Enjeux de la mise sur pied d’une mission de l’ONU
La mise sur pied d’une mission de maintien de la paix de l’ONU, faisant passer les troupes africaines de la MISMA sous un mandat onusien, se confirme avec la publication le 26 mars 2013 du Rapport S/2013/189 du SG de l’ONU sur le Mali. Cette évolution traduit tout d’abord le souci de la France de voir la suite de la gestion de la crise malienne, avec tout ce qu’elle implique comme responsabilités juridiques, diplomatiques et militaires, s’internationaliser au-delà du bilatéral et du régional.
Cette nouvelle configuration permettrait à Paris de prendre un recul pour ne point continuer à apparaître en première ligne plus longtemps, avec ce que cela peut comporter comme coûts politiques et surtout financiers. Une force internationale de 11200 hommes et 1440 policiers recommandée par le SG demande un budget conséquent. Il faudra y ajouter les coûts liés à l’administration civile de toute mission onusienne.
Les limites militaires et surtout financières de la CEDEAO offrent aussi une explication à cette évolution. A ce titre, face aux difficultés budgétaires et logistiques qui ont jusqu’à présent notoirement retardé le déploiement effectif des troupes de la MISMA, il est espéré que dans le cadre de l’ONU, les forces africaines disposeront des ressources et du soutien nécessaires comme envisagé dans le cadre de la résolution 2085 (2012) du Conseil de sécurité.
Il faudrait toutefois éviter de croire qu’un mandat onusien, fut-il dans le cadre du Chapitre VII, constituerait forcément une panacée de ce point de vue.
Quel rôle pour une mission de paix de l’ONU ?
La crise malienne est complexe – de gouvernance, identitaire, sécuritaire et caractérisée par une multitude de défis qu’il faudrait garder à l’esprit.
L’action militaire initiée le 11 janvier 2013 sous la conduite de la France, en réponse à une demande assistance, a permis d’enregistrer des résultats significatifs. Toutefois, elle est encore loin d’avoir révélée toute l’étendue et la nature de ses conséquences, particulièrement en termes d’évolution de la menace terroriste, non seulement contre le Mali, mais aussi contre la région dans son ensemble et au-delà.
Il y aussi les difficultés et le temps que prendra la stabilisation des parties septentrionales. Le changement de casquette lèvera-t-il les incertitudes qui pesaient déjà quant à la capacité des forces régionales à relever efficacement ce défi ? Par ailleurs, quelle place et spécial pour un contingent français, semble inévitable pour assurer une plus grande flexibilité dans un conflit où la rapidité de la réaction demeure essentielle. A terme, toute expédition militaire d’un pays démocratique génère dans son opinion intérieure des critiques plus déstabilisatrices que la guérilla sur le front des combats. Comment les gérer autrement que par un retrait?
La question de la restauration de l’intégrité territoriale du Mali reste encore posée sur le terrain et dans les esprits des populations. Cette dernière problématique va au-delà du seul fait de neutraliser les radicaux et autres terroristes qui l’ont occupé pendant plusieurs mois et y sont présents depuis plus longtemps encore. Que dire des divers trafics qui y ont prospéré depuis plus d’une décennie et dont les chefs de réseaux se déplacent en toute liberté dans la région? Encore faudrait-il que les autorités maliennes réinvestissent effectivement et légitimement cette partie du pays d’un point de vue politique, administratif, socioéconomique et de sécurité.
Ce combat pour la reconquête de l’intégrité territoriale du Mali et pour son contrôle effectif risque d’être encore plus difficile à mener et à réussir. Compte tenu de la nature profonde des défaillances gouvernementales, face à l’irrédentisme touareg, il faudrait sans doute plus qu’une opération de maintien de la paix pour y apporter des réponses durables. Une opération de reconstruction du pays sera nécessaire mais fatalement longue et couteuse.
Le risque d’instabilité que l’action militaire internationale va générer pendant un certain temps est aussi à prendre en considération (RD Congo, Afghanistan, Haïti). Pour y faire face, une présence significative dans les parties ‘’libérées” et une action déterminée des forces françaises et africaines, sur une durée difficile à préciser pour l’heure, s’avèreront nécessaires. La vigilance des pays voisins et leur contribution à la sécurisation de leurs frontières avec le Mali permettront de réduire les risques de déplacement de la menace.
Un autre défi porte sur les conséquences humanitaires de la crise malienne, avec plus de 300.000 réfugiés encore dans les pays voisins et 180.000 déplacés internes qu’il faut protéger et nourrir. Les perspectives de retour sont encore loin d’être réunies, notamment du fait des représailles contre les minorités et des tensions intercommunautaires inhérentes à ce genre de situations.
La “question Touareg” est à l’origine de plusieurs rébellions depuis les années 1960 et en particulier de celle déclenchée en janvier 2012. Sa résolution politique, à laquelle les élites maliennes ne semblent pas encore préparées, continue d’empoisonner les chances de la paix.
D’autres interrogations se bousculent sur l’Agenda politique interne et la future force internationale ne peut ignorer: le processus politique devant notamment conduire à des élections présidentielles cet hivernage, la nécessaire restructuration du secteur de la défense et de la sécurité, la réconciliation nationale, la réforme de la gouvernance nationale et locale (notamment dans le Nord), le déminage, la recherche et éventuellement la destruction des arsenaux terroristes, etc.
A la lumière des énormes défis de la crise malienne, l’ONU est capable d’apporter une contribution significative. Déjà envisagée dans la résolution 2085 (2012) celle-ci doit se concrétiser rapidement pour éviter la résurgence des causes premières de la crise.
Perspectives de succès d’une mission de paix onusienne
La nature de l’action militaire actuellement en cours contre les terroristes distingue le terrain malien de la plupart des environnements dans lesquels l’ONU a été traditionnellement amenée à intervenir sur le continent, avec des succès variables.
A cet égard, il faut noter que l’Afghanistan et l’Irak confrontés à des menaces de nature quelque peu similaires à celle qui prévalent au Mali, n’ont pas connu d’implication directe de l’ONU. Naturellement, les acteurs et les enjeux étaient particuliers. Toutefois, il aurait été difficile d’envisager un rôle pour l’ONU face aux insurrections qui s’y sont développées, rendant complexe la stabilisation de ces deux pays; insurrections que les puissances occidentales, avec d’énormes moyens militaires, peinent toujours à contenir.
Si les Nations Unies et la communauté internationale sont plutôt bien outillées pour soutenir le Mali dans la résolution d’un certain nombre des défis présents et futurs, en sera-t-il de même pour la stabilisation et la sécurisation des villes libérées face à une menace devenue plus diffuse et sournoise, et pour la traque et l’anéantissement des repaires et bastions terroristes restant ?
La destruction de l’infrastructure terroriste dans le Nord, la réduction significative de leurs forces et l’affaiblissement qui découleront des opérations actuelles dans l’Adrar des Iffoghas, détermineront les possibilités de succès d’une force de sécurisation / stabilisation de l’ONU et ses chances de réussite au Mali.
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