Le Mali, l’inévitable internationalisation


 

Les exemples de conflits réfractaires à une résolution rapide abondent : Libéria, Sierra Léone, Côte d’Ivoire ! Autant d’exemples de situations de crises politiques ayant échappé à un règlement national pour finalement se transformer en conflits longs, meurtriers et, bien sûr, très coûteux. Les cas du Burundi, du Rwanda, de la Somalie et du Soudan, sans parler du Kivu congolais, viennent également nous rappeler les risques liés à une crise qui, en s’internationalisant, dégénère. En dehors de l’Afrique, l’ancienne Yougoslavie au cœur de l’Europe, jadis prospère et démocratique, n’a pas pu échapper à cette malédiction. L’internationalisation d’une crise rend ardue sa gestion pacifique pour deux raisons : la collusion des ambitions et appétits des acteurs nationaux, d’une part, et le déficit dans la cohérence et la coordination de l’action des acteurs extérieurs, d’autre part.

Depuis le début de la crise, nous n’avons eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme au sein du Centre 4S. Le Mali, aujourd’hui, est inexorablement en train d’évoluer vers une situation où il risque de devenir un point de l’ordre du jour des rencontres internationales, un sujet et non plus un acteur de son devenir. En d’autres termes, son destin risque de lui échapper. S’ils se confirment, les développements récents vont faire que la gestion de la crise, au final, échappera aux Maliens ainsi qu’à leurs voisins y compris ceux de la CEDEAO et du Comité d’Etat-major Opérationnel Conjoint (CEMOC). Dès lors, la question qui se pose est : comment arrêter, voire renverser, cette tendance qui menace la stabilité de nombreux pays sahéliens ?

Compétitions diplomatiques

Les appétits économiques et financiers liés aux trafics, en particulier celui de la drogue, servent souvent à lubrifier les rouages des guerres civiles. Le Sahel est un cas de figure, en la matière : depuis la chute du gouvernement de Bamako, en mars dernier, on a noté que les pertes en recettes douanières s’élevaient, chaque mois, à plus de 10 milliards de francs CFA. Au nord, le sac de 50kg de farine qui se vendait à 22.000 francs CFA ne coûte plus, aujourd’hui, que 8.000 francs CFA; celui de 15kg de pâtes est passé de 7.500 à 3.500 francs CFA; le carton de lait en poudre de 12kg a baissé de 32.000 à 16.000 francs CFA; le bidon de 20 litres d’huile de 12.000 à 7.000 francs CFA. Le fût de 200 litres d’essence qui valait 140.000 francs CFA se vend, aujourd’hui, à 75.000 ; et celui de gasoil à 65.000 francs CFA au lieu de 120.000. On comprend, dans ces conditions, que les clients ne manquent pas, spécialement dans les pays voisins. Ainsi, le Mali est déjà victime des seigneurs de la guerre qui contrôlent tout le commerce des marchandises sous régional.

Face aux hésitations, voire aux compétitions diplomatiques autour du règlement de la crise malienne, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté, à l’unanimité, la Résolution N° 2071  du 12 octobre 2012 sur le Mali. Le Centre4s salue l’adoption de ce texte ainsi que la nomination de Romano Prodi comme Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies (RSSG) pour le Sahel. Cette Résolution, à double détente, devra être mise en œuvre en, au moins, deux phases[i]. Elle encourage la négociation en donnant, avant sa mise en œuvre effective, du temps aux parties maliennes, à la CEDEAO et autres pays voisins du Mali pour qu’ils s’engagent –sérieusement- dans un règlement de la crise au niveau régional. Le message du Conseil de Sécurité est clair : voici venu le temps de l’action, nous dit-il. Reste, maintenant, à savoir si la région dans son ensemble -et pas seulement la CEDEAO- est prête pour une telle action.

Le Centre4s souhaite plein succès à toutes les initiatives et rencontres internationales consacrées au Sahel et, en particulier au Mali. Espérons que la réunion du 19 octobre, prévue à Bamako, débouchera sur des conclusions pratiques qui ne seront plus à reprendre au cours de futures rencontres similaires. Celle-ci devra marquer un tournant décisif pour la région afin d’en finir, une fois pour toute, avec cette crise ; et non pas pour inaugurer un cycle de conférences sur le Mali.

Un CEMOC qui doit faire ses preuves

L’entrée en action de l’ONU a montré les limites rencontrées par les pays voisins du Mali dans leurs efforts pour résoudre efficacement la crise. Malgré les difficultés, surtout psychologiques entre ses quinze états membres, la CEDEAO n’a pas ménagé ses énergies. Elle doit poursuivre ses efforts pour limiter les risques  d’enracinement et de contagion au Mali comme ailleurs.

Le Groupe de Tamanrasset, ou CEMOC, crée pour prévenir et éventuellement gérer la crise du Sahel Sahara, a suscité  beaucoup d’espoirs dès sa mise en place, en juillet 2010. De part sa situation, au cœur du noyau dur et homogène du Sahel Sahara, il répond  à une  exigence stratégique.  Nombre de ses membres et d’observateurs s’attendaient à le voir jouer un rôle essentiel dans la crise multidimensionnelle du Sahel : le premier étant d’éviter l’internationalisation de tout conflit dans l’un de ses états membres. Malheureusement, l’efficacité du CEMOC reste encore à démontrer dans la gestion de la crise malienne. Pour y parvenir, Il devra se montrer plus pragmatique et empirique. Club exclusif, dans un monde ouvert, c’est à lui qu’incombe en priorité la tâche d’œuvrer en faveur d’une coopération régionale accrue et d’une action diplomatique concertée au Mali.

Pourquoi ne pas envisager de réunir sous ses auspices, ou d’encourager, la tenue d’une rencontre entre et autour des trois anciens présidents maliens afin de jeter les bases d’une réconciliation durable dans le pays ? Celle-ci devra s’attacher à renforcer le pouvoir central à Bamako pour qu’il parvienne à résoudre les deux crises que connait actuellement le pays. D’abord celle qui concerne la rénovation des Forces Armées et de Sécurité et leur devoir vis-à-vis du pays ; ensuite, celle, plus ancienne, qui concerne les problèmes identitaires de l’ensemble du nord, et auxquels des solutions durables devront être trouvées.

Le statu quo diplomatique actuel s’explique par des pratiques et des approches peu opérationnelles. Il constitue une menace pour la sécurité de l’ensemble des états de la région. Aussi, une coopération pragmatique et franche doit être mise en place entre tous les pays concernés et intéressés par la crise malienne, au Sahel comme au Maghreb. Cette coopération ponctuelle peut être limitée dans ses objectifs et dans le temps. Autrement, l’internationalisation du conflit au Mali sera inéluctable. Le futur de tous les états de la région risque, alors, d’en être affecté.


[i] La résolution souligne que c’est aux autorités maliennes qu’incombe, au premier chef, de garantir la sécurité et l’unité du territoire malien et d’en protéger la population civile dans le respect du droit international humanitaire, de l’état de droit et des droits de l’homme ; et insiste sur le fait que, pour être durable, toute solution à la crise malienne doit être celle des Maliens eux mêmes. Le Conseil condamne fermement les violations des droits de l’homme commises dans le nord du Mali par des groupes armés, des groupes terroristes et d’autres groupes extrémistes (…) Enfin le Conseil se déclare également prêt à mettre à la disposition du gouvernement malien une force militaire internationale pour prêter son concours aux forces maliennes en vu de la reconquête des régions occupées du nord du Mali.

 

 

*Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo saharienne.

 

 

 

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