G5 Sahel : La difficile gestion des frontières.

Source : J. Brachet, A. Choplin, O. Pliez, 2011 ; Crédit : http://geoconfluences.ens-lyon.fr, ENS-Lyon / DGESCO

Les difficultés des pays du G5 Sahel sont-elles dues à la problématique de la gestion des frontières ? Cette impression prévaut, quand on se penche sur les conclusions du récent Sommet du G7, tenu à Biarritz, en France, du 24 au 26 août 2019. La chancelière allemande, Angela Merkel, le président français, Emmanuel Macron, et le président du Faso, Rock Marc Christian Kaboré, ont, de concert, plaidé pour une redéfinition du « périmètre de sécurité », face à « l’extension de la menace terroriste au Sahel ».

En clair, le nouvel engagement sécuritaire associerait les pays du Golfe de Guinée, notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Ghana, aux efforts de défense du G5 Sahel. Serait – ce suffisant, pour endiguer la vague terroriste, qui cause tant de souffrances aux populations sahéliennes ?

Le G5 Sahel regroupe :

– trois pays d’Afrique de l’Ouest, membres de la Communauté économique d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), que sont le Burkina Faso, le Mali et le Niger ;

– un état membre de l’Union du Maghreb arabe, la République islamique de Mauritanie ;

– un état de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEAC).

Si l’on se base sur cette configuration originelle, le G5 regroupe, déjà, des États appartenant à des ensembles qui dans les faits rallongent ses frontières. Une opportunité de coopération qui devait jouer en faveur de ses ambitions, non seulement, sécuritaires, mais encore, de développement. Ayant constaté que la dynamique de cette logique n’était point enclenchée, le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, est en train de plaider pour cette synergie d’actions entre tous ces grands ensembles.

De son côté, le président burkinabè a rappelé l’impératif de trouver une solution politique à la crise libyenne, qui pour lui est indissociable de l’insécurité au Sahel. Avant Rock Marc Christian Kaboré, le président tchadien, Idriss Déby Itno, avait mis en garde les puissances occidentales, qui s’apprêtaient alors à soutenir la rébellion contre le régime libyen et à son dirigeant, Mouammar Kadhafi, en octobre 2011, des conséquences de ce futur désordre géopolitique. En vain. La Libye était et demeure une poudrière dont la pacification relève des travaux d’Hercule : impossible, pour une seule faction, de s’imposer à l‘ensemble du pays. Le Maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne, et ses puissants soutiens pourraient en témoigner, amèrement. De même que le gouvernement internationalement reconnu, basé à Tripoli.

Longues, très longues frontières.

Quatre des pays du G5 Sahel comptent de longues frontières dont la gestion sécuritaire est difficile et coûteuse. A quelques jours du Sommet du G7, justement, les autorités tchadiennes annonçaient ceci : « Pour des raisons sécuritaires et pour contrôler les entrées et sorties avec nos pays voisins, les frontières Nord avec la Libye, Est avec le Soudan et Sud avec la République centrafricaine sont fermées à compter de ce jour (lundi 19 août 2019, ndlr) à l’exception des corridors et postes d’entrées ». Ce communiqué venait rappeler le défi du contrôle des longues frontières des pays africains. Le tableau ci-dessous en donne une idée, fort éloquente.

 

Pays Superficie Population Densité Longueur         km frontières,
Tchad 1 284 000 15 031 247 11,7  5 968
Niger 1 267 000 21 589 863 17  5 697
Mali 1 241 000 18 717 829 15  7 243
Mauritanie 1 025 520 04 284 792 04   5 074
Burkina Faso 0 272 967 19 244 534 70,5   1 000
Total 5 090 725 78 868 265 15,5 24 982

 

À l’exception du Burkina Faso, les pays du G5 Sahel sont millionnaires en superficie. Le Tchad est le bon premier, talonné par le Niger, lui-même suivi, de près, par le Mali. Le sous-peuplement est la deuxième donne de ce regroupement, à l’exception du Burkina Faso, qui affiche 70,5 habitants au km2, tandis que la Mauritanie bat le record de ce phénomène avec 4 habitants au km2. La longueur des frontières est aussi frappante, le Mali ayant la palme d’or, avec 7 243 km à surveiller. Le Burkina Faso fait figure de nain, en la matière, avec « seulement » 1 000 km à sécuriser.

Autant la longueur des frontières est un défi sécuritaire, autant le sous-peuplement l’est. Imagine-t-on un État déployer une armada administrative et sécuritaire là où vivent une centaine d’habitants, à l’habitat dispersé ?

Les quatre plus vastes pays, ainsi que le Burkina Faso, sont face à ce défi. Ce déséquilibre dans le développement et le déficit d’État, tant décriés ces dernières années, semblent avoir de beaux jours devant eux. De ce point de vue, ajouter des pays au G5 Sahel pourrait revenir à aggraver le problème de la gestion des frontières.

Dès le départ, le Niger avait souhaité l’adhésion de l’Algérie au G5 Sahel. Le ministre nigérien de la Défense nationale, Kalla Moutari, avait annoncé que le groupe serait ouvert l’adhésion des pays volontaires : ” C’est un projet des cinq pays africains qui le portent. Si un pays manifeste l’intérêt d’y adhérer, surtout l’Algérie, je ne vois pas comment les Africains ne l’accepteraient pas. Si un pays comme l’Algérie accepte de nous financer, je ne vois pas comment nous ne l’accepterions pas. Tout le monde est le bienvenu”.

L’Algérie, à l’origine de de la création du CEMOC – Comité d’état-major opérationnel conjoint (Algérie, Mali, Mauritanie et Niger) basé à Tamanrasset – a sans doute vu la création du G 5 Sahel comme une initiative inamical, n’a pas encore répondu à cet appel. Sans doute réfléchit elle encore à la perche tendue, car elle se trouve face au dilemme suivant : peut-on combattre le terrorisme, sans dépasser ses propres frontières ? Un leurre !

Un élargissement diplomatique ?

L’extension institutionnelle du G 5 Sahel, prônée par les trois chefs d’État, obéit, de prime abord, à un contentement diplomatique de deux pays, proches alliés de la France, essentiellement. Le Sénégal, dès la création du G5, s’était dit surpris (et déçu) de ne pas en être.  La Côte-d’Ivoire, au regard de son poids économique dans l’espace UEMOA, entend y jouer les premiers rôles, quels que soient, par ailleurs, les domaines. Elle l’a encore montré, récemment, avec le soutien clair de la France, dans le dossier de la future monnaie commune africaine. En effet, au sortir d’une audience avec le président français, c’est le président ivoirien qui a défini les critères d’admissibilité des pays dans la future zone monétaire commune.

Depuis l’attaque terroriste de Grand-Bassam, le 13 mars 2016, avec un bilan de 18 morts, le président ivoirien avait un argument supplémentaire pour exiger son intégration magistrale dans le G5 Sahel. Dans le même registre, le Togo, qui a arrêté et extradé des terroristes burkinabè vers leur pays d’origine, se devait de tabler sur un argumentaire identique, afin d’obtenir son ticket d’entrée. Réflexion similaire concernant le Bénin, attaqué, le 1er mai 2019, dans le « Parc W » de Pendjari, à cheval entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, avec un l’assassinat d’un guide et une prise d’otages dont la libération aura coûté la vie à deux commandos français.

Pour encourager un G5 Sahel, élargi, que peuvent Allemands et Français ? En collaboration avec les autres armées partenaires disposant de bases dans la sous-région, ils peuvent intensifier et affiner la surveillance électronique des frontières avec leurs drones et avions sophistiqués. À cela, ils ajouteraient des engagements dans les combats, chaque fois que de besoin, en coordination avec les armées du G5 Sahel.

De leurs côtés, ces dernières pourraient renforcer leur coopération, avec davantage d’échanges francs de renseignements et des accords portant sur des droits de poursuite de l’ennemi dans les territoires les uns des autres. On peut aussi imaginer une opération d’envergure de reconquête de la région de Kidal, au Mali ou de celle dite ‘’des trois frontières’’, le Liptako Gourma (Burkina, Mali et Niger), considérées comme abritant une multitude de mouvements très actifs.

La bonne gouvernance, seul remède.

Il existe une « gouvernance des frontières », longtemps négligée par de nombreux pays africains. Cette discipline commence par les entrées et sorties des frontières. Pendant le Sommet du G7, des media maliens tiraient la sonnette d’alarme sur le « racket permanent aux postes de contrôle » du Burkina Faso, du Mali et du Niger ! Les documents de voyage, passeports et cartes d’identité, comptent peu, même s’ils sont contrôlés. Les voyageurs se voient exiger, y compris s’ils sont en règle, des sommes allant de 1 000 FCFA à 2 000 FCFA (1,4 euro et 2,4 euros), aux postes de contrôle, aussi nombreux que proches les uns des autres.

Avec forces détails et des témoignages poignants de « survivants et victimes » de ces arnaques, ces media concluent que gendarmes et policiers extorquent ces sommes, perçues sans reçus, avec une telle brutalité que les passagers les ressentent comme un facteur d’insécurité… Les plaignants estiment que les autorités de ces pays sont informées de ces arnaques et brutalités, mais ferment les yeux, s’en faisant donc, objectivement, complices. La corruption est, effectivement, un facteur d’insécurité. Dans la mesure où ces agents, chargés de contrôler les flux humains et de marchandises, ne sont mus que par l’argent, on peut craindre que des personnages peu recommandables se voient ouvrir un boulevard pour infiltrer les pays concernés.

Dans la réalité, la sécurité et l’insécurité n’ont pas de frontières : tout pays peut, à tout moment, être frappé par des terroristes, venus de n’importe où. Réciproquement, les terroristes peuvent, potentiellement, mener des actions, à partir de n’importe quel pays. Enfin, aucun pays n’est capable de surveiller, individuellement, ses ressortissants, dans le dessein de les empêcher, avec succès, de s’engager dans le djihadisme, par exemple. La Tunisie, la France et l’Allemagne en savent quelque chose, eux dont des citoyens ont prêté main forte au Khalifat, éphémère mais toujours opérationnel, de Daech…               

En leur for intérieur, les chefs d’État du G5 Sahel savent ce qu’ils doivent faire pour réinstaurer la sécurité. Les autres gouvernements aussi.

La Convention portant création du Groupe insiste sur l’interdépendance des défis de la sécurité et du développement. Dans ce texte fondateur, ces dirigeants proclament leur plein engagement à promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et la bonne gouvernance. Dans la Convention, se bousculent des mots attrayants et des expressions prometteuses, telle la démocratie, la bonne gouvernance, l’intégration régionale et la solidarité. C’est ce chantier qu’il faudra ouvrir, pour atteindre les objectifs du G5 Sahel, au-delà de la problématique de la gestion des frontières, qui en est seulement un des piliers.

In fine si ce n’est pas encore entamé ou si le processus est lent, c’est que ce chantier exige le plus grand des efforts : la remise en cause du mode de gestion des citoyens et des pays, au quotidien, puis la révolution dans les rapports avec les autres nations. La première frontière à pacifier est, par conséquent, celle de la bonne ou d’une meilleure gouvernance. La plus urgente des urgences…

 

Limam NADAWA / Consultant pour Centre4s.