Sahel : Soudan une nouvelle insécurité généralisée.

Nous y voilà! Dorénavant, pour la communauté internationale, le Sahel offre de dangereux dividendes résultants d’une longue indifférence politique et d’une négligence ou passivité militaire. Depuis plus d’une décennie, la majeure partie du financement du terrorisme dans la région a été générée ou a transité par l’ouest et le nord-ouest du Soudan. Cela s’est fait dans un silence total résultant  de l’irresponsabilité voire de la complicité. Par ailleurs, les trafics de drogues comme des migrants, des combattants comme des armes, étaient prospères aux frontières occidentales du Soudan, en particulier celles avec la Libye chaotique et la Centrafrique incertaine.

  Ces activités s’autofinançaient, probablement bien au-delà, grâce à de nombreux profits liés notamment à l’orpaillage officiel ou illicite ainsi qu’aux ventes d’or. Dans toute la région et au-delà, l’exploitation formelle et surtout informelle de l’or est et demeure une source considérable de revenus.

La nouvelle guerre civile, structurellement violente, qui se déroule au Soudan – opposant l’armée régulière – les Forces Armées Soudanaises à leurs anciennes  milices alliées- les Forces Rapides de Soutien – n’est qu’à ses débuts. Attisera-t-elle davantage le chaos sahélien ou sera-t-elle moins contagieuse? Une communauté internationale débordée et divisée, déjà immobilisée par la guerre en Ukraine, pourrait-elle faire plus pour les peuples et les pays du Sahel? Que devraient faire de plus ces états pour eux-mêmes ? Naturellement, l’affaissement continu de la Libye devrait être un dur rappel pour tous. En effet, certains peuvent penser qu’au vu de l’éventail des problèmes – locaux, régionaux et internationaux – il n’y a guère d’alternative à une inattention provisoire du Soudan.

Un autre effondrement de la sécurité, le Soudan.

Les conséquences de l’effondrement de la Libye, il y a plus de dix ans, continuent d’avoir un impact profond sur les Sahéliens, les gouvernements et en particulier sur les populations des frontières sud et sud-ouest de ce pays. La Libye a poursuivi sa lente autodestruction à travers un statu quo politique alimenté par des séparatismes locaux enracinés et évidemment par les ingérences de sponsors étrangers. Ingérences acceptées par des dirigeants nationaux intéressés et non ignorées par la communauté internationale.

Cependant, une conséquence non signalée et même méconnue de la catastrophe libyenne est la fin des mouvements traditionnels et légitimes de personnes et de biens entre ce pays et ses voisins du sud, en particulier le Tchad, le Niger et le nord du Darfour. Les difficultés actuelles de la Libye ont eu un impact profond et souvent tragique sur tous ces malheureux voisins. Leur région, déjà dévastée par des années de sécheresses et de brutales guerres civiles au Darfour, servait d’ailleurs de corridor incontrôlé aux migrants fuyant vers l’Europe. C’est sans parler de tous les effets destructeurs des trafics de drogue et du commerce légal et illégal d’équipements pour l’extraction de l’or au Sahel.

Les partenaires européens de la Libye continuent de consacrer plus de temps et d’énergie à des réprimandes diplomatiques internes, en particulier sur les questions de migration, qu’à aider à prévenir sa ‘’Yéménisation/Somalisation’’. Et encore plus d’émigrés. En d’autres termes, la violence armée perpétuelle et les intérêts des groupes et individus qui en résultent. Aider à s’attaquer à ces causes profondément enracinées afin de trouver des réponses possibles devrait être plutôt plus bénéfique pour toutes les parties.

Malheureusement, l’insécurité est devenue structurelle et est donc considérée par les populations comme faisant partie d’une vie normale. Le traitement inhumain des personnes déplacées et des réfugiés a dépassé les limites en Libye. C’est également vrai de tous les trafics, y compris celui de la drogue.

L’extrême fragilité des États du Sahel central se cache parfois, sinon toujours, derrière un discours politique idéologique. Un discours anti-occidental, visant en particulier la France pour l’instant, et encourageant la renaissance des anciens systèmes tribaux, fragilise davantage toute la région. Une relance intempestive face à des terroristes et autres groupes armés plus motivés et mieux équipés. Cependant, aucun effort de développement structurel convaincant, y compris une lutte décisive contre la corruption avérée, n’est suffisamment crédible pour mobiliser les citoyens pour une cause honorable. La cause de l’unité nationale à travers un gouvernement capable et respecté reste un souhait permanent.

Compte tenu de la situation géographique du Soudan et de la diversité des origines de sa population, sa présente guerre civile très contagieuse et renforcée par une haine profondément enracinée entre ses nombreuses communautés, contient tous les ingrédients d’un chaos régional durable. Deux grands pays, l’Égypte et l’Éthiopie – en désaccord sur le barrage du Millénaire sur le Nil – et d’autres états exposés aux flux de réfugiés ne peuvent éviter d’être sévèrement affectés.

L’effondrement du Soudan, après celui de la Libye, serait un nouveau désastre de grande envergure pour le pays lui-même, pour le Sahel et pour de nombreux autres états, y compris en Europe. Une réponse préventive reste cependant encore possible.

Quelle action efficace pour arrêter la catastrophe ?

Dans les conflits internes, un règlement pacifique est plus difficile à atteindre et encore plus ardu à mettre en œuvre que dans une guerre entre des États ayant des gouvernements officiels. De fait, la cause principale d’une guerre civile est la perte de confiance entre partis et groupes politiques dont les dirigeants se connaissent depuis longtemps. La méfiance qui en résulte conduit du passage du combat politique, verbal, au combat armé avec ses morts, blessés, réfugiés et déplacés. La guerre est en grande partie la poursuite armée de ce différend politique. Chaque parti a le même objectif : gagner totalement, sans concession, la nouvelle guerre. Aussi, pour parvenir à un règlement pacifique, les négociations doivent elles vaincre cette méfiance très ancrée dans le passé.

La simple signature d’un accord de paix ne suffit pas à ramener une paix durable. Cet accord a besoin d’un soutien continu de la part des parrains des négociations ainsi que de la communauté internationale dans son ensemble. De plus, et cela n’aide pas le Soudan, plus un conflit civil se prolonge et plus il devient en soi une activité commerciale rentable pour de nombreux individus et communautés. La corruption devient omniprésente…car il s’agit officiellement de financer la noble cause de chaque groupe ! Par ailleurs, les activités parallèles de négociateurs auto-mandatés polluent tout processus de paix. Non vigilants, les gouvernements étrangers et une médiation, honnête ou intéressée, peuvent également conduire au même résultat.

Dans l’ensemble, bien que plus aisé à conclure qu’un accord avec des groupes terroristes, un règlement de paix crédible, pacifique et durable au Soudan ne semble pas proche. Pire, la perspective de luttes internes de longue durée devrait encore aggraver l’insécurité dans le centre du Sahel et plus particulièrement au Burkina Faso et au Mali.

Sahel, la zone frontalière Mali Burkina.

Déjà la zone du Sahel la plus vulnérable à la présence et aux attaques terroristes, la région frontalière du Burkina Faso et du Mali, avec des combattants profondément implantés, ne devrait pas rester épargnée par les combats sanglants qui se déroulent au Soudan.

En particulier, l’intéressante exploitation informelle de l’or devrait y prospérer. Malgré leur prétention à être simplement et uniquement des combattants religieux, toute autre rébellion armée dans la région devrait alimenter leur budget, remonter leur moral et renforcer leur détermination à gagner. De plus, toute crise ayant des racines profondément ancrées et de larges retombées régionales, telle celle du Soudan, ne pourrait qu’affaiblir l’attention de la communauté internationale et les efforts de soutien aux autres gouvernements en guerre contre le terrorisme. Plus précisément, la situation sécuritaire au Burkina Faso et au Mali devrait s’aggraver davantage du fait de nouveaux dommages collatéraux liés à la guerre civile soudanaise.

Dans les prochaines semaines, profitant de l’approche de la saison des pluies, les rebelles sahéliens devraient profiter de plus d’armes de contrebande et de beaucoup moins de contrôles sur leurs trafics. Ainsi, un lien informel mais organisé les relierait aux larges stocks d’armements, bien moins chers, du Soudan en crise.

Un nouveau flux informel d’armements et d’autres activités illégales devrait prospérer du Soudan vers la majeure partie du Sahel occidental et le reste de l’Afrique de l’Ouest. Déjà déstabilisée, cette zone devrait recevoir plus d’armes, d’équipements et de revenus grâce à ces stocks militaires incontrôlés et au commerce illégal de l’or. Une insécurité généralisée devrait s’étendre tout en approfondissant ses racines.

Des gouvernements locaux et régionaux affaiblis, une communauté internationale fragilisée et des opinions publiques désabusées, tant au nord qu’au sud, constituent des ingrédients favorables à l’augmentation de l’insécurité et donc de la pauvreté et des flux migratoires vers et au-delà de leurs destinations traditionnelles en Europe. De plus en plus les Etats Unis et le Etats du Golfe sont les objectifs.

Dans ce contexte dangereux, le secteur privé et les ONG devraient être invités à apporter leur contribution à la sécurité et à la stabilité.

In fine, la longue crise du Soudan, elle dure au moins depuis le coup d’état d 11 avril 2019, devrait être l’occasion de regarder au-delà des habituels horizons. Si elle n’est  pas traitée rapidement et vigoureusement, ses conséquences cumulées avec celle du Sahel, qui date d’au moins 2012, se propageront bien au-delà des frontières de la région. A coup sûr, les victimes collatérales, y compris l’effondrement d’états, seront bien plus nombreuses et leur impact international bien plus destructif.

 

Ahmedou Ould Abdallah, président centre4s.org

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