Mali : ‘’ un conflit non structuré’’

Crise malienne : crise anarchique


Les rebellions cycliques du nord Malien (1963 – 64, 1991-94, 2006 et la toute dernière, en cours depuis 2012) ainsi que les violences et répressions répétitives tout au long des 50 dernières années, sont les caractéristiques ‘’de conflits anarchiques’’. Des conflits non structurés, c’est à dire sans une organisation et un leadership bien institutionnalisés et incontestés,  des troupes disciplinées et fortement intégrées et des réseaux civils et politiques bien établis dans et hors du pays. Il s’agit donc de conflits d’abord mal engagés par les rebelles eux-mêmes, et surtout très mal gérés par les gouvernements centraux.

Dans ce genre de conflits anarchiques, les mouvements rebelles sont unis, uniquement, dans le combat pour leur grande cause commune. Mais leur unité a peu de réalité au-delà de cette ambition initiale. Elle vole souvent en éclats lors des combats contre l’adversaire et surtout au cours des négociations de paix. Dans leur lutte armée, quand bien même leurs leaders sont solidaires pour la concrétisation de leur objectif, leurs combattants  restent peu ou pas disciplinés et leur cohésion peu efficace.

Certes, les troupes se battent contre le même adversaire extérieur mais se trouvent souvent en compétition, parfois armée, les unes contre les autres. En dépit d’un fort engagement en soutien à la légitimité de leur cause, les mouvements rebelles sont plutôt constitués  de puissants conglomérats dont les combattants restent d’abord fidèles au seul chef de leur groupe! D’où la prévalence des luttes internes entre, et au sein, des groupes rebelles. Luttes qui se traduisent par des surenchères et qui finissent par enraciner davantage le conflit rendant son règlement final encore plus difficile.

Ces contradictions internes empêchent les combattants de se rendre compte que remporter des victoires militaires est bien plus facile que de réussir des négociations pour concrétiser leurs objectifs initiaux.  Avec ce genre de rebelles, la paix devient extrêmement difficile à négocier et encore plus ardue à mettre en œuvre. Ceci est d’autant plus vrai que pour infantiliser les revendications des rebelles, les gouvernements jouent, imprudemment, sur leurs divisions et contradictions internes.


Rôle des gouvernements


La difficulté classique du règlement de ces crises anarchiques est précisément l’attitude des gouvernements centraux. En cherchant à défaire leurs adversaires, ils cultivent les dissensions entre rebelles. La vieille méthode,’’ diviser pour régner ’’, est dans ces cas dangereuse dans la mesure où elle encourage plutôt les surenchères de la part des factions les plus extrémistes. La faiblesse de l’autorité centrale des groupes armés au sein des conflits anarchiques, transforme la quête de la paix en une tâche herculéenne.

Ainsi, les accords globaux de paix, signés au cours de cérémonies officielles, restent- ils souvent sans suite. L’expérience prouve que, sur le long terme, il est plus porteur de négocier et de trouver une solution durable avec un groupe uni et représentatif qu’avec des factions plus extrémistes les unes que les autres.

Au lieu de cultiver les divisions parmi leurs adversaires, les gouvernements feraient mieux d’aider à les former aux techniques de la négociation, à renforcer leur unité dans le but de dégager un leadership fort et crédible parce que responsable. Celui-ci pourrait alors gérer les contradictions internes entre mouvements rebelles et apporter  ainsi les dividendes de la paix. A cet égard, et contrairement aux rumeurs qui courent au Mali, des pays tels la Belgique, le Luxembourg et la Suisse sont bien armés pour aider à ce niveau de formation des négociateurs.


Et la communauté internationale ?


L’intervention militaire internationale au Mali, en l’occurrence celle de la France en 2012, est unanimement reconnue pour son rôle vital dans la survie du pays. Elle a permis sa libération et la restauration des institutions avec en particulier l’élection du président et des parlementaires. La pression et la peur ont baissé d’intensité aidant Bamako à revenir sur la scène régionale. Toutefois,  il est probable que peu de Maliens aient bien compris l’importance de  cette intervention.

En effet, les problèmes fondamentaux demeurent non réglés. Comme dans des situations similaires à travers le monde, ce succès a eu un effet pervers sur les élites nationales – politiques, civiles et militaires. Il ne les a pas aidé prendre la mesure des risques auxquels leur pays venait d’échapper de si peu. Et des risques encore plus graves qui le menacent tant que des approches radicales ne sont pas engagées pour aider le président a gérer sagement la cohabitation entre des communautés nationales liées par l’histoire, la géographie et le sang.

Le Sahel connait une menace terroriste qui est aussi d’origine interne. Elle est due à une gouvernance qui sous-estime,  voire méprise, les aspirations et les besoins des populations. Dans ce contexte, les interventions militaires de la France contre l’extrémisme violent dans le Sahel, comportent le risque de perpétuer ces mauvaises pratiques gouvernementales : exclusion ethniques et sociales, corruption. En d’autres termes, la consolidation des racines sur lesquelles prospère la violence extrémiste qu’elle combat.

Aujourd’hui, au niveau de la communauté internationale, une question importante se pose : qui doit payer le prix en sang et en argent des interventions dans le Sahel ? Ce prix doit- il être national, régional ou international ? Soumis à la pression d’une multitude de priorités et à des ressources financières plus rares, la France et les Etats Unis ne peuvent éluder plus longtemps encore la question. Le Conseil de Sécurité non plus.

Combattre les radicaux d’Aqmi, ou d’autres, est une chose, mener des actions de police à la place des états de la région en est une toute autre. Plus elles renforcent leur visibilité sur le terrain, en s’associant à des politiques de maintien de l’ordre, un domaine purement de politique interne, plus les troupes étrangères s’exposent, et exposent leurs nationaux, à la vindicte de populations mécontentes d’abord de leurs propres gouvernements.

Les opérations militaires Serval et Sangaris, comme d’autres en Afghanistan, peuvent aider à gérer une crise aigue qui menace la survie d’un pays ou d’une région. Mais leur plus grand défi est que chaque crise demande une réponse spécifique et appropriée. L’adaptation au contexte politique et social, dans lequel les interventions militaires s’opèrent, reste très importante pour leur réussite sur le long terme.

 

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo sahélienne

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