AQMI est-il mort ?
Une chose semble relativement sûre, les capacités d’action d’AQMI et de ces satellites, à savoir le MUJAO et Ansar Eddine ont, en tant qu’organisations, été significativement entamées. Il serait toutefois imprudent d’être aussi catégoriquement affirmatif quant à leur capacité de nuisance.
Il pourrait ainsi être précipité de croire à la disparition d’AQMI. A ce titre, la mort confirmée de l’un des leaders de ses katibas sahéliennes, à savoir Abdelhamid Abou Zeid, revêt un intérêt stratégique et tactique et aura un impact psychologique certain. Toutefois, avec la nomination annoncée, mais encore à confirmer de son successeur, l’Algérien de 34 ans Djamel Okacha, plus connu sous le nom de Yahia Abou el-Hammam, qui occupait déjà le poste d’Emir du Sahara, l’impact de la disparition d’Abou Zeid devrait être relativisé. De plus, certains combattants de ces groupes, bien que disposés à se battre jusqu’à la mort, n’en sont pas moins acculés ou alors en débandade. Toutefois, demeurent l’idéologie et le projet politique et religieux véhiculés et portés par cette mouvance, lesquels ne cesseront pas de trouver des adeptes.
Bien que les organisations de cette nature reposent largement sur leurs leaders, il n’est pas certain que la menace disparaitra à la suite de celle de leurs figures historiques. Il n’est par contre pas impossible que ces organisations tentent de se reconstituer et que de nouveaux leaders émergent avec le temps, reprenant le flambeau tombé dans les montagnes du Nord Mali sur le champ du “djihad”. Cela pourrait prendre un certain temps, mais il est essentiel de ne pas baisser la garde.
A ce titre, les risques d’actes terroristes (type attentats-suicide notamment) par des individus ayant été envoyés ou mis en sommeil dans certaines villes du Nord du Mali, à Bamako ou encore dans les capitales de certains pays voisins restent présents. Le même risque vaut pour les apprentis djihadistes ayant réussi à regagner leurs pays respectifs en passant entre les mailles du filet sécuritaire et militaire qui s’est mis en place dans le Nord du Mali. Rappelons que l’”internationale djihadiste” qui avait commencé à se constituer comprenait des Algériens, Burkinabès, Ivoiriens, Maliens, Marocains, Mauritaniens, Nigérians, Nigériens, Tunisiens, etc. La plus grande vigilance doit par conséquent prévaloir.
Quelles leçons tirer et quel avenir pour la lutte contre l’islamisme radical et le terroriste ?
Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer un bilan des actions entreprises contre les islamistes radicaux et terroristes ayant occupé le Nord du Mali pendant près de neuf mois, la confrontation étant toujours en cours, on peut d’ores et déjà tirer certains enseignements susceptibles de guider la lutte contre cette menace dans l’avenir.
Appréhender l’islamisme radical et le terrorisme dans ses dynamiques.
Les récents revers subis par la mouvance islamiste radicale et terroriste dans le Nord du Mali ont mis au jour leur projet politique et idéologique et les stratégies conçues; lesquels avaient commencé à être mis en œuvre. Certains des moyens à leur disposition et leurs connaissances et tactiques militaires se sont aussi révélés particulièrement dangereux et élaborés.
L’islamisme radical repose sur une logique expansionniste, proactive, adaptative, évolutive et se caractérise par une rationalité qui va au-delà de l’irrationalité souvent prêtée à des fanatiques ou “fous de Dieu”.
Par ailleurs, les liens étroits entre cette menace et des activités criminelles (trafics de drogue, d’armes, de carburant, d’êtres humains, etc.) ne devraient pas être négligés. Il est ainsi impératif que la menace posée par des groupes d’extrémistes radicaux, les dynamiques internes qui les caractérisent et les interactions qu’ils entretiennent avec leur environnement soit appréhendées et pris en compte dans leur complexité.
Eviter ou réduire tout risque de pourrissement.
Il est essentiel d’éviter le pourrissement des situations qui verraient l’émergence et le développement d’un islamisme radical en y apportant les réponses les plus appropriées comme s’il constituait déjà une menace imminente. Ces réponses doivent être sécuritaires, politiques et socio-économiques. Elles doivent également être déterminées, effectives et collectives.
Il parait nécessaire de réduire cette menace et de la tuer dans l’œuf, tout en évitant de l’attiser et de donner à ses adeptes des raisons de se radicaliser. Une vigilance de tous les instants et une évaluation appropriée et constante de sa nature, de son ampleur et de sa dangerosité s’imposent par conséquent.
Lutter contre le radicalisme et l’extrémisme violent.
Il est également important de s’attaquer aux germes du radicalisme, du fondamentalisme ou de l’extrémisme violent qui servent souvent de ferment au fanatisme qui va plus tard nourrir les combattants les plus déterminés. Cela passera également par des réponses socioéconomiques, politiques, éducatives et religieuses qui pourront contribuer à réduire ces phénomènes et idéologies, ainsi que l’attrait qu’ils représentent pour certaines personnes, souvent socialement et économiquement marginalisées et vulnérables.
Investir dans la sécurité et la défense.
Pour éviter que la menace islamiste radicale ne prenne de l’ampleur, les Etats les plus vulnérables et exposés se doivent d’investir de manière résolue dans leurs systèmes judiciaire, de sécurité et de défense. La sécurité en plus d’être une préoccupation et une responsabilité vitale des Etats, représente aussi un besoin vital pour les populations.
La mise sur pied effective des dispositifs sécuritaires prévus au niveau des sous-régions du continent, à savoir les brigades de la Force africaine en attente, devrait être accélérée. Les partenaires internationaux devraient également revoir les différentes politiques d’assistance qui ont jusqu’à présent été mises en œuvre en Afrique et les renforcer à la lumière des défis et déficits sécuritaires qui persistent et de la menace qui pourrait ré-émerger ou changer de nature et de forme.
Effectivement mises en œuvre à la fois par chaque pays et collectivement, les efforts qui auraient du être fournis pour se prémunir contre le péril terroriste auraient sans doute eu un coût inférieur à celui de l’intervention actuelle.
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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo sahélienne.