Le Mali dans la tourmente
Il faut remonter jusqu’ à la période 1963/65 pour trouver les causes profondes de la crise au nord du Mali. Cette crise est déjà complexe de par sa nature et les peuples concernés : Touareg, mais aussi Arabes, Songhaïs et Peuls. Le Nord Mali, vaste région semi désertique, a toujours vécu de commerces divers plus ou moins légaux. Le tourisme et l’appui des ONG ont, longtemps, été ses principales ressources. Avec le terrorisme, cette manne s’est tarie. Les liens avec la Libye sont, alors, devenus la principale source de financement, d’armes et d’ambitions.
De plus, les politiques des états voisins démontrent peu de cohérence quant au futur de l’Azawad et ne semblent guère favorables à l’indépendance de cette entité. Enfin, la compétition pour l’attribution de blocs de l’exploitation du pétrole et du gaz rend la question malienne encore plus compliquée à résoudre.
La crise constitue un désastre humanitaire pour les civils et, en particulier, ceux des zones septentrionales. Il y a peu de chance pour qu’elle reste confinée au seul Mali. D’autant que les menaces de déploiement de troupes de la CEDEAO constituent un cri de ralliement, voire un carton d’invitation, pour les radicaux des pays, proches ou lointains, afin qu’ils viennent prêter main forte aux frères déjà sur le terrain.
Tous les ingrédients se trouvent, donc, réunis pour que la crise dure, s’étende à l’ensemble du Sahel et menace des intérêts extérieurs. Plus grave encore, la concurrence entre les groupes islamistes engagés sur le terrain – Aqmi, Ansar Eddin, Mujao, Boko Haram, et entre eux et le MLNA, peut en réalité cacher une collusion. S’agit-il d’une compétition dans le sens de jihad, un effort interne de chaque organisation dans le jihad régional de tous, ou d’une division du travail, ou bien d’une consolidation des modes opératoires de chaque entité pour brouiller les pistes? La question se pose, en effet, dans la mesure où, contrairement à ce qui se passe généralement au sein des groupes clandestins, aucun dissident dans le Sahel n’est accusé de trahison par ses ex collègues.
En tout état de cause, plus les civils et les militaires maliens s‘étrillent pour le contrôle du pouvoir à Bamako, plus leurs adversaires œuvrent pour rendre irréversible la situation au nord et fragiliser davantage toute la région. Faire fuir les notables, promouvoir politiquement et donc socialement leurs anciens « clients », sélectionner et organiser des nouvelles recrues et détruire les infrastructures, toutes ces actions font partie d’une stratégie bien connue de contrôle durable des villes. L’occupation ou la destruction de documents et de lieux historiques procède de la même logique. Ancrer la violence et l’insécurité reste essentiel à l’action des jihadistes. Au même titre que renforcer l’économie parallèle qui facilite la collecte de recettes financières.
Le nord du Mali a déjà atteint cette phase de changement structurel. Plus la crise perdure, plus les nouveaux maitres prendront des gages pour sécuriser leurs acquis. Cela peut aller d’attaques dans les pays voisins par des sympathisants à des actes de violence dans le Mali du sud. Dans un environnement aussi fragilisé, où ressentiments identitaires et intérêts économiques sont intrinsèquement liés, la chute du colonel Kadhafi a servi de déclic.
Stabiliser la Libye
Depuis plusieurs mois déjà, il est de bon ton d’attribuer l’insécurité et la violence armée dans le Sahel Sahara, non pas à l’un de ses principaux responsables, le colonel Kadhafi, mais à la chute de son régime. Une telle affirmation est – au mieux- le signe d’une grave amnésie.
L’instabilité du Sahel a une origine et une réalité. La première est à chercher dans les trafics divers, la criminalisation rampante des économies et la corruption endémique. Autant d’éléments qui délégitiment un grand nombre de régimes politiques aux yeux de leurs populations et encouragent les rébellions comme les coups d’état. L’instabilité a également une réalité : les ingérences multiples, souvent désordonnées et contradictoires, du Colonel Kadhafi dans les affaires intérieures et extérieures des Etats sahéliens au cours des trente dernières années. Par culture, ou pour d’autres raisons, un bon nombre de dirigeants africains ont laissé le Colonel semer le vent dont les tempêtes se récoltent aujourd’hui. Certains ont même donné l’exemple d’une soumission inacceptable en se rendant à Tripoli jusqu’à trois fois l’an pour faire acte d’allégeance.
De 1980 à sa mort, il fut le plus grand déstabilisateur du Sahel. Ses voisins immédiats, Niger, Soudan et Tchad et d’autres, comme le Mali, la Mauritanie, la Gambie et le Sénégal ont, tous, souffert de guerres ouvertes, de subversions ou d’ingérences financées par le Guide de la révolution libyenne. C’est ainsi que Tripoli a servi de siège à une Internationale des mouvements rebelles du Sahel dont le but était de déstabiliser les Etats ennemis autant, d’ailleurs, qu’amis du Guide. Certes, l’assistance accordée à certains pays pouvait être significative mais compensait, rarement, les coûts liés à la lutte contre les foyers de rébellion allumés par Tripoli.
L’intervention armée internationale, en appui aux révoltés libyens, a mis fin a un régime pour le moins singulier. Moins de quarante huit heures après les premiers soulèvements populaires de Benghazi, de nombreux responsables du régime ont fait défection. L’hémorragie s’est amplifiée les semaines suivantes, et n’a épargné ni les forces de sécurité, ni les membres de ce qui servait de gouvernement, ni le service diplomatique. A contrario, le régime de Saddam Hussein a tenu jusqu’a l’entrée des forces américaines dans Bagdad avant de se disperser en ordre.
Le reproche principal qu’on peut et doit faire à l’action internationale en Libye est de ne pas avoir mis plus d’énergie à consolider et à élargir la base du Comité National de Transition (CNT). La même détermination qui a mis fin à un régime si solitaire peut, aujourd’hui encore, être mise en œuvre pour consolider le CNT installé à Tripoli depuis la chute de Kadhafi. Il s’agit de le convaincre d’élargir sa base, de mettre rapidement en place des institutions crédibles et d’arrêter les dérives ethniques ou régionalistes.
L’instabilité de la Libye reste très contagieuse. De ma propre expérience en matière de gestion des conflits, dans presque tous les pays, les populations n’ont généralement pas de problèmes de fond à vivre paisiblement ensemble. Ce sont leurs élites qui attisent les préjugés et la méfiance, suscitent la peur, dressent des citoyens contres d’autres citoyens et créent ainsi les conditions pour l’éclatement des guerres civiles. C’est donc à ces élites qu’il faut s’adresser pour faciliter la mise en place des conditions de la réconciliation et de la stabilité.
Sortir de la crise
Précisément, des personnalités du régime de Kadhafi, non poursuivies par la justice internationale, cherchent à établir le dialogue avec leurs frères parmi les nouvelles autorités à Tripoli. Elles en ont manifesté la volonté à travers des tribunes, en particulier dans la presse arabe de Londres. Un cousin du Colonel, Ahmed Ghaddaf al-Dam, joue un rôle actif dans ce groupe. Déstabilisés, le Mali et le reste du Sahel ne retrouveront pas la paix sans une Libye réconciliée avec elle-même et avec ses voisins. Ce pays doit cesser d’être le centre des subversions régionales. Il devra, aussi, accepter de verser des compensations aux Sahéliens expropriés ou injustement expulsés ou contraints d’abandonner leurs biens mobiliers ou immobiliers. Le sort des couples mixtes et de leurs enfants mérite une attention spéciale*.
S’agissant du Mali, la surenchère patriotique peut se comprendre sur le plan psychologique et électoral, mais ne peut mener à une solution durable. Les autorités maliennes, la CEDEAO et leurs voisins les plus concernés doivent faire preuve de créativité afin d’éviter l’enracinement de la situation actuelle. Certes, une action militaire massive, avec tous les moyens logistiques et financiers, peut contenir la rébellion et, à court terme, maitriser la situation actuelle. Le problème est que ces moyens n’existeront pas de sitôt ; que leur mobilisation sera lente et leur affectation conditionnelle au risque d’en devenir paralysante.
Dans le camp des rebelles, tout cela se sait. Ces derniers n’ignorent pas non plus que, dans la région, les soldats sont surtout motivés par un salaire mensuel et pas toujours par la défense de la patrie. Alors que les rebelles, eux, se battent pour une cause. Une des solutions à la crise actuelle passe par une combinaison de stratégies comportant la consolidation des fronts politiques intérieurs, un effort soutenu pour répondre aux demandes des populations en faveur de plus de justice sociale et la lutte contre la corruption. Une coopération régionale entre Etats concernés par la collecte de l’information et l’évaluation des risques et, bien sûr, une action militaire robuste doivent compléter ces efforts.
Pour toutes ces raisons, les parties au conflit ont intérêt à négocier sans attendre : les désordres dans le nord du Mali accroissent l’émergence d’intérêts nouveaux et puissants comme ceux des trafiquants et du crime organisé. Sans cela, le problème pourrait définitivement leur échapper, ainsi qu’aux pays voisins, avec le risque de s’autoalimenter et durer plus longtemps.
* Pour plus de détails voir l’article Sahel Sahara : Boko Haram, MNLA et Réseaux informels
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