Aujourd’hui, le plus grand défi à la stabilité en RCA n’est pas la mauvaise gouvernance, mais l’absence de toute gouvernance. Dans un tel contexte, du reste non spécifique à la RCA, la peur et la méfiance se développent pour devenir la norme. Ainsi les dirigeants politiques se craignent et se méfient les uns des autres et il en va de même des groupes ethniques et religieux. Plus cette situation s’enracine et plus la peur devient la composante principale de la culture politique et sociale. La haine et la méfiance se développent et sont exploitées par des politiciens peu scrupuleux comme programme gouvernemental.
Cette situation finit par faire tomber les barrières de la peur et à ouvrir les portes à toutes sortes de violence.
Lorsqu’une guerre civile meurtrière éclate dans un pays, la plupart des Etats voisins se trouvent naturellement concernés, et volontairement ou non, y jouent un rôle. Précisément, l’un des rôles de la communauté internationale est de veiller à ce que la contribution de chaque voisin soit autant que possible impartiale et positive. Trois raisons justifient une telle approche. Tout d’abord, dans un environnement de guerre civile, polluée par les rumeurs et les manipulations, il est souvent difficile de prouver l’ingérence d’un état voisin. Deuxièmement, celui – ci peut faire bénéficier la communauté internationale de ses connaissances du terrain et de son influence sur les principaux acteurs du conflit. Troisièmement, une accusation hâtive ou non fondée contre un état voisin peut exacerber davantage le conflit en poussant ce voisin à y intervenir plus ouvertement.
De fait, comme cela a été constaté ailleurs – Afghanistan, République démocratique du Congo, Libéria, ainsi qu’en RCA elle-même, il est presque impossible d’imposer une paix durable dans un pays contre la volonté de ses voisins.
Le 10 Avril, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution autorisant le déploiement d’une mission de maintien de la paix de 12.000 hommes à partir Septembre prochain. Compte tenu de la volatilité de la situation interne, la question principale est que se passera- il en RCA avant cette date ? À la lumière des déclarations plutôt provocatrices faites par, ou attribués à des organisations inter- gouvernementales traditionnellement prudentes, il est fort probable que la RCA et le Sahel se dirigent vers de plus graves difficultés.
A cet égard, deux déclarations attribuées au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) sont des plus ambiguës et ont jetés de l’huile sur le feu. En une seule semaine, cette organisation a publiquement accusé les troupes du Tchad, un voisin de la RCA, d’avoir tué des civils centrafricains avant même l’ouverture d’une enquête! La seconde déclaration est encore plus déroutante: le HCR s’est porté volontaire, pour ce qui peut apparaitre comme un nettoyage ethnique, en proposant de transférer hors de leur pays des citoyens centrafricains musulmans ! Grace à l’intervention du commandant des troupes françaises sur place, la proposition a été retardée et sans doute reportée sine die. S’il ne s’agissait que de nourrir et de protéger ces malheureux ressortissants centrafricains, le Programme alimentaire mondial ou PAM est à même d’accomplir cette mission.
Dans un pays et une région, où le réservoir des mécontentements est plein, jouer sur les sensibilités religieuses conduit fatalement à des tragédies. A elle seule, la bonne volonté ne suffit pas quand sur le terrain les réalités arrivent souvent à se jouer de celle-ci.
Pour stabiliser la CAR avant le déploiement des troupes de l’ONU en Septembre prochain, les mesures pratiques suivantes devraient être prises. Tout d’abord, il est essentiel de soutenir le gouvernement actuel qui a pour lui l’avantage d’exister. En effet, son effondrement entraînerai de nouvelles frustrations et un nouveau cycle de violences. Deuxièmement, maintenir l’élection présidentielle à la date prévue car il est utile, en temps de crise d’avoir un objectif. Troisièmement, faire revenir en RCA les troupes tchadiennes aguerries afin d’éviter une possible intrusion des rebelles Darfouris et Ougandais ainsi que des ‘volontaires’ nigérians de Boko Haram. Ce serait alors une toute autre histoire.
Ahmedou Ould-Abdallah
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