BURKINA FASO : L’Armée va-t-elle confisquer les élections d’octobre prochain ?

 

Cette inflation de candidatures militaires serait-elle un message aux civils ? L’armée, ayant goûté aux doux délices du pouvoir, de 1966 à 2014, voudrait-elle s’y éterniser ?


En octobre prochain, à l’heure des élections présidentielles et législatives, les Burkinabè seront divisés en deux camps : les partisans de l’armée au pouvoir, d’un côté, et les partisans d’un régime civil, de l’autre. Avec, déjà, cinq candidats déclarés, les militaires tiennent à jouer un rôle déterminant lors de cette échéance politique. Même si chacun d’eux ne récoltait que 5% des voix, cela ferait d’eux des leaders à courtiser, en cas de second tour. Les femmes et hommes politiques civils sont prévenus : une fois de plus, le pouvoir suprême risque de leur échapper ! Cette farouche volonté de rester aux commandes s’était manifestée, dès le lendemain de l’Insurrection, peut-être. En effet, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida avait, rapidement, éclipsé le chef d’état major d’alors, le général Honoré Traoré, avec l’aval et le soutien du RSP et de certains partis réunis autour de l’ex-Chef de file de l’opposition politique (CFOP). Il s’était auto-proclamé chef d’Etat et président de la Transition. Il avait fallu toute la pression aussi bien de la population que de celle de la communauté internationale pour qu’il renonce à ces fonctions. En réalité, il avait juste reculé pour mieux sauter. Sous sa dictée, le diplomate Michel Kafando était désigné à sa place. Une fois cette opération menée de mains de maître, Yacouba Isaac Zida s’imposera Premier ministre et ministre de la Défense. Outre ce poste de choix, les militaires occupent trois départements ministériels, dont deux stratégiques: l’Administration territoriale, la Décentralisation et la Sécurité ; les Mines et l’Energie.


Au parlement provisoire, le Conseil national de Transition, siègent vingt-cinq (25) militaires, sur un effectif de quatre-vingt-dix (90), soit plus du quart de ces « députés » non élus. Cette mainmise des militaires sur la Transition a été rendu possible grâce à la complicité des partis auparavant opposés au régime de Blaise Compaoré. En contrepartie, ils espéraient qu’avec la chute de l’ancien régime, l’armée allait juste diriger la Transition, organiser les élections, puis quitter l’arène politique. Erreur !


Coup de semonce, le 30 décembre 2014 : Alors qu’il se trouvait en pleine séance de l’hebdomadaire conseil des ministres, ses compagnons d’armes du RSP le convoquent à leur casernement. Il doit s’exécuter, sur le champ. Quand il arrive sur les lieux, l’ambiance était électrique, dangereuse et mortelle. Les éléments du RSP le soumettent à rude épreuve. Ils commencent par lui rappeler que c’est eux qui l’ont fait roi, exigent sa démission immédiate de son poste de Premier ministre, de même que celle de son puissant ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité, le colonel Auguste Denise Barry. Ils souhaitent aussi savoir à quelle sauce les autorités de la Transition projettent de les manger, vu  qu’une opinion, grandissante, demande la dissolution du RSP, au motif qu’il aurait été mêlé à des crimes de sang, sous le règne de vingt-sept (27) ans de Blaise Compaoré.  Eux, tiennent à préserver leurs privilèges de corps d’élite : meilleur armement, meilleurs soldes et quasiment indépendants du reste de l’armée. L’ancien président, leur géniteur, en fin d’année, leur accordait une prime que le nouveau Premier ministre est soupçonné de ne pas vouloir leur verser. Ils en exigent le paiement immédiat. L’otage du jour s’exécute. Enfin, ils lui imposent des nominations du chef d’état-major particulier de la présidence et du chef du RSP. Un délai est fixé pour ce faire !


Grand émoi dans l’opinion, informée par des fuites dans les media. Ainsi, le vrai pouvoir n’est ni entre les mains du président de transition, Michel Kafando, ni même entre celles du Premier ministre officier, qui venait d’être humilié par ses pairs du RSP. Ce n’était pas tout.


La Garde présidentielle s’impose


Las d’attendre la satisfaction de leurs revendications, le RSP décide de passer à la vitesse supérieure, dans l’expression de sa colère et de son pouvoir. Le 4 février 2015, le Premier ministre et son cortège de sécurité se réfugient au palais du Mogho-Naaba, empereur des Mossé, l’ethnie majoritaire du pays. L’intégrité physique même du Premier ministre serait menacée, si jamais il mettait les pieds au palais de Kosyam, siège luxueux de la présidence du Faso, pour la tenue de l’hebdomadaire conseil des ministres. De conseil, point, ce jour-là !


Des organisations de la société civile, alertées, manifestent, Place de la Révolution, en soutien au Premier ministre. La communauté internationale viendra aussi en renfort. L’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Burkina Faso, TulinaboSalamaMushingi, dégaine, depuis Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays : « Je suis au courant de ce qui se passe à Ouagadougou. (…) Je vais continuer à surveiller la situation, à donner mes opinions et voir comment la situation peut se gérer… ». Depuis le début de la crise politique au Burkina Faso, en 2013, Son Excellence est la voix diplomatique la plus appréciée de la population, en raison de son engagement en faveur du respect de la Constitution, que l’ancien régime voulait modifier au seul profit de son chef, ce qui a causé sa perte. Au cours des folles journées de manifestation des 30 et 31 octobre, qui ont chassé Blaise Compaoré du pouvoir, c’est le président américain Barack Obama qui avait sommé les militaires de ne pas tirer sur les manifestants. Puis, clin d’œil que le RSP comprend, aisément, l’ambassadeur était à Bobo-Dioulasso pour faire un don d’équipements militaires importants à la section anti-terroriste du 25ème Régiment des parachutistes commandos de cette ville. Leur valeur est de 3,5 millions de dollars américains, soit 1,75 milliard de FCFA. En plus, le diplomate a eu des échanges avec ses compatriotes américains, qui font partie de leurs instructeurs.


Le même jour, dans la soirée, et comme par coïncidence, le Sous-secrétaire général des Nations-Unies chargé des Affaires politiques, Jeffrey Feltman, à l’issue d’une audience avec le président de la Transition, se fait menaçant : « La communauté internationale ne tolèrera aucune entrave à la Transition. » Il est apparu à la télévision, entouré du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations-Unies pour l’Afrique de l’Ouest, Mohammed Ibn Chambas, et du Représentant résident du Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) au Burkina Faso, Pascal Karorero. Tout un symbole.


C’est dans cette ambiance, lourdes de troubles, que se répand la rumeur selon laquelle l’ancien parti au pouvoir, le CDP, pourrait présenter le général Gilbert Diendéré comme son candidat à la présidentielle, soit le cinquième militaire en lice.


Autant de signes qui montrent que les militaires burkinabè ne veulent, nullement, quitter la scène politique. Les femmes et hommes politiques civils sauront-ils contrer cette velléité par une candidature unique, dès le premier tour du scrutin ? Vaste défi. L’exercice ne serait pas facile, tant les égos des uns et des autres paraissent surdimensionnés, et, les ambitions, aiguisées à leur paroxysme…


André Marie POUYA

Journaliste & Consultant

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