Il n’est plus possible, aujourd’hui, de minimiser et encore moins d’ignorer la gravité de la crise malienne pour l’avenir du pays. Au Sahel, la menace de déstabilisation est visible, sérieuse et crédible. Le Mali s’enfonce inexorablement dans une crise sans précédent. Pourtant, une partie de ses élites politiques continue de se comporter comme si de rien n’était. Jouant avec le patriotisme ambiant, celles- ci préfèrent cacher la triste vérité à leurs concitoyens, à savoir la douloureuse descente aux enfers de ce vieux pays. Blâmer le passé récent ou des états proches et lointains ne réglera pas les difficultés actuelles. Pour les civils, autant que pour les militaires, la priorité doit être de faire face à la catastrophe qui s’est abattue sur leur pays et de chercher à y mettre fin grâce au meilleur atout dont ils disposent encore : la négociation.
La forte présence dans le nord du pays de plusieurs mouvements islamistes d’Aqmi ou autres, qui sont armés et organisés, et de narco- trafiquants aux réseaux tentaculaires, est une source permanente d’inquiétude. Leur mainmise sur trois aéroports de classe internationale à Gao, Tessalit et Tombouctou, capables d’accueillir des avions gros porteurs, et donc de recevoir des combattants, des armes et des produits divers (en particulier la drogue), ne peut rassurer ni Bamako ni les capitales régionales. Plus leur contrôle sur le nord du Mali et de ces aéroports perdure, plus leur ancrage se consolidera et plus il sera couteux de les en déloger. Au vu de ces circonstances, le temps joue en leur faveur.
Bamako, capitale divisée et contestée
Par ailleurs, il y a ce que l’on peut appeler le « paradoxe » malien. Contrairement à d’autres observateurs, nous pensons au Centre4s que la situation à Bamako est plus inextricable et donc, plus périlleuse pour l’intégrité du pays que celle qui prévaut au nord. A ce jour, le danger le plus grave et aux conséquences les plus difficiles à mesurer, ne se situe pas au nord comme on peut légitimement le penser mais, bien paradoxalement, au sud et précisément à Bamako. A cela il y a cela plusieurs raisons. D’abord, le contexte où les autorités officielles opèrent leur est très défavorable : une légalité contestée, des forces de sécurité fragilisées voire éclatées, une Junte qui se bat pour survivre, une opinion publique abusée et enfin la perte des provinces du nord au profit de rebelles.
En second lieu, Bamako souffre d’un handicap lié à une image négative due à la mauvaise gestion du coup d’état et de ses suites y compris la violence physique contre le Président intérimaire Dioncounda Traoré. De plus, les forces en présence ne sont pas encore très identifiées et leurs soutiens restent dans l’ombre. En troisième lieu, en dépit de la présence de personnalités expérimentées ou représentatives tel le Premier Ministre Cheick Modibo Diarra, le gouvernement de transition peine à être visible. Comme la Junte, il fait face à d’énormes difficultés. Dans cet environnement caractérisé par de nombreuses tensions, voire des conflits larvés, le principal défi réside dans un déficit de légitimité des dirigeants, une institution militaire traumatisée et divisée et enfin une économie en berne. Sans parler du grand nombre de déplacés internes et de réfugiés que la crise malienne a engendré.
Sauvegarder l’intégrité territoriale
La stabilisation du nord, comme de l’ensemble du pays, exige que soit instauré un état plus fonctionnel et plus crédible à Bamako. Il faut, notamment y établir, dans les meilleurs délais un gouvernement suffisamment représentatif et acceptable pour la majorité des maliens, mais aussi pour leurs voisins et les partenaires extérieurs. Idem pour l’armée nationale qui doit être restructurée et réconciliée avec elle même et avec la population. Le moral des troupes est actuellement au plus bas. Tout cela demande du temps et des moyens, autant de denrées rares en ces temps de crise. Mais, si leur économie nationale et leurs finances publiques continuent d’être malmenées, et c’est le cas actuellement, il faudra beaucoup plus pour rassurer les maliens et sauvegarder l’intégrité de leur pays enclavé.
Fier de son histoire glorieuse, le peuple malien doit cesser d’être leurré par ceux qui chatouillent son amour propre et continuent de rejeter la faute sur les autres pour la catastrophe qu’il est en train de vivre injustement. Un grand peuple est toujours capable de se ressaisir pour parvenir à surmonter une mauvaise passe. Avec la perte des régions du nord, une bataille pour la survie du pays et du régime lui-même, s’est engagée, mais dans les pires conditions politiques et économiques possibles. Une jeunesse dépourvue d’espoir de trouver un travail décent se radicalise, les trafics se poursuivent a l’abri des batailles pour le pouvoir et les tensions ethniques et sociales sont explosives. Enfin les seigneurs de la guerre, orphelins depuis la fin des crises du Sierra Leone, du Liberia et de la Côte d’Ivoire, se préparent à de nouvelles aventures lucratives au Mali. Il est à craindre qu’ils ne lâcheront pas prise de sitôt.
Faut-il intervenir au Mali ?
C’est dans cet environnement plutôt chahuté qu’est évoqué l’envoi sur le terrain de troupes internationales pour le maintien de la Paix dans le cadre de la CEDEAO ou même des Nations-Unies. L’objectif de ces troupes serait de protéger les institutions démocratiques et d’assurer la restauration de l’intégrité territoriale du pays. Pour des raisons légales et pratiques, cette nouvelle perspective risque de compliquer un problème malien déjà très complexe.
Il faut rappeler ici, qu’il existe un préalable à l’autorisation par le Conseil de Sécurité de l’envoi de forces de maintien de la paix dans un pays. En effet, un accord de paix entre les parties en conflit doit d’abord être conclu. Or, pour le moment, celui-ci n’existe pas. Par ailleurs, si une demande d’intervention pour accompagner la phase de transition et protéger les autorités intérimaires peut recevoir un accueil favorable du Conseil, la sauvegarde de l’intégrité territoriale et donc l’appel au Chapitre VII de la Charte peut difficilement obtenir son feu vert dans le contexte actuel de guerre civile qui prévaut au Mali.
D’autre part, le mandat d’une mission de maintien de la paix doit être clairement défini dans ses objectifs et dans sa durée. Dans le cas du Mali, le but de ce mandat reste à déterminer : servira-t-il à la restauration de la démocratie ou bien à la reprise -de force- des régions du nord au profit de Bamako, voire les deux à la fois? Fatalement, la durée et le coût de la mission dépendront des termes de ce mandat.
Enfin, la décision de mobiliser des troupes pose un certains nombre de défis politiques, juridiques et surtout financiers. Si au niveau de la CEDEAO les difficultés politiques et juridiques peuvent être facilement dépassées, il n’en va pas de même des aspects financiers en particulier ceux nécessaires à la logistique : transport, équipement, armement et autres dépenses, essentielles à l’efficacité des opérations et au bon moral des troupes. Au niveau des Nations Unies, l’expertise du système et l’engagement du Secrétaire Général Ban Ki Moon pour la paix en Afrique, permettront de trouver la formule la plus appropriée au contexte malien. En fonction de la nature du mandat, si celui-ci vient à être adopté par le Conseil de Sécurité, le mode de financement de la mission sera alors déterminé. Deux possibilités : il peut soit être obligatoire, donc à travers le budget de l’Organisation, soit volontaire, c’est-à-dire à travers des contributions individuelles d’états membres qui le veulent et le peuvent financièrement. Au stade actuel, la budgétisation d’une opération au Mali par les Nations Unies semble, toutefois, exclue. La mission elle-même peut être hybride (Nations Unies et Union africaine) comme au Darfour ou spécifique comme l’AMISOM en Somalie avec des arrangements financiers adaptés. Dans le cas du Mali, l’innovation consisterait à remplacer l’UA par la CEDEAO. Dans tous les cas, les contraintes juridiques et financières actuelles, de même que les intérêts de tel ou tel pays, l’Algérie par exemple, ne poussent pas, en la matière, à une décision rapide au niveau du Conseil de Sécurité.
Le rôle de la diplomatie régionale
La restauration de la paix au Mali serait mieux servie par une action, en particulier diplomatique, au niveau de la région – CEDEAO et pays voisins du Mali ou concernés et intéressés par la situation dans ce pays. Le Centre4s encourage cette approche avant la saisine du Conseil de Sécurité et donc l’internationalisation de la crise malienne. Le corollaire de cette internationalisation, risque, en effet, de se traduire par une seconde internationalisation mais, celle là, au niveau du terrorisme mondial. Sans oublier, naturellement, l’internationale des narcotrafiquants opérant sur plusieurs continents.
En définitive pour résoudre le paradoxe du Mali, il faut, au-delà des territoires acquis ou perdus, commencer à s’intéresser aux populations et gérer leur cohabitation en pansant leurs plaies même les plus anciennes. La nation est un projet sans cesse en construction. Ceci est valable au Mali comme pour les Etats voisins s’ils veulent s’immuniser contre une contagion qui sinon pourrait devenir, très vite, inéluctable.
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