Sahel Sahara : Boko Haram, MNLA et Réseaux informels


 

Le défi apparaît, aujourd’hui, énorme. En raison de vastes territoires peu ou pas gouvernés, Jamais la sécurité de la bande sahélo saharienne n’a été aussi fragile, les économies informelles aussi propices à toute sortes d’activités illicites. La vie dans ces contrées est rude et les chances de réussite limitées. La marginalisation de segments entiers de la société constitue la première des menaces à la sécurité. L’enracinement continu des crises, leur enchevêtrement et leur multiplication ne sont plus guère contestés. Depuis ces derniers mois, les Etats, les populations et les  économies sont confrontés à une accumulation de risques et de violence sans précédent. La liste suivante en est une illustration :

•             D’abord, dans et à travers tout le Sahel, la sécheresse est cyclique mais particulièrement  sévère cette année où elle s’ajoute à une situation générale déjà  complexe et pleine de périls.

•             La palette des autres menaces comprend les trafics et circuits prospères de drogues dures, d’armes diverses, de cigarettes et de personnes.

•             La piraterie au large du golfe du Benin est intimement liée aux réseaux occultes opérant à terre.

•             Les prises d’otages occidentaux, pour payement de rançons, font également partie de cette économie de l’ombre.

•             La violence meurtrière de Boko Haram , avec plus de 1000 morts entre Juin 2009 et janvier 2012 lors de près de 160 attentats, aggrave une situation déjà bien périlleuse.

•             Enfin, les lendemains des élections au Sénégal, en Gambie, au Mali et en Guinée sont attendus avec appréhension.

Le front nigérian : Boko Haram

Boko Haram ou Jema’at Ahlu Sunnah Lidda’wa Wal Jihad, comme ses dirigeants préfèrent se faire appeler, est plus offensive que jamais. Sa nature est assez complexe comme l’est la plupart des groupes ou organisations au Nigéria. Qu’il s’agisse d’un groupe islamique authentique ou d’une couverture pour d’autres activités et ambitions, les raisons d’être de Boko Haram ne peuvent plus être ignorées. Une explication, non sans intérêt, privilégie le coté « extrême pauvreté » dans les états du nord du pays ainsi que les inégalités dans la redistribution des revenus fédéraux entre régions. Cette redistribution des fonds entre des états fédérés du nord-est (Borno, Yobé et Gombe) et ceux du sud-est (Rivers, Delta et Bayelsa) fait apparaître d’énormes  écarts en faveur de ces derniers. Ainsi, entre 1999 et 2008, l’allocation fédérale a été de 1.156 Nairas par tête d’habitant pour les états nordiques contre 3.332 Nairas pour les trois états du sud. En plus, ces derniers reçoivent de fortes compensations allouées aux ex combattants de la rébellion du Mende comme prix du retour à la vie civile. Pour l’année budgétaire en cours, 458 millions d’USD sont inscrits en faveur des activités liées à l’insertion des ex combattants du Mende.

Cette analyse n’explique pas le pourquoi du mode opératoire de Boko Haram et, en particulier, les assassinats ciblés contre des citoyens ordinaires. Rappelant étrangement celle des radicaux du Pakistan, d’Irak et d’Algérie qui tuent leurs compatriotes de manière aveugle, cette violence fait également ressortir une certaine parenté avec les extrémistes d’Al-Quaida au Maghreb (AQMI). En tout état de cause, la création d’Al Qaeda au Nigéria ou « AQIN » ne peut être exclue. Sans que l’on mette complètement de côté, toutefois, l’existence d’une piste criminelle.

Quelle solution pacifique privilégier pour une sortie de crise au Nigéria ?  Le Brésil, un autre grand pays, a aussi connu la violence pendant les années de dictature et s’est transformé en une démocratie pacifié avec le progrès des libertés. L’apaisement à long terme passera par plus de démocratie et une gestion encore plus transparente des affaires publiques. En attendant,  l’intégration par le travail des 9.5 millions d’Amajiris ou enfants de la rue nigérians et des pays voisins, actuellement gérés par Boko Haram,  demande des actions urgentes.

Au cœur du Sahel : le MLNA

C’est dans ce contexte sahélo sahélien déjà complexe qu’a éclaté le 17 janvier 2012, une nouvelle rébellion touarègue dans le nord du Mali. Comme les précédentes révoltes, notamment en 1962-64 et en 1991-92, celle de 2012 s’explique en partie par des frustrations politiques, économiques et les conséquences de l’isolement géographique. Mais, contrairement aux précédentes, elle déborde le cadre strictement touarègue. Des trafiquants, en particulier de cocaïne, y introduisent une forte composante criminelle. Des terroristes, déjà actifs sur le terrain, y prêtent main forte. Enfin, des « soldats perdus » de l’ex Guide Libyen Mouammar Kadhafi bien entrainés,  armés et très frustrés y participent. Selon des informations persistantes circulant dans la région, lors des combats en Libye, ces soldats touaregs de Kadhafi auraient reçu des promesses d’appui politique en échange de l’abandon du Guide à son sort. De son côté le mouvement berbère AMAZIGH aurait fait savoir qu’il serait prêt à soutenir le MNLA.

Comment cette nouvelle rébellion va-t-elle évoluer? On en connaît d’ores et déjà les perdants. Comme d’habitude dans ce genre de situations, les principales victimes seront les éléments les plus vulnérables de la population : femmes, enfants et vieillards mais aussi les plus modérés des politiciens. Les rares infrastructures physiques vont également souffrir. Les investissements miniers et, avec eux, les promesses de développement économique et sociale seront reportés à une période ultérieure. Politiquement, si la participation d’AQMI dans le massacre d’Aguelhok du 24 janvier 2012 est prouvée, la rébellion aura des grandes difficultés à se remettre en selle. A cet égard, pour bon nombre d’observateurs, AQMI a bien participé à cette bataille sous le commandement d’Ama Ag Ahmada, plus connu sous le nom d’Abdkrim Targui. Il est également acquis que des Mauritaniens, membres notoires de cette organisation, ont perdu leur vie au cours des combats. Les mêmes observateurs confirment la présence d’Iyad ag Aghaly avec son groupe Ansar Eddin. D’autres « soldats perdus » libyens y étaient également et, parmi eux, le colonel Mohamed ag Najim, ancien du Camp du 2 mars à Tripoli et de la Légion islamique lors des combats dans la bande d’Aouzou. Celui-ci a la réputation d’être un bon connaisseur des routes du Sahel.

Quelques recommandations pour mettre fin à la violence

Tout conflit se terminant par une négociation, il faut agir très vite pour limiter les dégâts de la crise actuelle ; en particulier minimiser la polarisation des communautés non seulement au Mali mais aussi dans tout le  Sahel. De nombreux intermédiaires vont offrir leurs services pour gérer la crise. Dans le contexte actuel, une internationalisation du conflit comporte toutefois des risques d’enlisement et, donc, un sérieux danger pour tous les Etats concernés. Le Pacte national signé à Alger en 1992 offre une bonne structure pour la stabilité du Mali et de la région. Où le renégocier ? Le Burkina a une excellente expérience en la matière à cause de ses succès au Togo et en Côte d’Ivoire. La Mauritanie offre aussi une possibilité. Toutefois, l’Algérie qui dispose de nombreux atouts comme l’expérience ou la proximité, demeure incontournable. Naturellement, le Qatar peut apporter son expertise ainsi que les partenaires de la région comme la Suisse.

S’agissant des problèmes de fond, il faudrait qu’une recommandation du nouveau Pacte national s’inspire des modèles étrangers de création d’une commission nationale de réconciliation  afin de traiter les séquelles de graves violations des droits humains dont aurait pu être victime tel ou tel groupe. L’établissement d’une Commission de ce type pourrait consolider la Paix et la Réconciliation et servir de mesure préventive.

Enfin, dans son Préambule ou bien dans les Annexes, il serait bon que le nouveau Pacte national mentionne des recommandations pour que les efforts engagés par les Etats de la région et la communauté internationale puissent porter leur fruit  en ce qui concerne :

•             la stabilité en Libye, afin que ce pays cesse d’alimenter l’insécurité dans la région comme il le fit durant trois décennies.

•             La Lybie devra également fournir des efforts  pour la réinstallation des ex soldats des légions de Kadhafi de retour dans leurs pays d’origine – Mali, Niger et Tchad.

•             Enfin Tripoli  devra accepter de discuter des conditions et des modalités du retour en Libye de certains de ses ex soldats  sur la base de conditions humanitaires restant à définir (couples mixtes, leurs enfants, propriétaires spoliés, etc. ). Ce genre de compensations ou réparations a souvent fait partie des arrangements de paix.

Une autre recommandation devrait être adoptée en faveur du lancement de grands travaux pour mettre en œuvre  ou achever les axes routiers entre l’Algérie et ses voisins du sud. En plus d’assurer une plus grande ouverture économique et des emplois aux jeunes, de tels axes faciliteront le  difficile travail des forces de polices et de sécurité.

Enfin, la relance de l’économie de la Côte d’Ivoire, moteur de croissance de la région et en particulier du Sahel Sahara, a toute sa place dans les recommandations du Pacte national.

Au delà de Boko Haram et du MNLA

Dans ce vaste tumulte, entre rébellions et assassinats, un acteur notoire n’apparaît sur aucun radar. Un absent qui est sans doute aussi le principal bénéficiaire de ces crises. En effet où est la drogue ? De la Côte atlantique aux confins de la Mer Rouge, en passant par le Golfe du Bénin, bon nombre d’observateurs estiment, pourtant,  que le trafic de drogue est le ciment entre tous ces facteurs de violence et des économies parallèles dans le Sahel Sahara. Le retour de la stabilité régionale demandera donc bien plus que le règlement des questions liées à Boko Haram ou au MLNA.

A l’abri des feux de l’actualité liée aux crises en cours, disputes et autres campagnes électorales, les trafiquants de la région bénéficient d’un oubli significatif. Le mutisme  autour de leurs activités démontre la capacité  de leurs réseaux à influencer et même à contrôler la circulation de l’information dans chaque pays. Dans la région, les questions sont posées à leurs principaux alliés traditionnels : les services généraux de contrôle aux frontières, leurs homologues de la sécurité intérieure et leurs puissants appuis politiques haut placés. Comme en Afghanistan, en Somalie ou dans d’autres conflits similaires, la solution à certaines crises est à chercher du coté de ceux qui agissent, comme leurs collègues du Sahel Sahara, à l’abri des guerres civiles. L’immensité de territoires peu ou pas administrés, l’indigence et donc la vulnérabilité des administrations publiques ainsi que la puissance des réseaux informels constituent des défis énormes exigeant la collaboration de tous les Etats riverains du Sahel ainsi que les appuis de ses partenaires extérieurs.

Le Jama’t Tawhid Wal Jihad Fi Garbi Afriquiya ou Mouvement Unicité et Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), vient de signer son premier attentat à Tamanrasset ce 03 Mars 2012. Cette attaque dans la ville qui abrite le siége du comité d’Etat Major Opérationnel Conjoint de l’Algerie, le Mali, la Mauritanie et le Niger est  une raison additionnelle d’arrêter la déstabilisation de la région. Né “officiellement” en décembre 2011, le MUJAO serait dirigé par le mauritanien Hamada O Mohamed Khayrou alias Abou Quemquem  est composé essentiellement de Sub Sahariuens. Trois otages 2 espagnols et 1 italienne, enlevés dans la région de Tindouf en Algérie, sont, depuis le 23 octobre 2011 aux mains du MUJAO qui exigerait 30 millions d’euros pour les libérer.

 

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc, l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo sahélienne.

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