Sahel : sans le Président Deby.

Très souvent le danger surgit du coté où on l’attend le moins ! Au Sahel, la mort violente du président Deby en est une terrible illustration.  La disparition inopinée du président guerrier, Idriss Deby, a rebattu les cartes à travers la région. Aujourd’hui, avec deux transitions politiques en cours, Mali et Tchad, des enjeux politico militaires multipliés et un terrorisme qui renforce sa base et étend son front, le Sahel, plus que jamais se trouve à la croisée des chemins.

 

 

 

Avec deux transitions politiques où va le Sahel ?

Des troupes tchadiennes mobilisées pour assu rer la transition politique à Ndjamena, confronter leurs ennemis armés présents en Libye, contenir Boko Haram autour du Lac Tchad et guerroyer dans la zone chaude du Liptako Gourma contre les djihadistes, l’intendance suivra-t-elle ? Avec la mort de Deby, une pause dans l’envoi de troupes à l’extérieur s’imposera à N’Djamena. Elle sera d’autant plus nécessaire qu’unis, les islamistes de la région, mais pas seulement, s’attaqueront à un régime non ami et à leurs yeux non encore solide.

Concentrés sur le Mali – organiser des élections, se battre et/ou  négocier- le G 5 Sahel et ses alliés, principalement la France, sont aujourd’hui brutalement interpellés par les derniers développements au Tchad. Pilier de ce G 5 Sahel, c’est un pays de guerriers qui, en 60 ans d’indépendance, n’a connu que très peu d’années de paix. Président en exercice du G 5 Sahel depuis février dernier, Deby était attendu, par la région et au-delà, comme l’homme de la situation pour une sortie du conflit malien. Il allait, pensait-on, pourchasser les terroristes comme il l’a fait autour du lac Tchad.

Cette priorité ne sera pas nécessairement celle des nouvelles autorités du Tchad dirigées par son fils et successeur. La leur ira d’abord à la consolidation du régime qui n’a pas que des amis. Concerné ou impliqué dans les crises de Libye, des Soudan (Nord et Sud), de la Centrafrique, du pourtour du lac Tchad, au Liptako Gourma et au sein de la Minusma, le Tchad ne bénéficie pas d’une stabilité structurelle. L’objectif principal du nouveau régime sera sa survie par la consolidation  de sa base surtout militaire. Le rappel des troupes déployées hors de frontières en fait partie. Dans un pays où le conflit armé fut longtemps et demeure encore la forme privilégiée du règlement politique, la priorité ira à plus de troupes à l’intérieur qu’au lointain front ‘’des trois frontières’’.

Dans cette perspective, le G 5 Sahel et ses partenaires ne peuvent ignorer le risque d’une collision de deux priorités : le respect des transitions au Mali et au Tchad et la poursuite des objectifs du combat antiterroriste. Si la transition au Mali était et reste fragile, au Tchad, où ses adversaires sont fort aguerris, elle sera encore plus difficile à tenir dans les délais. Ndjamena accordera plus de ressources à la consolidation du régime qu’aux activités du pays dans le cadre du G 5 Sahel. Réussir ces deux transitions tout en évitant le retour des terroristes dans des zones jusqu’ici ou épargnées ou déjà ‘’nettoyées’’ sera le grand défi du G 5 Sahel et de ses partenaires. Mais aussi le plus gros danger à circonvenir dans les mois à venir.

Pour faire face aux difficultés inhérentes à toute dévolution imprévue du pouvoir, aux harcèlements de Boko Haram et d’AQMI ainsi qu’aux activités des trafiquants bénéficiaires de manque d’attention des autorités, un repli des troupes sur le Tchad parait inévitable. Le silence ambigu de pays lointains, bien qu’ayant déjà une empreinte plus ou moins forte dans la région, rendra encore plus complexes les deux transitions politiques ainsi que la mise en œuvre des priorités du G 5 Sahel.

Dépassement des crises du Sahel.

Le Sahel demeure très fragile et se tribalise comme le Yémen et la Somalie avec leurs longues crises autoentretenues. La vraie question sécuritaire du Sahel reste occultée et donc non traitée. Révolutionnaire  ou islamiste, un terrorisme qui dure, s’enracine en s’appuyant sur les contradictions  des sociétés traditionnelles. Comme en Somalie, peuplée par la même ethnie qui pratique la même religion et parle la même langue, le terrorisme évolue en une culture socio politique et surtout économique. La Somalie des Al Shabab est l’un des plus grands fournisseurs de ses voisins en produits de grande consommation, variés et sophistiqués, importés et réexportées hors de toutes les normes !

Les fondamentaux des crises demeurent et l’évolution technologique (réseaux sociaux) et l’urbanisation rapide les renforcent davantage. La compétition diplomatique aussi. Faire face au terrorisme invite à revenir aux fondamentaux: une meilleure gouvernance avec en particulier la lutte contre la corruption institutionnalisée et impunie puis le tribalisme qui discréditent la crédibilité gouvernementale et fragilise celle d’une communauté internationale silencieuse. Les armées, souvent plus ethniques que nationales et les systèmes d’enseignement plus informels que modernes doivent se mettre à jour. Indispensable à tous les niveaux, la coopération internationale politique, militaire, économique et humanitaire, peut alléger les difficultés sans les éradiquer tant que les dirigeants  rejettent les consensus nationaux. Un soutien non négocié au nouveau régime de Ndjamena renforcerait ces tendances.

Face aux difficiles transitions du Mali et du Tchad, à la fragilité intrinsèque du front anti-terroriste et aux ambitions sahéliennes de nouveaux acteurs internationaux, une sortie de crise rapide dans au moins un des deux pays,  constituerait un succès considérable pour les états du Sahel, leurs voisins et leurs partenaires européens et américains. Une crise qui dure s’enracine davantage et mène à plus de corruption, plus d’exodes internes, plus d’émigrations et finalement plus de crises.

Avec la disparition d’Idriss Deby, sept mois après le renversement du président Keita au Mali, les inquiétudes quant à la stabilité de la région devraient aussi être liées à leur gouvernance et pas qu’uniquement au seul terrorisme islamiste.

Au Sahel, à la croisée des chemins, les choix politico militaires doivent et peuvent aussi être de raison.

 

Par Ahmedou Ould Abdallah

Président centre4s