(MFI / 08.11.11) Selon le président du Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel-Sahara (Centre 4 S) Ahmedou Ould-Abdallah, la coopération des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD) en matière de lutte contre le terrorisme doit être franche et sincère.
Ancien envoyé spécial de l’ONU en Somalie, Ahmedou Ould-Abdallah avertit sur les dangers d’une collusion entre certains cercles militaires et les activistes radicaux. Une collusion qui a déstabilisé la Somalie en son temps, et que l’on pourrait retrouver dans le Sahel.
RFI : Que préconisez-vous pour que la crise libyenne ne déstabilise pas durablement l’espace sahélo-saharien ?
Ahmedou Ould-Abdallah : Il faut plusieurs choses. Il faut que les gouvernements de la région de toute la bande sahélienne se mobilisent pour conforter le front intérieur. Mais il faut surtout que les puissances sous-régionales collaborent et travaillent ensemble pour éviter ce que j’ai vu en Afghanistan (les compétitions entre puissances sous-régionales) ou ce que j’ai vu en Somalie. Il faudrait aussi aider les pays du front, c’est-à-dire le Niger, le Mali, la Mauritanie qui reçoivent beaucoup d’immigrés et beaucoup d’anciens combattants.
RFI : Les pays du front, comme l’Algérie, qui se sont réunis d’ailleurs tout récemment pour un sommet contre le terrorisme dans le Sahel, jouent-ils le jeu ou ont-ils des arrière-pensées ?
A.O.A. : Il y a deux choses. Je pense qu’il y a quatre pays qui sont directement concernés : l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Mais à eux seuls, ils ne peuvent pas venir à bout d’un problème qui est transversal. Il y a aussi le problème de la drogue, des trafics divers. Je pense que tous les pays intéressés, du Sénégal au Soudan, doivent être associés, en pensant aussi à une collaboration entre l’Algérie, le Maroc, la Côte d’Ivoire, la Tunisie, le moment venu. Il y a de la place pour tout le monde au delà des quatre pays du front.
RFI : Est-ce qu’il n’y a pas dans le Sahel parfois des liens coupables ou complexes entre certains cercles ou structures étatiques et les criminels et les activistes radicaux ?
A.O.A. : Beaucoup de gens pensent que ce qu’on voit en Afghanistan, entre certains services et certains réseaux ou certains combattants, ou ce qu’on a vu en Somalie entre certains réseaux et certaines organisations étatiques, peut se produire, où se produit d’ailleurs, au Sahara. C’est-à-dire des connexions sur la base clanique, tribale ou sur les intérêts entre certains services de sécurité et les trafiquants ou les activistes radicaux. Je ne dis pas que c’est nécessairement le cas dans le Sahel. Il faut éviter en tout cas que cette connexion se développe. Il n’y a pas de doute que dans des situations pareilles – et ce n’est pas unique au Sahel, ça existe en Amérique latine, sur la base de relations familiales ou tribales –, les terroristes ou les trafiquants, par des mariages ou par des associations, se mettent ou se rapprochent des services de sécurité chargés de les pourchasser ou de les suivre. Il y a donc ce risque. اa ne m’étonnerait pas que plus les conflits ou la crise se poursuivent, plus ces réseaux se renforcent pour des raisons multiples.
RFI : Est-ce que dans certains pays, les militaires n’ont pas intérêt à ce que l’instabilité perdure, ne serait-ce qu’en raison des budgets qui leur sont octroyés pour lutter contre l’insécurité ?
A.O.A. : Il n’est pas possible de combattre la violence, le terrorisme et le trafic, sans des armées et des services de sécurité bien outillés. Et en même temps, plus il y a de moyens et plus il y a des tentations. Je pense que dans le Sahel et le Sahara, ce risque peut exister. Il faut le combattre dès le départ, et la meilleure façon est de procéder à des rotations fréquentes dans les commandements, si on veut éviter ce qui s’est passé dans d’autres pays. Cependant, je pense que les armées dans la région ont une grande expérience de la lutte aux frontières et il faut leur donner le bénéfice du doute.
RFI : Quels sont les effets pervers de la crise libyenne sur la sécurité dans le Sahel ?
A.O.A. : Pour moi, le plus grand danger, c’est le retour de combattants aguerris qui n’ont pas de perspectives d’avenir et qui sont prêts à s’engager là où il y a les meilleures offres, que ce soit dans des actions illicites ou pour un combat perdu d’avance. C’est là où vraiment je fais appel à la communauté internationale pour aider les pays du front, du Niger, du Mali et de la Mauritanie, qui en ont le plus besoin, de part la faiblesse de leurs structures et du manque de ressources. Mais surtout, il serait souhaitable qu’il y ait un pardon en Libye, d’abord pour faire des réconciliations, mais aussi pour retenir autant que possible chez eux les Sahéliens qui n’ont pas commis de crimes irréparables.
RFI : Est-ce que l’arrivée au pouvoir des islamistes dans les pays qui ont connu le « printemps arabe » est une bonne chose pour lutter efficacement contre cet islam radical qui s’exprime jusqu’à présent par le terrorisme ?
A.O.A. : Je pense que tout parti qui accède au pouvoir par le jeu démocratique ne peut être qu’une bonne chose. Il faudrait tout simplement que ce parti respecte les règles qui l’ont amené au pouvoir.
Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc, l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo sahélienne.
Ahmedou Ould Abdallah
20/11/2011 11:28:15