le gouvernement, nommé le 5 octobre, les militaires occupent les postes stratégiques de la Défense et des Anciens Combattants ; l’Administration territoriale et la Décentralisation ; la Sécurité et la Protection civile ; la Réconciliation nationale. Le Conseil des ministres du 25 novembre 2020 a nommé 13 gouverneurs militaires de régions, sur un total de 20. Tous sont, dit-on, des proches du vice-président du gouvernement, le colonel Assimi Goita.
La seule figure du CNSP jusque-là encore ‘’ libre’’, le colonel Malick Diaw, numéro deux de la junte du coup d’état du 18 aout 2020, a été porté, ce 5 décembre à la tête du Conseil National de Transition (CNT). L’organe législatif de la Transition appel à conduire les réformes : rétablissement et renforcement de la défense et de la sécurité, la promotion de la bonne gouvernance, la refondation du système éducatif, réformes politiques et institutionnelles, adoption d’un pacte de stabilité sociale et, enfin, organisation d’élections générales.
Pour composer le CNT, la junte a fait ses emplettes politiques, partout sur la scène nationale : des militaires, mais aussi des personnalités des anciennes majorités et oppositions parlementaires, des membres du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), des figures d’anciens groupes armés rebelles, des représentants de la société civile et une star de la musique malienne, Salif Keïta. Les critères de recrutement échappent aux partis politiques et même à certains heureux élus. Par ailleurs 22 militaires y siègent
La Fronde des tombeurs d’IBK !
Des membres du M5-RFP, force de frappe politico-religieux, sous la houlette de l’imam Mahmoud Dicko, qui a combattu l’ancien président IBK jusqu’à sa chute, sont montés au créneau, pour dénoncer la Charte de la transition et l’installation d’un régime militaire. Au nom du rôle qu’il a joué, dans « la lutte », le M5-RFP revendiquait, non seulement, la présidence du CNT, mais encore, le quart des sièges de l’organe législatif. En réalité, huit sièges lui ont été octroyés. Face à ce double échec, le Mouvement menace de reprendre ses « activités de protestation ». Pour ses dirigeants, le CNSP est frappé d’une certaine illégitimité, pour les avoir marginalisés. Le Mouvement signifie aux militaires qu’il se porte bien et est prêt à se battre encore jusqu’à l’aboutissement de son objectif ultime à savoir le changement de système de gouvernance du pays.
Aux yeux du Mouvement, les personnalités cooptées par la junte feraient plutôt partie des « forces hostiles ». Les anciens et, peut-être, nouveaux marcheurs entendent être, pleinement, impliqués dans la gestion de la Transition. La frustration du Mouvement est d’autant plus forte que, pour endormir sa vigilance, la junte lui aurait promis la primature et trois quarts des portefeuilles ministériels. Les membres du M5-RFP risquent de pratiquer une forme de guérilla politique, tout au long de la Transition, pour sauver les meubles : soutien aux mesures allant dans le sens de l’amélioration de la gouvernance et contestation des celles tendant au maintien ou au renforcement des pratiques combattues sous IBK.
Le M5-RFP a trouvé un allié objectif en l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), un syndicat qui a déclenché une grève du lundi 14 au vendredi 18 décembre. Ses revendications portent sur l’harmonisation des grilles salariales et des primes et indemnités dans la Fonction publique, ou encore sur le sort des travailleurs compressés des entreprises d’État privatisées. Le Président de la transition, qui soupçonne une « manœuvre politicienne », avait provoqué l’ire de ses adhérents en déclarant : « Dans l’état actuel du Mali, comment quelqu’un qui jouit de toutes ses facultés peut parler de grève ». Une nervosité symptomatique des relations entre la Transition et la société civile.
La lenteur, dans la mise sur pied des organes de la Transition, soit trois mois et trois semaines, les rumeurs de menace de démission du Premier ministre et du Président, de même que l’apparence d’accaparement du pouvoir par le vice-président, semblent indiquer le degré de fragilité de ce pouvoir intérimaire. La confiance entre les acteurs centraux de cette transition reste à bâtir, celle entre la junte et les partis politiques, également. En témoigne l’arrestation, cette semaine, de sept personnalités en vue, dont deux hauts cadres du Trésor public, le directeur du Pari mutuel urbain (PMU) malien, un chroniqueur radio et militant contestataire. Ces différentes arrestations, opérées par la sécurité d’État, restent encore à expliquer à l’opinion, mais seraient liées à un « projet de déstabilisation de la Transition ».
Le Mémoire en défense des militaires.
Des partis de l’ancienne majorité présidentielle, de même que l’opposition politique sous IBK, formulent des griefs similaires à l’encontre de la junte. Mais des personnalités plaident aussi pour la tolérance à l’égard de la Transition, du fait qu’il s’agit d’un régime d’exception, qui ne saurait survivre sans bricolage juridico-politique face à une classe politique habituée à ‘’aller à la soupe’’ sous tous les régimes depuis 1992
Les incompréhensions risquent de s’aggraver, au fur et à mesure que se déroule la feuille de route de la Transition et surtout à l’approche des élections. Avec l’accaparement des postes stratégiques, les militaires se donnent les moyens de peser sur les futurs scrutins, de façon décisive. Ils ont le choix des armes. Le nouvel homme fort peut démissionner et prendre sa retraite de l’armée, puis se présenter. Un scénario plus perfectionné et plus maitrisé que celui concocté par le président Amadou Toumani Touré, entre 1992 et 2001. La junte peut aussi susciter la candidature d’une personnalité favorable à ses thèses sur la gouvernance puis, sans coup férir, en faire le futur président du Mali. Les pourfendeurs de la militarisation ont ces craintes dans leur ligne de mire.
Depuis le début du second mandat d’ATT, en 2007, une partie de la hiérarchie militaire reproche à ses propres supérieurs et aux autorités civiles de ne pas assez écouter les doléances des soldats et d’être insensibles à leurs conditions de vie et de combat. La gouvernance des deux entités a, souvent, été décriée. Sous IBK, ces reproches ont prospéré, avec des détournements colossaux au ministère de la Défense, la présidence de la Commission Défense à l’Assemblée nationale étant alors assurée par le fils de celui-ci. Les images de généraux festoyant à coups de milliards et des virées en Espagne dudit héritier, circulant sur les réseaux sociaux, pendant que des soldats mouraient au front, ont accéléré la chute d’IBK. Le retour aux affaires de cette classe politico-militaire pourrait créer des ennuis ultérieurs aux officiers de la Transition. En occupant les postes stratégiques de la République, ils se sécurisent eux-mêmes.
Pendant ce temps, la sécurité du pays ne s’améliore guère. Depuis début octobre, la localité de Farabougou, centre du pays, est soumise à un blocus djihadiste. Mais de bonnes nouvelles sont venues de deux pays voisins. Le Burkina Faso a pu tenir ses élections présidentielles et législatives dans une relative tranquillité à l’exception d’une seule attaque, ayant causé la perte de 14 soldats, endeuillant une campagne électorale qui a duré trois semaines. L’Algérie vient de modifier sa constitution permettant, désormais, au Président de déployer des troupes à l’étranger.
Enfin, avec la mise en œuvre de la feuille de route de la Transition, l’espoir que le Mali puisse organiser, dans dix-huit mois, ses élections, dans un climat serein, est permis et doit être encouragé.
Par André Marie POUYA, journaliste, consultant centre4s