Sahel Sahara : un ciel assombri.

Ces nuages annoncent aussi l’introduction de nouveaux armements plus dangereux dans la région. Pour ceux qui sont familiers avec les situations en Afghanistan et en Somalie, les prises et meurtres d’otages et le paiement de rançons aussi bien que les autres trafics (cigarettes, drogues.. etc) et la réponse de la communauté internationale, rappellent combien est sérieuse la situation au Sahel.

Dix ans après le 11 septembre 2001, le Sahel, où les extrémistes semblent dominer, apparaît mûr pour des luttes armées encore plus rudes. A cet égard, il y a tout juste un an, sept otages français travaillant sur les sites d’uranium d’Arlit au Niger étaient enlevés. Depuis lors, trois ont été libérés contre le paiement de rançons substantielles mais les autres sont toujours captifs au fin fond du Sahara. Ces développements invitent à accorder une attention plus rigoureuse à la difficile question des otages élément clef de la crise dans la région.

Au Sahel, la prise d’otages occidentaux et d’autres actes de violence sont devenus à la fois l’expression d’un message politique et la manifestation d’un commerce profitable. Un citoyen britannique Edwin Dyer et un français Michel Germaneau ont été exécutés par leurs kidnappeurs, respectivement en mai 2009 et juillet 2010. On sait également qu’au cours de la seule année 2010 deux italiens et trois espagnols, kidnappés en Mauritanie furent libérés au Mali pour la belle somme de 10 millions d’euros pour les espagnols. L’Italie quant à elle, est restée silencieuse sur le montant versé. Les rançons payées en 2010 et 2011 sont plus élevées que les budgets des renseignements de la police du Mali, de la Mauritanie ou du Niger.

Ces transactions ont certes permis de sauver des vies humaines. Cependant, cette politique de rachat des otages perpétue un système qui renforce financièrement et politiquement les extrémistes. Comment alors sortir du dilemme qui affecte en premier lieu les vies humaines, les consciences mais également les économies sahariennes (commerce transfrontalier, tourisme, exploitations minières) ainsi que les populations qui en dépendent et leurs gouvernements.

Travailler ensemble pour rétablir la sécurité et la liberté de circulation des personnes et des biens dans le Sahel reste la meilleure solution. Elle est possible si les gouvernements les plus concernés – Algérie, Mali, Mauritanie et Niger – arrivaient à mobiliser plus sérieusement leurs populations et leurs moyens, pour refaire à nouveau du Sahara cet espace de sécurité qu’il fut jusqu’à il y a une dizaine d’années.

Vaste désert, couvrant plusieurs états aux frontières souvent poreuses, une grande partie de l’Afrique occidentale, le Sahara est, depuis quelques années déjà, une zone de non droit, non par illégitimité des autorités, mais du fait de l’immensité des espaces et des déficits en matière d’organisation administrative. Complexe, l’insécurité y comporte une dimension idéologique revendiquée par certains dirigeants d’AQMI. Ses liens sont avérés avec les conflits internes des années 1990 au Mali et Niger, et en particulier l’horrible guerre civile d’Algérie. L’insécurité reste fortement imbriquée aux trafics et contrebandes en tous genres : cigarettes, drogues transitant d’Amérique Latine vers l’Europe, migrations irrégulières, et sans doute aussi à l’existence des ressources minières de la région. Enfin, cette insécurité menace des états fragiles, une région stratégique charnière entre le nord et le sud du continent, riche en ressources minières et énergétiques. Aujourd’hui, par leur effet de contagion, des menaces locales et régionales deviennent rapidement des risques de dimension internationale.

Dès lors, comment mettre fin à ces violences armées, à la criminalité et bien sûr à la peur avant qu’elles ne s’enracinent durablement? A cet égard l’un des objectifs prioritaires des extrémistes est d’instaurer la terreur au cœur des populations.

Mises en œuvre, les trois mesures suivantes devraient contribuer à contenir la menace terroriste.
Premièrement, les dirigeants, principalement ceux des pays concernés – Algérie, Mali, Mauritanie et Niger – doivent prendre plus sérieusement conscience de la menace posée par les groupes extrémistes armés, leur détermination et association avec des réseaux organisés internationaux. Certes, les effectifs des militants armés sont encore faibles mais ils augmentent à chaque opération réussie et médiatisée. Pour parer à leur recrutement, les gouvernements doivent donner une priorité aux investissements en infrastructures physiques et à l’emploi des jeunes. Les fronts intérieurs doivent être élargis grâce à de nouvelles coalitions politiques aussi larges que possible. Diriger aujourd’hui ne permet plus l’exclusion comme naguère du temps des partis uniques. Par ailleurs, les forces de sécurité devront être plus professionnelles que tribales dans le recrutement et les promotions et leurs dépenses plus transparentes.

Deuxièmement, la coopération sécuritaire entre les gouvernements de la région doit relever du domaine de l’intérêt national vital. Son objectif doit être la protection de l’Etat, ses institutions et ses populations et pas uniquement les intérêts immédiats et partisans. Entre partenaires faisant face à un défi majeur, la coopération régionale doit être aussi égalitaire et franche que possible. Avec une expérience et des moyens bien plus importants que ceux de ses voisins, l’Algérie peut, avec patience et générosité, jouer un rôle moteur.

Etabli à la suite de réunions techniques de haut niveau en aout et septembre 2009 en Algérie, le Comité militaire inter-états a son siège à Tamanrasset. Ce comité ne doit pas se muer en une organisation sous-régionale de plus, mais devenir rapidement plus opérationnel. Son rôle principal restera bien évidemment celui de la sécurité : celle des citoyens et des activités économiques y compris les activités minières.

Troisièmement, l’assistance multilatérale reste essentielle dans le domaine technique et doit servir d’appoint aux efforts nationaux et régionaux. Malheureusement cette aide internationale sera souvent insuffisante, lente à se mettre en place et régulièrement agrémentée de conditionnalités qui, en temps de crise réduisent son efficacité. Dans un premier temps sa dimension bilatérale pourrait être privilégiée. En l’état actuel des choses, et c’est crucial, la région devra éviter à tout prix d’internationaliser davantage la situation. Seuls les extrémistes bénéficieraient d’un tel développement. Le Sahara deviendrait alors la nouvelle destination de tous ceux, sans doute nombreux, qui, dans la région et au-delà, veulent en découdre avec l’ordre établi, quelle qu’en soit la nature.

L’internationalisation constitue un piège qui aggrave les problèmes, renforçant les extrémistes par une publicité gratuite, affaiblissant les régimes nationaux par des dépenses plus élevées pour la sécurité et la corruption qui s’ensuivra. Ainsi le conflit à gérer risque- t-il de s’enraciner davantage.
Enfin, bien que condamné par l’Union Africaine en juillet 2009 et le Conseil de Sécurité en décembre de la même année, la poursuite du paiement des rançons est inacceptable. Elle constitue l’une des sources principales de financement de l’insécurité dans le Sahara : achats d’équipements de communication, véhicules, armes, pécules aux recrues. Elle assure, par ailleurs une importante visibilité politique aux extrémistes lors des négociations et de la libération des otages.

Au cours de ces dernières années, j’ai été témoin de l’action des groupes radicaux aux objectifs multiples et changeants, à leur extraordinaire capacité de manipulation des opinions publiques. J’y ai vécu les limites, voire les dérives des efforts internationaux dans la lutte contre l’extrémisme. Mais, en fin de compte, seuls les gouvernements exposés directement à ce problème sont à même de le traiter avec succès.

La crise actuelle du Sahel est encore un problème sous régional et seuls des voisins confrontés à une menace commune ont un intérêt commun d’y faire face. Ils sont capables d’employer simultanément tous les moyens traditionnels et modernes pour suivre la situation.

Aujourd’hui, le soutien international à la lutte contre le terrorisme reste le bienvenu.
Toutefois, il doit être un complément à l’engagement et à la coopération sur le terrain des gouvernements algérien, malien, mauritanien et nigérien. Les états directement concernés.
D’autres états régionaux sont aussi intéressés et devraient s’associer à la recherche de solutions.

La libération des otages doit rester l’objectif prioritaire mais instaurer des politiques pour mettre fin aux enlèvements est bien plus recommandable. Les événements d’Arli, il y a un an rappellent qu’il faut agir autrement pour mettre fin au cercle vicieux : prise d’otages – paiement de rançons – prise d’otages, etc. Une approche collective, entreprise par des états concernés et intéressés, demeure la réponse préventive la plus appropriée au Sahel

La fin de la crise libyenne, le renouveau de la Côte d’Ivoire, et les progrès des libertés dans la région à la suite du Printemps Arabe, permettent d’espérer plus de stabilité dans le Sahel.

Le message d’un ciel assombri sera alors bien plus clair

Ahmedou Ould-Abdallah

Président, Centre 4 S


Ahmedou Ould Abdallah
31/12/1969 23:00:00

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