La chute du leader libyen Mouammar Kadhafi va-t-elle changer la donne dans la bande sahélo saharienne ?
Ahmedou ould Abdallah – Mouammar Kadhafi a subventionné les mouvements séparatistes ou de libération partout dans le monde au nom de la « troisième voie universelle ». Mais c’est dans la bande sahélo saharienne que son influence s’est le plus fait sentir. A cause de la fragilité de nombre de ces ةtats, il a distribué des subsides aux uns et aux autres changeant de camp au gré des présidents. Sa chute devrait permettre d’assainir l’économie de la sous région qui a reposé jusqu’à présent sur des trafics illégaux (marchandises, cigarette, drogue, clandestins, etc.) grâce au transit par les ports libyens.
Est-il vrai qu’il a recruté des mercenaires parmi les Touaregs du Mali ?
AouldA – Pas seulement au Mali mais aussi au Niger, au Tchad parmi les Toubous et, dans une moindre mesure, en Mauritanie. Au début, il les appelait sa « légion arabe ». Celle-ci était composée d’au moins un millier d’hommes. La plupart a été naturalisée dans les années 70 et, du coup, leurs enfants sont restés fidèles au « guide de la révolution ». Ce sont d’excellents combattants. Même si beaucoup sont revenus dans leur pays d’origine, ils ont continué à se battre pour lui contrairement à la plupart des autres Libyens.
Les différentes branches d’AQMI qui sont présentes dans cette région vont-elles sortir renforcées ?
AouldA –Mouammar Kadhafi s’est toujours opposé à la main mise d’Al-Quaida dans cette région. Aussi, des émirs salafistes du GSPC, comme Mokhtar Bel Mokhtar ou Abdelmalek Droukbal, qui contrôlent une zone comprise entre le sud de l’Algérie, le nord du Mali et jusqu’au Tchad en passant par le Niger et, aussi, la Mauritanie, vont, désormais, avoir le champ libre. Les Touaregs pro-Khadafistes pourraient les rejoindre ou se livrer eux-mêmes à des trafics s’ils ne trouvent pas à s’employer. Mais c’est peu probable compte tenu de leur idéologie.
Faut-il craindre l’émergence d’un ةtat islamique ?
AouldA – Non, surtout après la mort de Ben Laden… Même si Al-Quaida s’est « franchisé » et qu’il existe, aujourd’hui, une continuité entre l’Afghanistan, le Yémen, la Somalie, le Soudan, le Tchad et, maintenant, le Nigeria avec le mouvement Boko Haram. Le plus grand danger pour ces ةtats n’est pas l’islamisme. Plutôt, des gouvernements corrompus qui continuent de pratiquer le tribalisme et refusent la transparence dans les affaires. Ce sont eux qui font le lit d’Al-Qaïda. Le principal défi qui attend le nouveau gouvernement libyen, c’est d’éviter de retomber dans le népotisme ou les trafics en tout genre.
Faut-il se réjouir du départ de Mogadiscio des shebabs somaliens dont vous affirmez qu’ils sont infiltrés par Al-Qaïda ?
AouldA – Les combattants shebabs les plus déterminés sont des étrangers. Ils ont dû partir à cause de la branche nationale « baidoa » qui veut arrêter la famine. Il n’est pas exclu qu’ils tentent une nouvelle offensive soit à Mogadiscio, soit dans le Somaliland. Dans le cas contraire, plus rien ne s’opposerait à un retour des Nations Unies à Mogadiscio. Pourtant, les quelque 1.200 fonctionnaires onusiens qui s’occupent de la Somalie rechignent à quitter Nairobi. Tant que ce retour ne se sera pas produit, l’aide internationale continuera à être détournée.
Pourquoi dites vous que des « fonds religieux » alimentent Al-Quaïda en Somalie et ailleurs?
AouldA – En Somalie, la première source de financement des groupes infiltrés par Al-Qaïda est la piraterie. Mais, ils se financent également avec la zakat c’est-à-dire l’impôt sur les revenus des riches musulmans du Moyen Orient. Le plus grand danger serait que les shebabs étrangers, qui sont repliés à 25 kilomètres de Mogadiscio et dans le port de Kismaayo, profitent de la pagaille qui règne actuellement en Libye pour venir s’implanter dans la bande sahélo saharienne.
Propos recueillis par Christine Holzbauer
La Croix (Mardi 30/08/2011) Page IX
02/08/2004 22:00:00