Sahel Sahara, le tournant?

Immense territoire, le Sahel est actuellement un dense concentré de challenges politiques, économiques, environnementaux et démographiques. Leur gestion, particulièrement dans le domaine sécuritaire, exige l’établissement de priorités. La communauté internationale est-elle sur cette voie ?

 

D’énormes défis ignorés.

D’abord quelques observations relatives.

Plus un conflit interne se prolonge et plus il change de nature. Il mue devenant un florissant marché de produits et d’activités occultes voire nocives. Dans les faits, les légitimes revendications initiales, deviennent moins importantes que les nouveaux intérêts, parfois contradictoires, qui animent les parties. Désormais le conflit s’alimente de ses propres dérives. Intérêts internes et externes s’y fertilisent, l’enracinant davantage. La crise devient une foire ouverte à toutes les offres: armes, conseils, sécurité et autres services plus ou moins utiles. La priorité de la gouvernance nationale est la captation des ressources extérieures. La paix n’est plus qu’un slogan.

Structurel, une composante de la nature politique du pays, le conflit, même devenu de faible intensité, ne disparait pas pour autant. Il reste latent, une braise sous la cendre.

Les exemples de ces conflits structurels sont nombreux à travers le monde: Afghanistan, Burundi, Congo Démocratique,  Irak, Lybie, Nicaragua, Somalie, Yémen, etc. C’est sans doute grâce à son éclatement en plusieurs républiques ethniques – Bosnie, Croatie, Kosovo, Macédoine, Monténégro, Serbie – que l’ancienne Yougoslavie a échappé à une longue guerre structurelle. A travers le monde, les candidats à ce triste sort sont encore plus nombreux.

Sur le plan institutionnel, des états peuvent régresser c’est-à-dire se retribaliser. Le cas de la Somalie – population ethniquement homogène, parlant la même langue et à plus de 98 % musulmane, est un exemple typique de cette régression/retribalisation de l’état post -colonial.

Aujourd’hui, avec la crise qui s’enracine davantage et avec comme conséquence une présence militaire étrangère, la priorité au Sahel est d’éviter à certains états le sort de ces pays éclatés. Est-ce tard ?

Plus elle dure et plus une présence militaire extérieure a besoin de légitimité politique et financière pour être acceptée dans le pays où elle opère. Et dans son propre pays. Plus un conflit est long et plus il suscite l’émergence d’idées ‘’complotistes’’ qui affaiblissent la gouvernance car s’y associent des économies criminelles. Les réseaux sociaux leur assurent une diffusion vaste et rapide.

Le Sahel ne connaitra pas la paix dans le court et moyen terme car le terrorisme s’y alimente aussi de la faiblesse des gouvernances. L’implosion de certains pays, pas nécessairement ceux auxquels on pense, ne peut être exclue. Des états, de plus en plus informels et retribalisés, ne peuvent gagner une guerre qui dure. Subrepticement l’allié, bilatéral ou international, est décrit comme un adversaire caché. Celui qui complote contre l’état qu’il est venu aider!

Les troupes internationales (françaises, 4.500 hommes pour Barkane et en plus  les forces spéciales) puis celles des Nations Unies (plus de 12.000 hommes) et celles des pays du G 5 Sahel ne voient pas encore la fin des combats. Les autres armées – Cameroun, Niger, Tchad – déployées autour du Lac Tchad, n’ont pas une idée plus claire du conflit qui les confine dans des combats sans fronts. Pendant qu’elles opèrent dans de vastes zones, où les populations frustrées en veulent plus à leurs gouvernements qu’aux terroristes, ces troupes gagnent certes des batailles mais pas la guerre. La lassitude des soldats et des opinions publiques est le pire des ennemis.

Pour tous les partenaires, le temps est sans doute venu de revoir leurs engagements au Sahel pour éviter routine et frustrations. La combinaison de ces deux facteurs affaiblit les alliances et renforce les rebellions.

Difficiles sorties de crise.

En visite au Mali, le premier ministre français Edouard Philippe, a déclaré à la presse ce 23 février 2019 ‘’ la lutte antiterroriste dans le Sahel demande détermination, endurance et humilité. On est en face d’un combat dur et l’armée française restera aussi longtemps qu’il faudra.’’ Le premier ministre a raison.

Il s’agit effectivement d’un combat dur. Il faudra le résoudre avant de pouvoir rapatrier les troupes étrangères. Bien inspirés, les états concernés doivent accorder la priorité à son règlement.

Indispensable à l’éruption d’une crise, toujours importantes pendant les temps d’incertitudes, les troupes étrangères peuvent, avec la durée, être la source de risques. D’abord un risque pour leur propre capacité dissuasive qui diminue à mesure que l’ennemi et les opinions locales se familiarisent avec les combats. Risque aussi de la baisse de leur performance, par lassitude et suite aux critiques des politiciens dans les pays d’origine et dans les pays où elles opèrent.

La sortie réussie d’un conflit armé implique un succès militaire dans un délai raisonnable. Autrement c’est l’enlisement toujours politiquement dangereux pour les alliés. Une longue présence de troupes, sur un lointain territoire, en fait un corps expéditionnaire, constitue un handicap politique et militaire majeur. A l’heure des réseaux sociaux son coût politique et financier peut être dévastateur.

Au Sahel, la cohérence de l’effort militaire (forces du  G 5 Sahel, Nations Unies, France et autres) apparait incongrue face aux contextes politiques, économiques et sociaux nationaux plus chaotiques. Les besoins de  développement, qui accordent plus de place à l’enseignement scientifique, restent à confirmer. La gestion moderne de villes surpeuplées et polluées, surtout les capitales éclatées sur d’immenses espaces et couteuses en matière de mobilité, est souvent archaïque. L’Alliance pour le Sahel pourrait aider.

Pour soutenir l’effort militaire, il est important de réussir sur ce front intérieur politique, économique et social.

A ce jour, cette lacune constitue le point le plus faible des stratégies avancées par ou pour la stabilité du Sahel. La formation de  vastes fronts politiques nationaux est devenue incontournable. Une approche politique, pleinement assumée par les élites politiques et de la société civile, devrait assainir la scène pour hâter la résolution de la crise.

Aujourd’hui, les sociétés du Sahel sont mobilisées, non en soutien à une révolution moderne pour l’éducation, l’agriculture ou les grandes infrastructures de base. Comme le firent les pays ex colonisés qui ont réussi leur transformation économique. C’est le contraire. Dans le Sahel, la révolution a pour thème la dénonciation, ad aeternam, du passé colonial.

Comme souvent affirmée sur cette page, concomitamment avec une forte présence militaire au Sahel, la priorité doit aller à la formation de vastes fronts politiques intérieurs. L’inclusion politique est autant une puissante arme de dissuasion que de frappe. Son objectif est l’élargissement et le renforcement de l’assise populaire des régimes pour consolider des états intrinsèquement fragiles. Au Sahel, tirer une légitimité uniquement du résultat d’élections à la crédibilité entachée, ne facilite pas le retour à la paix. Ni le retrait des troupes étrangères. La légitimité politique des régimes doit être plus large et plus solide.

Les pays du Sahel, comme leurs partenaires, ne peuvent continuer d’ignorer la voie politique. A moins de vouloir perpétuer les immenses défis du Sahel.

 

Ecrit par Ahmedou Ould Abdallah