Concertation sur le Sahel Sahara Bamako 10 / 11 décembre 2011

 

Monsieur le Ministre, Président du Parena,

Mesdames Messieurs,

Tout d’abord, je voudrais remercier très vivement et féliciter chaleureusement le Ministre Tiebilé Dramé pour avoir pris l’initiative de nous inviter ici à Bamako afin de discuter d’un problème majeur qui nous concerne tous. Un problème ou plutôt une crise qui nous interpelle depuis bientôt une dizaine d’années. Il s’agit de l’insécurité dans le Sahel Sahara.

Ne nous y trompons pas, la paix, la stabilité et la prospérité du Sahel Sahara nous concernent tous : pouvoirs publics autant que sociétés civiles y compris naturellement le secteur privé. Elle concerne les gouvernements autant que les partis d’oppositions. De plus, dans un monde aux frontières toujours plus ouvertes, aux nationalités croisées, aux touristes intrépides et où les investisseurs viennent de tous les horizons de l’univers, la situation dans le Sahel Sahara, concerne également nos partenaires étrangers.

Cette concertation nous offre aujourd’hui une chance de nous retrouver pour discuter librement et franchement des problèmes, de leurs origines, leur évolution et surtout comment y faire face ensemble. De fait, c’est ensemble que nous réussirons et c’est divisés que nous échouerons.

Mon expérience personnelle en matière de prévention et de gestion des conflits civils m’a appris que, sauf rares exceptions, tout conflit finit par se régler par la négociation. Dès lors, pourquoi ne pas négocier dès le début d’une crise? Pourquoi prolonger les morts et les destructions ?

Mais, précisément que faire si une partie au conflit croit, sincèrement ou non, être à même de pouvoir vaincre les armes à la main et ne veut guère négocier? Par ailleurs que faire d’un conflit à forte composante économique et financière, en d’autres termes, quand il sert de couverture à des activités criminelles à travers des trafics divers – cigarettes, drogues, immigrés? De plus que faire quand le conflit est de dimension régionale c’est-à-dire non confiné à un seul pays, ce qui est en l’occurrence le cas dans notre région ?  Naturellement, le problème se complique d’avantage si le conflit se réclame d’une idéologie ou d’une religion.

Mais nos interrogations ne s’arrêtent pas là. Peut-on avoir paix et stabilité si la gouvernance de l’état ou des états concernés n’est pas transparente c’est-à-dire si la corruption y est endémique ? Assurément non. Impunie, la corruption systématique discrédite et enlève toute légitimité aux dirigeants et peut motiver ceux qui veulent changer l’ordre établi. Par ailleurs que faire si des institutions de sécurité sont mal payées, peu ou pas professionnelles et recrutent sur une base clanique ou régionale ? Et que faire si elles caressent des ambitions politiques ? Le conflit peut alors perdurer et même enfanter de petites guerres souvent meurtrières. Le Sahel risque alors de devenir le lieu d’attraction de tous les mécontents de la région et de tous ceux qui veulent en découdre avec les régimes en place. Les exemples d’Afghanistan et de Somalie et dans une large mesure de l’est du Congo démocratique demeurent valides.

Mesdames et Messieurs,

Le point que je faire ici est que les conflits doivent être réglés aussi vite que possible ou contenus afin d’éviter leur enracinement et leur connexion avec des revendications sociales ou communautaires au départ sans doute légitimes. Une crise durable qui s’autoalimente financièrement s’en suit. Les exemples existent un peu partout à travers le monde, en Colombie et aussi au dans l’est du Congo démocratique. Plus une guerre civile dure et s’enracine et plus elle attire partisans et partenaires de tous horizons pour appuyer tel ou tel parti. Le petit conflit initial devient rapidement adulte et meurtrier. Toutes les parties finissent par s’en accommoder et même en vivre généreusement. Les gouvernements légitimes et les populations civiles, en particulier femmes et enfants, en deviendront les victimes les plus atroces.

C’est pour éviter ce genre classique d’évolution des conflits domestiques qu’a été établi le Centre pour les Stratégies et la Sécurité au Sahel Sahara (Centre4s). L’un de ses principaux objectifs est que la région du Sahel Sahara ne devienne pas un nouveau sujet de préoccupation pour la communauté internationale et que son destin reste entre les mains de ses citoyens. Les sujets de crises y sont multiples et engagent des enjeux stratégiques énormes. Qu’ils soient de nature politique – déficit de cohabitation et de tolérance, ou économique – exploitation de minerais stratégiques, gaz, pétrole et uranium ou environnementaux- mise en valeur de l’énergie solaire, ces sujets peuvent et doivent être gérés à travers le dialogue au niveau national et la diplomatie collective au niveau régional.

L’insécurité dans le Sahel Sahara devient graduellement un début de déstabilisation régional. Cette évolution sera inéluctable si la crise n’est pas rapidement maitrisée à travers une action collective diplomatique et sécuritaire. Les difficultés sont telles que l’apport de tous : états, partis politiques, sociétés civiles et entreprises privées, est nécessaire et indispensable. Les pays concernés se présentent comme des vases communicants où les éléments armés se déplacent sans difficultés majeures.

La fin du régime du Colonel Kadhafi, suivi du retour avec armes et bagages des ex membres de ses Légions, sera très difficile à gérer. Leurs Mapads ou système portatif de défense aérienne, doivent inquiéter palais présidentiels et casernes d’Etats-majors et pas seulement les aéroports. Pendant une période plus ou moins longue, la crise libyenne et la prolongation des débats politiques en Tunisie serviront ceux qui veulent déstabiliser davantage le Sahel. De plus, toute déstabilisation du Sahel ne peut qu’encourager la détermination de Boko Haram au Nigéria. Avec les revenus tirés des différents trafics à terre et du produit de la piraterie dans le Golfe du Benin, les activistes dans le Sahel ont peu de soucis financiers. Si, de surcroit, ils arrivent à convaincre financièrement ou sur des bases tribales, des éléments parmi ceux qui les combattent, à s’entendre avec eux, la crise n’en serait qu’à ses débuts. De nombreuses indications permettent de ne pas exclure cette hypothèse.

Mesdames et Messieurs,

Par conviction et par expérience je suis un optimiste. Je pense que les faits finissent toujours par prévaloir sur l’arrogance ou l’ignorance des hommes. Cependant, il y a des raisons de s’inquiéter très sérieusement devant la dégradation progressive de la sécurité et la déstabilisation continue de notre région. C’est à ce niveau que je voudrais féliciter le Ministre Tiebilé Dramé et ceux qui l’ont soutenu pour nous avoir donné l’occasion de discuter de ce sujet de préoccupation de nos populations, de nos pouvoirs publics et de nos partenaires extérieurs. L’union à l’intérieur et la coopération à l’extérieur me semblent les meilleurs ingrédients pour un retour de la région à la paix et à la stabilité.

Je vous remercie de votre attention

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