Sahel Sahara et sommet AU Niamey.

Une semaine après le sommet e la CEDEAO tenu à Abuja, au Nigéria, l’Union africaine devrait convoquer son sommet annuel à Niamey, au Niger, le 5 juillet. À l’heure actuelle, peu d’autres lieux pourraient être plus appropriés pour cette rencontre que cette capitale située au cœur du Sahel. Un Sahel qui est souvent ‘’soit un lien, un couloir ou une barrière’’.

 

 

Une crise durable et en expansion.

Au même moment, dans la sous-région, le contexte politique, diplomatique et sécuritaire, déjà brouillé, évolue rapidement. À moins d’une amélioration, ce contexte peut, pour le meilleur ou pour le pire, changer de direction. Dès lors, que devraient faire la sous-région et ses partenaires stratégiques pour résoudre cette crise qui perdure ? Une crise de plus de sept ans qui, plus qu’une gestion journalière ou mensuelle, appelle à une solution durable.

L’assaut audacieux des radicaux de l’Etat Islamique dans le Grand Sahara – EIGS – en plein jour, contre une implantation de l’armée nigérienne ce lundi 1er juillet est révélateur. Les embuscades font de plus en plus place à des confrontations frontales. Cet assaut fait suite à des attaques similaires au Mali et au Burkina Faso. Au début de la saison des pluies, l’environnement ne pourrait être meilleur pour les groupes radicaux.

Les armées du Sahel sont-elles en mesure de faire face à ces attaques pendant plusieurs années ?

Dans ce contexte, il est utile de rappeler que, dans ses premières années, la crise du Sahel avait des caractéristiques dominantes bien connues. Il s’agissait de trafics divers, de drogue, de cigarettes, de migrants irréguliers, de voitures volées et, au cours des dernières années, d’exploitation aurifère ‘’sauvages’’, etc.

C’est dans cet environnement que le terrorisme a émergé dans le nord du Sahel. Il s’est par la suite étendu, de manière irrésistible, à l’ensemble de la sous-région, puis au sud du Burkina Faso et vers les golfes du Bénin et de la Guinée.

C’était un terrorisme imposé et, en grande partie, non autochtone qui a tué des civils, pris des otages étrangers et détruit des infrastructures et des monuments historiques. Avec le temps, ce terrorisme initial a connu une mutation, recrutant et utilisant davantage de combattants locaux / nationaux pour ses opérations. Son «indigénisation» a eu une conséquence inattendue pour les nationaux des pays affectés et les soldats, nationaux et étrangers, qui y combattent le terrorisme. Tout citoyen au mauvais endroit, au mauvais moment, pouvait devenir la cible des forces de sécurité. En réaction, un certain nombre de communautés se sont senties ou ont été ciblées.

Les combats ont donc pris une dimension nouvelle et dangereuse : l’ethnicité. Les groupes radicaux se définissent de plus comme des résistants confrontés à des soldats étrangers et à leurs “forces nationales supplétives”. Le recrutement local des combattants, auparavant basé sur des considérations idéologiques, s’est ralenti. Il est de plus en plus supplanté par un recrutement fondé sur des bases tribales et ethniques. Cette alarmante évolution se poursuit à travers la région. Les combattants étrangers restent néanmoins présents mais de plus en plus en tant qu’experts ou conseillers et comme «garants de la justesse morale» de la lutte.

Bien que cette dangereuse évolution se poursuive, la plupart des gouvernements continuent de faire comme s’il n’existait pas de menaces. Ils gouvernent leurs pays comme dans une démocratie apaisée. En conséquence, de larges segments de la population sont exclus de la sphère politique active et aucun front national n’est en place pour isoler les mouvements des radicaux, l’ennemi commun du pays.

 

Il est temps de résoudre la crise, mais comment?

En tant que négociateur aux Nations Unies, j’avais l’habitude de rappeler aux parties en conflit que « tous, sinon la plupart des conflits, se terminent par un règlement négocié. Par conséquent, pourquoi ne pas commencer à négocier dès maintenant ” ?

La négociation est un exercice pacifique qui permet de sauver des vies et d’éviter la destruction d’infrastructures vitales. Malheureusement, résoudre un conflit, en particulier civil, est beaucoup plus facile à dire qu’à faire.

Entre les parties en conflit et, au sein de chacune de ces parties, les émotions, la suspicion, les rivalités et les ingérences étrangères constituent des obstacles permanents à un règlement pacifique et durable. En bref, cet exercice – la négociation – appelle une série de conditions préalables, dont chacune est aussi difficile à remplir que l’autre.

Pour que les négociations soient fructueuses, ces conditions préalables incluent : la confidentialité, même le secret lors des phases initiales du processus, des mesures de renforcement de la confiance entre les parties et au sein de leurs rangs les plus responsables, l’accord sur une équipe de médiateurs comprenant un médiateur principal, des ressources importantes pour couvrir le coût financier du processus, la résilience du médiateur en chef face aux méfiances et aux éventuels échecs initiaux, etc.

Bien que chaque conflit soit spécifique, ayant ‘’sa propre personnalité’’, ils ont tous en commun une série d’éléments. Ce sont la suspicion, le déficit d’expertise et le manque d’expérience en matière de négociation, la prééminence du dogmatisme et de l’idéologie, la perméabilité aux ingérences étrangères, etc. Souvent, quand ce n’est pas toujours le cas, des pays voisins ou lointains s’ingèrent dans le processus de paix.

La situation pourrait même être pire lorsque le conflit, comme au Sahel, n’oppose pas deux parties d’un même pays. En d’autres termes, un gouvernement confronté à un seul groupe armé.

Au Sahel, Boko Haram est présente au Tchad, au Cameroun, au Niger et au Nigéria. La Jamaat Nosra al Islam Wal Mouslimin au Mali est également présente au Niger, au Burkina Faso et dans d’autres pays voisins. L’État islamique dans le Grand Sahara ou EIGS s’impose rapidement dans la région.

 Ceuxqui demandent de mettre fin à la présence militaire étrangère dans leur pays, ainsi que les experts qui invitent à négocier avec les groupes rebelles, sont certainement conscients de cette situation. Ils savent également que tous les groupes ne comptent que quelques centaines de combattants, tandis que les forces nationales et internationales déployées sont plus proches de 30.000.

Ne pas avoir de plan de paix, pour un conflit vieux de plus de sept ans, n’est pas une solution. D’un autre côté, le désir légitime de négocier ne conduit pas nécessairement à un processus de paix réussi. Dès lors, qu’elle est la solution pour le Sahel ?

Au risque de se répéter, un premier pas essentiel dans cette direction est la consolidation du front intérieur. Consolidation aux niveaux politique, social et économique. Il s’agit d’une condition préalable. La seconde étape consiste à actualiser le front diplomatique en renforçant les alliances anciennes et nouvelles régionales et internationales. En réalité, cette étape appelle à une coopération renforcée entre les polices et les services de renseignement et le partage d’informations.

Une autre étape importante est la professionnalisation des forces de sécurité – armée, gendarmerie, police et services de renseignement. En l’absence d’une démocratie enracinée, ces services devraient refléter la diversité humaine et géographique de la nation. Les différentes armées et forces de sécurité participent à la garantie de la stabilité et de la sécurité à long terme. L’informatisation de leurs budgets, en particulier de la rémunération des troupes, ne devrait plus attendre. Elle contribuerait à mettre fin aux rumeurs et aux spéculations relatives au nombre exact des soldats et à l’intégrité de leurs chefs.

Lorsqu’elles sont tribalisées, les forces de sécurité sont perçues par les populations comme des éléments servant un clan plutôt que les intérêts généraux de la nation. Leur légitimité, le cas échéant, se rétrécit.

Appeler à des négociations avec les groupes radicaux, avant de traiter ces questions cruciales, est contre-productif. C’est encourager, politiquement et moralement, les groupes rebelles tout en suscitant la suspicion – “poignarder dans le dos” – dans les rangs de l’armée.

Évidemment, comme indiqué ci-dessus, chaque conflit est spécifique. Les négociations, plusieurs décennies, pour parvenir à un règlement avec les Talibans en Afghanistan et Al Shahab en Somalie, n’ont pas encore abouti. Au Sahel, où les gouvernements sont encore fonctionnels et reconnus internationalement, beaucoup reste encore à faire pour parvenir à un règlement durable. Cependant, ils doivent s’organiser bien mieux.

In fine, le Sahel méritant de vivre dans paix et la stabilité, la négociation avec les groupes rebelles est un sage état d’esprit. La région et tous ses partenaires internationaux pourraient bénéficier d’un résultat positif. Toutefois, la plus grande difficulté est comment y parvenir. Entre-temps, il est prioritaire d’élargir et de renforcer les bases politiques des régimes et de professionnaliser les forces de sécurité.

 

Ahmedou Ould Abdallah