Sahel: terrorisme mais démographie aussi.

Une rapide croissance de la population, un profil d’âge très jeune, un taux de fécondité très élevé et une urbanisation forte et non contrôlée, telles sont quelques-unes des spécificités du Sahel identifiées par le très chevronné Atlantic Council (Etats Unis). Pour ce travail bien documente, il bénéficia du professionnalisme de deux consultants dont Stephen Smith, reconnu par son expertise et ses écrits sur la région. A ces données s’ajoutent, et y sont liées, les violences toujours, en expansion, de groupes terroristes. Ils trouvent dans ce Sahel des espaces géographiques et politiques des plus favorables.

La démographie.

Les réalités identifiées par l’Atlantic Council submergeront elles les capacités des Etats du Sahel à produire des emplois et des biens publics en quantités nécessaires ? Permettront-elles, en même temps, une lutte victorieuse, armée ou autre, contre le terrorisme? La pertinence des questions est d’autant plus manifeste que d’autres adversités majeures fragilisent socialement et donc politiquement le Sahel.

Sans parler des menaces liées aux questions environnementales qui méritent plus d’attentions et de ressources, parmi ces adversités majeures, émergent ainsi des multiples mais fructueux et dangereux trafics de drogues, de cigarettes et de migrants. Pour leurs lucratives opérations illégales, les trafiquants font essentiellement appel aux solidarités de leurs communautés. C’est ainsi qu’ils ‘’retribalisent’’, c’est-à-dire déconstruisent les services publics nationaux hérités des administrations coloniales. Très  souvent  les Douanes, la Police et les autres forces de sécurité et sans doute aussi les politiques, ressentent plus de loyauté à ces contrebandiers qu’à l’état moderne en construction. Face à tant de priorités contradictoires, les gouvernements, souvent affaiblis, laissent la démographie à l’état naturel, galopante.

A court et moyen termes, la donne démographique ralentit et sans doute bloque la croissance économique. Plus précisément, elle limite le progrès social, obère l’urbanisation par l’extension rapide et incontrôlée des bidonvilles en particulier autour des capitales. In fine, elle crée un contexte qui rend encore plus indigents les budgets nationaux en particulier ceux destinés aux investissements dans l’éducation et les œuvres sociales.

Cette démographie aggrave ainsi le décrochage de pays déjà en retard économique par rapport au reste du monde. Dans ce contexte structurellement instable, la question de la sécurité collective continuera de se poser tant que la croissance démographique restera aussi élevée.

Apporter un début de réponse aux menaces qui pèsent sur le Sahel, invite à contribuer à la création d’un environnement social et familial défavorable à l’enracinement et l’expansion de l’extrémisme. A cet effet, un soutien effectif et programmé à la promotion des filles et des femmes, soit plus de 52 pour cent de la population, est impératif. Ainsi, pour faire face aux présentes et futures menaces terroristes et gérer cette croissance de la population, une priorité devrait-elle être accordée à un programme d’amélioration de la condition féminine soit l’éducation des filles et des femmes. Un solide atout contre les extrémismes.

Cependant, face au terrorisme, précisément anti féministe, comment mettre en œuvre sur le terrain un tel programme ? La baisse de la natalité au Sahel ne se produisant pas encore, l’insécurité alimentaire cyclique devrait se poursuivre, les conflits armés également et leurs corolaires aussi: l’émigration et les flots de réfugiés et autres déplacés internes suite aux conflits armés.

L’ancrage du terrorisme.

L’ancrage continu du terrorisme, l’expansion de la violence à travers le Sahel et son extension rampante vers les pays côtiers, rendent difficile et surtout frustrante la mise en œuvre de politiques de prévention ou de lutte contre ce fléau. Par ailleurs, suite à la guerre en Ukraine, le chevauchement, voire le changement des priorités militaro diplomatiques des grands pays développés, ne peut qu’être défavorable au Sahel. Il est désormais bien moins haut placé sur l’agenda des priorités internationales.

Mais si en réalité le Sahel vivait déjà la situation de la Somalie où la perpétuation du terrorisme, cache une réalité bien différente et disent certains, peu islamique ? Là – bas aussi, c’est au nom de la religion que se mène la lutte entre les clans, tribus et régions pour le contrôle de l’économie nationale. Avec ses exportations (bétail, poisson) et ses importations (sucre, tissus islamiques, médicaments, produits industriels) destinés …aux voisins, la Somalie n’est sans doute pas un cas unique. Une situation qui a épuisé tous les partenaires y compris ceux de la région mais qui dure toujours.

L’instabilité du Sahel, risque de devenir encore plus hasardeuse depuis le déclenchement de la guerre d’Ukraine. Déjà effectivement non prioritaire sur l’ordre du jour international, elle l’est de moins en moins face aux enjeux de cette première guerre en Europe depuis 1939.

Ce nouveau contexte est perçu comme une bénédiction de Dieu et expliqué comme tel par les groupes terroristes. Leurs nombreux alliés de l’économie souterraine s’en font les propagandistes.

Fragilisés, les équilibres sociaux au Sahel, bases de la cohabitation pacifique entre les différents groupes sociaux, ethniques et autres, sont ébranlés voire brisés.

De fait, ces développements décourageront aussi ou rendront inefficaces la coopération internationale. Ils ne peuvent manquer d’inquiéter, voire d’éloigner, les grands investisseurs privés fournisseurs en particulier d’emplois pour les jeunes.

Il est admis, par ailleurs, que la capacité des états du Sahel et leurs volontés de répondre de manière durable et harmonieuse à ces immenses défis restent encore indigentes. Ceci est en partie confirmé par la série de coups d’état militaires depuis 2020 les disputes autour de la présence des Wagner, combattants liés à la Russie et le retrait en cours des forces françaises du Mali.

In fine, une action forte menée par le pays hôte du G 5 Sahel, la Mauritanie, si nécessaire en liaison la CEDEAO, devient indispensable pour clarifier l’horizon sahélien. Donner espoir aux populations, envoyer un nouveau message aux rebellions et échanger de vues avec les partenaires extérieurs ne peut plus attendre.

Cet engagement non ambigu sera aussi la preuve, donnée par Nouakchott, qui clame l’absence de terroristes armés sur le territoire national, qu’aucune connivence ne peut exister contre le soutien à la lutte des alliés du G 5 Sahel et d’autres.

Démographie galopante, guerre d’Ukraine plus touchante pour les  grandes puissances et les medias, menaces sur les fragiles  économies sahéliennes, dans cette tourmente, le Sahel ne saurait baisser les bras ou accepter la routine meurtrière.

NB Suite aux massacres de ce weekend dans le nord Burkina Faso – plus de 100 morts, les habitants de la région, totalement enclavée, des trois frontières (Burkina Faso, Mali et Niger) disent ne pas comprendre qu’après 10 ans de guerre, les rebelles continuent de disposer de motos et véhicules neufs, armes et munitions et, étonnement, surtout de carburant. Corruptions, complicités ?

 

Ahmedou Ould Abdallah

President centre4s.org