Une nécessité économique.
Pour au moins deux raisons, il est utile de dépassionner le débat autour de la corruption en Afrique. D’abord, ce fléau, qui existe partout à travers le monde, n’est pas une spécificité du continent. Par ailleurs, dénoncer et combattre la corruption n’est pas une posture morale, et encore moins une stigmatisation. Il s’agit à la fois d’un impératif économique, d’une nécessité politique et d’une précaution sécuritaire.
Enfin, lutter contre la corruption c’est aussi contribuer au développement économique et, indirectement, à la prévention des conflits civils et des migrations irrégulières. Deux phénomènes liés à l’exclusion et la pauvreté, elles-mêmes souvent exacerbés par l’impunité dont bénéficie la corruption.
Dans les années 1990, un collègue indonésien me demandait si, investie sur place, l’argent de la corruption ne lubrifierait pas les rouages de l’économie nationale, accélérant ainsi la croissance des pays. Pour lui, la corruption en Afrique, contrairement à de celle de l’Asie, est flagrante, indiscrète et stérilisante dans la mesure où son produit s’évapore immédiatement au-delà des frontières et, de surcroit, en produits de luxe ostentatoires.
Le Global Financial Integrity et la Banque Africaine de Développement estiment que 1300 Milliards de Dollars ont été transférés hors du continent Africain entre 1980 et 2009.
Endémique et arrogante, la corruption africaine discrédite les élites publiques et privées. Ce discrédit les affaiblit moralement, les fragilise politiquement et rend inaudibles, ou pour le moins peu crédibles, leurs messages aux populations. Il est également certain qu’il ne peut convaincre les partenaires extérieurs.
Différentes formes de corruption
Il y a la petite et la grande corruption. Toutes deux sont condamnables par leurs effets sur les mentalités et leurs surcoûts imposés à l’économie. La première est celle des subalternes et autres agents administratifs. Pour quelques sous, ils harcèlent, aux carrefours des grandes villes, les citoyens mais avec une attention particulière pour les visiteurs étrangers.
Cette corruption endémique, très visible et lassante, n’est qu’un sous-produit de la grande corruption, souvent institutionnalisée celle-là. Celle des hauts responsables nationaux. Par des comportements arrogants et l’impunité dont ils bénéficient, ces dignitaires ont introduit et banalisé concussion, détournement de fonds et escroquerie. Dans plusieurs pays du Sahel cette corruption est devenue une véritable sous culture politique.
Il s’agit précisément de la corruption couverte par la convention internationale signée le 12 décembre 2002 à Merida, Mexique. Son article 53, mentionne ‘’des mesures pour le recouvrement direct des biens.’’ Plus connu dans les medias sous le vocable de récupération ‘’des biens mal acquis’’, cet article traite de la corruption des élites dirigeantes et du recouvrement des biens spoliés à leurs propriétaires légitimes, c’est-à-dire les citoyens des pays affectés.
C’est cette corruption avérée, et surtout son impunité, qui porte le plus grand tort à l’Afrique. Nos états, les citoyens et nos partenaires extérieurs doivent combattre avec détermination cette impunité.
En Europe, des dirigeants, de tout premier plan, soupçonnés de corruption, font face à la justice nationale, non pour des règlements de compte politiques – fréquents en Afrique – mais pour répondre aux accusations lancées contre eux. Un ancien chancelier allemand, un ex premier ministre italien et un ancien ministre français du budget en sont trois exemples des plus connus.
Protéger la respectabilité du pouvoir.
En matière de corruption, l’action de certains pouvoirs vise souvent à protéger leurs proches et surtout leurs poches. Sans doute par solidarité familiale mais souvent comme si ces derniers avaient agi sur leurs instructions. Cette attitude encourage la déstructuration des institutions nationales et plus précisément celles qui protègent le mieux le pays et les citoyens: la police et la justice, ou les informe et éduque: la presse libre.
L’obstruction à l’action de la justice contre des agents notoirement corrompus, délégitime les institutions et consolide la corruption. Elle discrédite ainsi les pouvoirs centraux et annihile l’impact de leurs actions même les plus vertueuses.
Précisément, dans les pays sahéliens, où tout le monde connait tout le monde et où l’information et les rumeurs circulent rapidement, les conséquences de la corruption sont bien plus dévastatrices qu’ailleurs. Elles menacent l’intégrité des états les plus atteints.
Plusieurs raisons à cela. La première est l’extrême sensibilité de ces populations face aux abus qui sont souvent perçus comme favorisant une région ou une ethnie. De plus, la rareté des ressources financières, face à l’immensité des besoins et l’urgence d’y répondre, devraient inciter à limiter les ‘’déperditions’’ des fonds. Enfin, l’importance d’une gestion responsable des projets et autres investissements, et donc la réduction des évaporations budgétaires, invitent à l’ascétisme et non à la gabegie.
Par ailleurs, en Afrique, les armes les plus efficaces pour la prévention et le combat contre la corruption – la presse, la police et la justice – ne jouissent pas des mêmes marges de liberté ou de ressources et d’influence qu’ailleurs. En leur absence, ou du fait de leur indigence financière, le blackout est total sur les concussions. Cette situation affaiblit d’autant la dissuasion contre le fléau de la corruption.
Dans certains pays, tout est prétexte à l’extorsion de biens et de revenus au détriment de l’état. L’appropriation systématique des propriétés bâties et autres domaines publics et la participation forcée dans les contrats d’investissements étrangers sont monnaie courante. L’état civil, domaine de souveraineté par excellence et indispensable aux services de sécurité, est parfois confié au privé et non à la Police nationale comme ailleurs dans le monde. Les conflits d’intérêts y deviennent flagrants.
Les listes électorales qui en découlent, modifiables à volonté, fourmillent de doublons. Leur fiabilité est souvent discutable.
Les recrutements dans les administrations accordent plus de place au népotisme et à la corruption qu’au mérite et à la compétence. D’après les réseaux sociaux, ‘’tu viens de la part de qui ?’’ est un test de sélection bien plus fréquent lors des examens que la question : ‘’quel diplôme as-tu ?’’
La qualité du personnel des administrations les plus sensibles pour les populations et la pérennité des états – sécurité, santé et enseignement – se trouvent ainsi menacée. Il ne s’agit pas seulement de lacunes dues à l’incompétence ou l’indigence des services mais d’opérations de corruption délibérées visant le contrôle d’un secteur de l’économie nationale. Pire, il est fréquent de voir des officiels gouvernementaux en concurrence commerciale avec des opérateurs du secteur privé national ou étranger.
Les effets pervers de ces pratiques, souvent bien ancrées, sont des plus dévastateurs pour les pays du Sahel, leurs économies et leurs institutions. Par effet d’imitation, de nombreux citoyens pratiquent cette effrayante culture de pillage et bénéficient de l’impunité. Une culture qui fait fuir l’investissement direct extérieur mais aussi l’épargnant national.
Comment s’en sortir ?
Continuer à blâmer l’étranger, ‘’pas de corrompus sans corrupteurs’’ ne résoudra pas nos difficultés. Il faut combattre le cancer de la corruption comme le font d’autres pays à travers le monde. Par la presse, la police et la justice. Et naturellement par l’exemplarité du leadership. L’ancien président Senghor du Sénégal aimait dire ‘’en politique, la famille, c’est l’ennemi.’’
A long terme, la corruption appauvrit les pays et les individus. Blanchiment d’argent, trafics divers et impunité sont le cocktail qui maintient dans le cercle vicieux de la pauvreté. Un cocktail qui fragilise les états, les rend vulnérables aux conflits civils, à la fuite des cerveaux et aussi celle des …bras.
Lancinante, la lutte contre la corruption en Afrique doit cesser d’être un tabou. La confronter pourrait aider, comme ailleurs, à la marginaliser faute de pouvoir l’éradiquer.
Les organisations telles International Consortium Investigative Journalists, European Investigative Collaboration, Transparence International et d’autres, doivent, comme elles le font ailleurs dans le monde, mener aussi leur lutte contre la corruption en Afrique.