Une multitude d’acteurs lutte contre le terrorisme au Sahel : les armées des pays concernés avec l’aide de supplétifs civils et les partenaires internationaux. Entre 2012 et maintenant, les combats se sont tantôt intensifiés tantôt ont baissé puis se sont mus en trêve implicite. Les groupes terroristes ont abondé et se sont combattus pour la suprématie sur le terrain. L’hydre est toujours là, provoquant des drames humains, entre autres. Les relations entre partenaires, africains et internationaux, se sont dégradées, au point de détruire des coalitions et des organisations régionales. Une impression de gâchis et d’échec prévaut.
À la demande des autorités de la Transition malienne, la France a lancé, en janvier 2013, l’opération Serval, destinée à barrer la route à des groupes terroristes qui fonçaient sur Bamako, afin d’installer un régime islamique. En outre, elle s’assignait les tâches d’aider le Mali à recouvrer son intégrité territoriale et sa souveraineté, puis de permettre le déploiement rapide de deux mécanismes complémentaires: la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) et la Mission de formation de l’armée malien de l’Union européenne (EUTM). Momentanément vaincus, ces groupes se réorganisent, et menacent, encore une fois, le pouvoir central au Mali.
Coalition anti-terroriste.
Une seconde opération française, Barkhane, est déployée au Sahel, en juillet 2014. Le double effort militaire, baptisé respectivement d’un nom d’animal et d’une dune de sable mouvante, ne semblant point suffisant, le G5 Sahel voit le jour, se dotant d’une convention, signée en décembre 2014 à Nouakchott. Cette organisation militaire regroupe cinq pays, répartis sur 5 097 338 km2 : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad. Parallèlement, est créée la MISMA, le 17 juillet 2013. Les pays suivants en fournissent les troupes : Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Niger, Nigeria, Tchad et Togo. Au nombre de six mille (6 000), ces militaires sont sous le commandement du général nigérian, Shehu Abdulkadir. La MISMA devait aider le Mali à reconstituer la capacité de ses forces armées, afin de permettre aux autorités de reprendre le contrôle des zones du nord de son territoire, tout en préservant la population civile. Plus spécifiquement, elle aiderait l’armée malienne à déloger les groupes islamistes, à savoir l’AQMI, le MUJAO, et Ansar Dine, principalement. Ces mouvements avaient pris le contrôle du Nord du pays, après en avoir chassé les rebelles indépendantistes Touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). La Mission est alors conduite par la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour un an. Le 25 avril 2013, le Conseil de sécurité crée la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). La Mission appuiera le processus politique et réalisera un certain nombre d’activités de stabilisation concernant la sécurité. Elle prêtera une attention particulière aux principales agglomérations et axes de communication. Elle protégera, également, les civils, surveillera les droits de l’homme, mettra en place les conditions indispensables à l’acheminement de l’aide humanitaire et au retour des déplacés, à l’extension de l’autorité de l’État et à la préparation d’élections libres, ouvertes à tous et pacifiques. Tout un programme.
Lancée le 1er août 2014, l’opération française, Barkhane, vise à lutter contre les groupes armés djihadistes, dans tout le Sahel. Au plus fort de son intervention, elle comptait jusqu’à 5 100 hommes. La MINUSMA alignait, en juin 2023, 15 056, avec la décomposition suivante : 11676 militaires, 1588 policiers et 1792 civils. Créée par des gouvernements européens, le 29 mars 2020, la Force Takuba a déployé près de 900 soldats au Mali, chargés de conseiller, d’assister et de former l’armée malienne. L’Union européenne a lancé, le 18 février 2013, la Mission de formation des forces armées maliennes EUTM Mali, avec 560 hommes. En août 2012, elle lançait EUCAP Sahel Niger. En avril 2014, elle procédait de même avec EUCAP Sahel Mali. Les deux missions contribuaient à renforcer les capacités des forces de sécurité intérieure dans divers domaines. L’armée américaine jouait un rôle crucial dans le soutien logistique à l’opération Barkhane. Elle dispose de deux bases au Niger, à Niamey et à Agadez avec, officiellement, un millier de soldats. Elle accueille notamment des drones armés MQ-9 Reaper et des avions de transport C 17. Avec ses 25 km2, elle est la plus importante base américaine après Djibouti. Les Américains ont construit aussi une autre base secrète, installée dans le désert, à Dirkou, au Nord, tenue par leur Agence centrale de renseignement, la CIA, afin de pouvoir lancer des attaques contre des insurgés islamistes en Libye. À partir de fin 2016, l’Allemagne annonce, à son tour, la construction d’une base militaire « pour le transport aérien à Niamey, en appui à la mission de la MINUSMA au Mali ». Et ce n’est pas tout. En juin 2017, c’est l’Italie qui construisait sa base, « pour lutter contre le terrorisme et le trafic de drogues puis de migrants », en accord avec Paris et Washington.
Coups d’État en cascades
Sur le terrain, les résultats tardent à venir, aux yeux d’une frange de la hiérarchie militaire, dans ces pays. Au Mali, par exemple, de très nombreuses violences terroristes et « interethniques » sont déplorées. L’armée malienne accuse la France de soutenir les terroristes et de l’empêcher de s’emparer du nord qu’ils occupent. Ces incompréhensions provoquent une grave crise entre ces deux alliés. En août 2020, ce phénomène, ajouté à une période de contestation post-électorale, aboutit à un coup d’État contre le président Ibrahim Boubacar Keita. Au Burkina Faso voisin, le lieutenant-colonel Sandaogo Paul-Henri Damiba opère, également, un coup d’État, le 22 janvier 2021. Dénonçant la dégradation de la situation sécuritaire et l’incapacité du président Roch Marc Christian Kaboré à unir la nation, il a pris le pouvoir à la tête du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR I). Au Mali, en mai 2021, intervient un second coup d’État, suite à des contradictions entre protagonistes du gouvernement de Transition. Le colonel Assimi Goita prend le pouvoir, ouvertement.
En juin 2021, la France, sentant les événements lui échapper, envisage alors de réduire la voilure de son intervention militaire au Mali, pressant les colonels de Bamako d’organiser, au plus vite, des élections en vue de restituer le pouvoir aux civils. En cela, l’ancienne puissance coloniale est en accord avec la CEDEAO et l’Union africaine. Le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga interprète cette intention de réduction de son intervention militaire comme un « lâchage en plein vol ». Ces accusations, lancées de la tribune des Nations-Unies, en septembre 2021, passent mal à Paris. Pour la ministre des Armées d’alors, Florence Parly, elles sont « indécentes et d’inacceptables ». Le président Macron parlera, lui, d’une « honte ». Les autorités maliennes commencent alors à lorgner vers la Russie, pour s’affranchir à la fois de Paris et des instances interafricaines. Le spectre du recours à la société paramilitaire russe, Wagner, va envenimer la guerre politico-diplomatique entre Paris et Bamako. Fin janvier 2022, Bamako sommé l’ambassadeur de France de quitter le pays.
Au Burkina Faso, huit mois après son avènement au pouvoir, le lieutenant-colonel Damiba est renversé, à son tour, par le capitaine Ibrahim Traoré, avec le MPSR II (mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration). À tour, Damiba se voit reprocher son “incapacité” à résoudre le problème d’insécurité lié aux attaques djihadistes qui ne fait que “s’aggraver”. Son tombeur, à l’instar des militaires de Bamako, se tourne vers Moscou. Les conséquences de ces retournements d’alliance sont nombreuses. La France et ses partenaires européens officialisent, le 17 février 2022, leur retrait militaire du Mali, au terme de neuf ans de lutte anti djihadiste. “En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les États européens opérant aux côtés de l’opération (française) Barkhane et au sein de la Task Force Takuba estiment que les conditions ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel (…) au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations”, annoncent-ils dans une déclaration conjointe. “Nous ne pouvons pas rester engagés militairement aux côtés d’autorités de fait dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés”, et qui ont recours à “des mercenaires de la société (russe) Wagner” aux “ambitions prédatrices”, a fait valoir le président français Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse aux côtés des présidents sénégalais, ghanéen et du Conseil européen. Le 15 août 2022, les derniers soldats français ont effectivement quitté le Mali. La MINUSMA s’est retirée du pays, le 23 décembre 2023, sur demande pressante des autorités.
Au Niger, pour justifier leur coup d’État du 26 juillet 2023 contre le président élu, Mohamed Bazoum, les militaires ont invoqué le prétexte de l’insécurité grandissante et l’absence de croissance économique. Ils ont déclaré que l’intervention était nécessaire pour éviter « la destruction progressive et inévitable » du pays.
Le sentiment d’échec a eu de multiples conséquences. Le partenariat international de lutte contre le terrorisme au Sahel a volé en éclats, avec la rupture des relations entre la France et ses trois ex-colonies du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Les coups d’État ont tué aussi le G5 Sahel, provoqué la création, par les trois pays concernés, de l’Alliance des États sahéliens (AES). Les trois pays ont fragilisé la CEDEAO, en la quittant « sans délai ». Le Mali et le Burkina Faso ont sollicité, à des degrés divers, la Russie comme nouveau partenaire stratégique. Le Niger a entamé aussi des démarches en ce sens.
Cette alliance renforce la position géopolitique de la Russie, faisant davantage sentir que les trois pays sont désormais l’objet de rivalité entre puissances occidentales et Russie. Cette nouvelle donne fracture davantage une région sahélienne toujours frappée par les violences des groupes djihadistes lié à AQMI, à l’État islamique…
Grande question : Les acteurs majeurs de la lutte anti-terroriste ont-ils perdu de vue leur objectif stratégique, ou avaient-ils, dès le départ, un Hidden Agenda ou agenda caché ?
Limam NADAWA
Consultant, centre4s.