Revitaliser le CEN SAD

Depuis bientôt deux ans, notamment à la suite du déclic provoqué par la crise libyenne, la région sahélo-saharienne se trouve dans la tourmente. Cette  tourmente a son origine dans, et est exacerbée, par la persistance d’une multitude de facteurs de risques et de menaces à la sécurité. Cet environnement volatile représente un défi pour la région et éclaire d’une lumière particulière le rôle futur de la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (CEN-SAD) et la place qui devrait être la sienne.


CEN-SAD au centre des défis du Sahel


La CEN-SAD est restée longtemps associée à la personnalité et à la diplomatie, souvent erratique, de l’ancien dirigeant Libyen, Mouammar Kadhafi. Aujourd’hui, à la lumière du contexte et des enjeux actuels, la pertinence de la CEN-SAD est avérée. La contribution qu’elle pourrait apporter à ses états membres mérite amplement d’être réexaminée.

La complexité et la nature, en grande partie transnationales, des menaces et défis dans le Sahel Sahara, imposent de s’affranchir de l’association de l’organisation à feu Kadhafi, association qui, dans l’ère post-Kadhafi actuelle, n’est plus guère appropriée.

Le présent contexte sécuritaire, social et économique dans l’espace sahélo-saharien offre une nouvelle raison d’être aux Etats membres de la CEN-SAD. Comme cela s’est vu, notamment à l’occasion de la session extraordinaire de son Conseil Exécutif tenue à Rabat (Maroc) du 10 au 12 juin 2012, ils sont engagés dans un processus de redynamisation de l’organisation.

Ce contexte impose une action régionale renforcée et plus cohérente. Celle-ci devrait appuyer les nécessaires efforts à mettre en œuvre par chacun des pays concernés dans le cadre de ses frontières nationales.

Compte tenu de sa composition, avec des pays traversés ou bordés par la bande sahélo-saharienne, la CEN-SAD se présente comme le cadre diplomatique et institutionnel, de concertation et d’action, susceptible de formuler et de permettre la mise en œuvre d’une réponse pertinente, inclusive et multiforme, aux défis sécuritaires actuels.

De fait, l’action de la CEN SAD, résumée dans l’article 3 de l’avant-projet de son Traité révisé, est censée s’inscrire dans le domaine de la sécurité collective et du développement durable. Plus précisément, elle se situe dans la préservation et la consolidation de la paix, de la sécurité et de la stabilité; dans la promotion du dialogue politique et la lutte contre la criminalité transfrontalière avec ses fléaux connexes comme le trafic de drogues, des armes, des êtres humains, le blanchiment d’argent et le terrorisme. Elle couvre aussi la lutte contre la désertification, la sécheresse et les changements climatiques. Autant de réalités et de problématiques auxquelles sont confrontés tous les jours les pays sahéliens.


Renforcer la coopération autour de la CEN-SAD


La redynamisation de la CEN-SAD pourrait également servir de base à une meilleure mutualisation, au niveau régional, des efforts, notamment ceux entrepris entre certains pays de la bande sahélo-saharienne, qu’ils appartiennent à l’espace Maghrébin ou Subsaharien. Cette mutualisation aura pour avantage de contribuer à faire la jonction entre deux espaces géopolitiques, quelque peu distincts, mais non moins voisins et confrontés à des problématiques communes. La coopération devra couvrir la formation et les échanges d’expertises en matière de sécurité, des patrouilles communes mais aussi des arrangements économiques spécifiques aux zones frontalières.

Les actions à entreprendre dans le cadre d’une CEN-SAD relancée et revitalisée permettraient aussi, sans prétendre les remplacer ou se substituer à elles, de développer des complémentarités avec des organisations sous régionales telles que l’Union du Maghreb Arabe (UMA) et la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui se trouvent, d’une manière ou d’une autre, concernées par les déficits sécuritaires du Sahel Sahara. Cela devrait également permettre une meilleure cohérence et coordination des différentes initiatives relatives au Sahel.

Réactivée, la CEN-SAD peut être un point de convergence d’intérêts, d’initiatives et d’acteurs divers. Parmi ces acteurs se trouvent l’Union Africaine, les Nations Unies, l’Union Européenne, les Etats-Unis, la Chine, la Turquie, les pays du Golfe ou encore, plus concrètement, le Club du Sahel et l’Union pour la Méditerranée, UPM, qui ont tous deux une proximité géographique et politique avec le Sahel. Pour de nombreuses raisons, y compris géostratégiques, l’UPM devrait porter un intérêt suivi pour le Sahel ; l’actuelle implication militaire française au Mali en est une démonstration.


Le Sahel Sahara : espace de coopération transfrontalière


Les pays traversés par, ou riverains de la bande sahélo-saharienne, sont confrontés, dans des proportions variables, à de multiples défis politiques, socioéconomiques, sécuritaires, identitaires, environnementaux et humanitaires, qui concourent, y compris par leurs différentes interactions, à fragiliser davantage la région.

Les frontalières se sont tout particulièrement révélées être au centre de cette problématique, s’illustrant avec le temps comme des zones grises ou de non droit. Des vulnérabilités et menaces s’y sont développées et ancrées jouant un rôle moteur dans l’instabilité qui caractérise profondément l’espace CEN SAD.

Cet espace s’illustre ainsi au niveau des régions frontalières par plusieurs particularités culturelles, sociales et économiques qui ont en partage certains des pays qui le constitue. Du point de vue culturel, on note ainsi l’existence de groupes ethniques similaires à cheval entre plusieurs pays; c’est le cas notamment des Touaregs qu’on retrouve entre l’Algérie, le Burkina, le Mali et le Niger. Les Maures, Toubous, Peuhls, etc, offrent d’autres exemples d’ethnies écartelées entre plusieurs souverainetés.

Au niveau socioéconomique, les populations frontalières confrontent quotidiennement de difficultés similaires: faible présence ou absence des services sociaux étatiques et d’opportunités économiques, conduisant à des niveaux élevés de chômage, à un sentiment d’exclusion et à une aggravation de la pauvreté. D’un autre côté, de nombreuses potentialités économiques demeurent inexploitées. C’est notamment le cas de gisements miniers ou d’hydrocarbures à cheval sur plusieurs pays et qui pourraient faire l’objet d’accords en vue d’une exploitation commune. Comme pour l’ex Asie centrale soviétique, des accords entre états, et avec le secteur privé, pourraient, dans le cadre de la CEN-SAD, faciliter cette exploitation et l’écoulement par pipeline de la production vers les ports. Mais il faut d’abord  assurer de la sécurité le long de ces trajets


In fine, ces réalités se présentent comme autant de facteurs qui pourraient servir de base à la mise en œuvre d’un nouveau pacte régional de sécurité et de développement s’articulant autour d’une coopération interétatique et transfrontalière, notamment en faveur de l’emploi des jeunes. Avec les efforts de consolidation de la paix et la future reconstruction du Mali, ils devraient représenter les éléments prioritaires du renouveau de la CEN-SAD.

 

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo saharienne.

 

 

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